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Genèse du Catalogue

Plan

Genèse du Catalogue manuscrit, genèse de la bibliothèque de La Brède : ces deux questions sont à la fois distinctes et indissociables. Un simple principe de méthode incite à partir du Catalogue, seul document irrécusable et complet qui rende compte de la bibliothèque. Quand a-t-il été dressé ? La réponse à cette première question suscite d’innombrables conséquences, et d’abord fonde l’idée que le Catalogue procède de la volonté expresse de Montesquieu, jusque dans sa composition. Mais reflète-t-il pour autant sa bibliothèque ? C’est en étudiant les modalités de sa réalisation que l’on peut traiter ce problème.

Naissance du Catalogue de La Brède (1731-1732)

État des lieux

Comment et quand le Catalogue de la bibliothèque de La Brède a-t-il été dressé ? La réponse avait été donnée dès la première édition, en 1954 : l’essentiel en était dû à un secrétaire, l’abbé Duval ou Bottereau-Duval 1 (secrétaire D selon la nomenclature des  « mains » représentées dans les manuscrits de Montesquieu), qui a quitté Montesquieu quand celui-ci est revenu de ses voyages, au printemps 1731. L’édition de 1999 ne disait pas autre chose ; en fait, toutes les études sur la bibliothèque de Montesquieu, mais aussi sur ses manuscrits, sont parties du principe énoncé par Robert Shackleton en 1953 :  « La date finale [de son activité au service de Montesquieu] s’autorise du titre des Lettres de Saint-Hyacinthe , dans l’édition de 1731 2  » ; en effet, l’abbé Duval n’ayant jamais fourni de preuve d’une activité ultérieure, on avait là le terminus post quem non. N’était-il pas évident que Duval, resté au service de Montesquieu en son absence, avait dû consacrer ce temps vacant à répertorier les ouvrages ? Le travail était énorme, car il supposait la manipulation, l’identification et le classement de plusieurs milliers de volumes. La période 1728-1731 paraissait donc s’imposer ; de ce fait, aucune recherche n’a eu lieu récemment sur le travail de ce secrétaire 3 , dont on sait depuis 2002 que Montesquieu le connaissait depuis longtemps, puisque l’abbé avait travaillé pour son oncle, le président Jean-Baptiste de Secondat, et qu’il en avait fait un véritable collaborateur pour ses travaux scientifiques en 1718 4 .

Il semble néanmoins nécessaire de revenir sur cette certitude, malgré le faible nombre de documents datés sur lesquels on puisse s’appuyer : aucune lettre manuscrite de Montesquieu ne subsiste pour la période 1731-1732, une seule, autographe, en 1733 5 . L’extension du corpus manuscrit, et surtout une nouvelle attention portée à tous les éléments du dossier, permettent de faire avancer une enquête qui est loin de relever du seul domaine matériel et érudit : non seulement les conséquences en sont importantes pour dater le corpus manuscrit, donc pour éviter tout anachronisme quand on étudie les œuvres les plus précoces de Montesquieu, mais les recherches ici entreprises mêlent constamment les aspects concrets et des considérations plus étroitement liées à son activité intellectuelle : ses modes de travail, tout comme les raisons d’acquérir des livres et les moyens de se les procurer, sont en effet à l’intersection de ces deux champs, et il est impensable de les envisager l’un sans l’autre.

Signalons une première difficulté : pendant l’absence de Montesquieu, l’abbé Duval n’est pas à La Brède, mais surtout à Paris, où il s’occupe du fils de Montesquieu, Jean-Baptiste de Secondat ; il veille, comme précepteur et comme correspondant, sur un enfant placé au collège Louis-le-Grand dès l’âge de huit ans et alors confié aux soins du père Castel 6  ; bien que celui-ci ait exprimé à Montesquieu en 1725 son vif désir de continuer à s’en occuper 7 , il a dû abandonner cette fonction 8 , puisque le 23 octobre 1728 Duval déclare être sur le point d’arriver au collège où il serait logé, et en 1729, appelé par Montesquieu à Rome, il se cherche un remplaçant pour servir de  « precepteur » à l’enfant, dont il donne des nouvelles, ainsi que pour suivre le procès de Montesquieu. Il renonce à partir et, en juin 1730, c’est encore lui qui s’occupe de payer les frais du jeune Secondat au principal du collège, sans parler alors d’abandonner sa fonction auprès du collégien 9 . On ignore où il se trouve ensuite, la correspondance avec Mme de Montesquieu qui livre ces informations étant alors interrompue 10 . La rédaction du Catalogue ne pourrait donc avoir eu lieu qu’avant octobre 1728, ou après l’été 1730.

Mais en fait, et c’est là que porte l’essentiel de la recherche, l’ensemble du corpus manuscrit de Montesquieu présente un certain nombre de faits troublants qui, une fois réunis, deviennent décisifs et incitent à penser que l’abbé Duval est en fait resté beaucoup plus longtemps, au moins jusqu’à la fin de 1732, donc bien après le retour des voyages.

L’activité de l’abbé Duval : mise au point sur la chronologie

Les travaux en cours sur les extraits et notes de lecture 11 avaient déjà jeté un fort doute sur le scénario imaginé par Shackleton et constamment répété depuis : plusieurs extraits de la main du secrétaire D (sur Dubos, Les Intérêts de l’Angleterre mal entendus , et sur le Dictionnaire de commerce des frères Savary) apparaissent comme difficilement compatibles avec une chronologie qui exclurait un travail important avec ce secrétaire après le retour des voyages ; certaines formulations sont même incompréhensibles si on suppose que l’extrait est antérieur à 1728. Mais c’est surtout l’édition en cours des Pensées qui a fourni matière à réflexion : une annotation historique approfondie révèle que plusieurs passages transcrits par le même secrétaire 12 témoignent de faits contemporains des voyages ; les Pensées n’auraient-elles donc pas été commencées seulement au retour de Montesquieu ? C’est, dans l’état actuel de nos connaissances, l’hypothèse la plus probable.

Il faut donc revenir sur les limites chronologiques fixées par Shackleton, et notamment sa formule :  « La date finale s’autorise… ». La date de 1731 fournie par un ouvrage du Catalogue détermine en réalité, non pas la fin de l’activité de Duval, mais la limite en deçà de laquelle on ne peut aller. Le flou de l’expression employée par Shackleton s’alliait à la précision des dates qu’il fournissait,  « 1721-1731 13  », pour masquer un défaut de logique qui perdure depuis 1953, et qui depuis cette date a empêché toute réflexion sérieuse sur des manuscrits parmi les plus importants de Montesquieu. Shackleton a pris en effet une absence de preuve pour une preuve négative : ne disposant d’aucun élément pour justifier la présence de Duval après 1731, il en a conclu que Duval avait disparu – alors même que dans le corpus Montesquieu, il n’existe, on l’a dit, aucun matériel manuscrit daté de 1731 ou 1732, et un seul document en 1733 14 . L’implicite qui semble avoir dicté pareil raisonnement est que le secrétaire, resté à La Brède en l’absence de son maître (on sait maintenant qu’il a surtout résidé à Paris…) et veillant sans doute sur ses propriétés (et ses livres), n’avait plus de raison d’être au retour de Montesquieu – ce qui était hautement discutable, puisqu’en Italie celui-ci réclamait sa présence et en avait fait depuis plusieurs années un véritable collaborateur. Mais surtout aucun élément ne permet d’étayer cette hypothèse, qui semble relever de l’imaginaire.

Une fois balayées ces approximations et ces distorsions, dispose-t-on d’éléments permettant de fonder plus solidement un point chronologique aussi capital ? Il existe sinon une preuve, du moins un indice fort de la présence de l’abbé Duval auprès de Montesquieu jusqu’à la fin de l’année 1732 au moins. En 1953, Louis Desgraves avait fait état de négociations tenues en 1728 à Rome entre Montesquieu et Mgr Foucquet 15 , pour procurer à  « Bottereau-Duval » le bénéfice du prieuré bénédictin de Locronan, dans le diocèse de Quimper, détenu par cet ancien jésuite devenu évêque in partibus d’Eleuthéropolis : celui-ci se serait réservé une retenue de vingt-huit écus romains par semestre sur les revenus de ce prieuré 16 . Louis Desgraves ne donnait à l’appui aucune référence ; c’était regrettable à plusieurs titres, car il s’agissait là de la seule attestation de cette forme du nom du secrétaire, toujours désigné dans la correspondance de Montesquieu sous le nom de  « l’abbé Duval » ou  « du Val » 17  ; de surcroît ce document venait opportunément préciser ce que dans les Lettres familières Guasco définissait comme  « la pension que M. Duval devoit payer à ce prélat », pour  « un bénéfice que M. Foucquet avoit obtenu de la cour de Rome en Bretagne » 18 – mais comment le vérifier ? L’attribution du bénéfice de Locronan à Foucquet (et par là même à Duval) pouvait paraître douteuse : le savant biographe de Foucquet, John Witek, n’avait pu identifier ce bénéfice 19  ; des recherches récentes sur les rares traces en archives qu’aurait pu laisser à Locronan Bottereau-Duval (ou plutôt Duval, car c’est ainsi qu’il signe 20 ) donnaient quelques résultats 21 , mais sans une précision chronologique suffisante pour ce qui nous occupe ici, et rien n’apparaissait de Mgr Foucquet. Il était néanmoins difficile de douter de l’information apportée par Louis Desgraves, au vu de sa précision et de son caractère absolument inédit : tout cela ne s’invente pas.

Des recherches supplémentaires dans le fonds de La Brède nous ont permis de retrouver ce document, que Louis Desgraves avait été autorisé en son temps à consulter grâce à la comtesse de Chabannes, mais sans qu’il puisse être référencé, puisqu’il était conservé en archives privées, au château de La Brède. Il est désormais conservé à la bibliothèque municipale de Bordeaux ; dans ce dossier figurent trois reçus signés de  « Jean François eveque d’Eleutheropolis » 22  ; le premier est daté du 1er janvier 1732, pour le semestre échu ; le plus tardif fait état, comme les deux précédents, du versement, par l’intermédiaire de  « monsieur Claude Heusch », de la somme évoquée par Louis Desgraves, soit vingt-huit écus romains par semestre 23 , à la date du 24 décembre 1732. Ces documents, et surtout le dernier, se seraient-ils retrouvés à La Brède si Duval 24 n’y avait encore séjourné et n’avait pour cela demandé à se faire adresser le précieux reçu chez Montesquieu ? Ajoutons qu’abbé commendataire de Locronan, il n’avait aucune raison de résider en Bretagne. Il faut donc allonger sa période d’activité jusqu’à la fin de 1732 au plus tôt, en se gardant bien de faire tomber le couperet au 1er janvier 1733, pour ne pas reproduire l’erreur de Shackleton, ne serait-ce qu’en raison du délai pour acheminer un courrier de Rome à La Brède… et considérer que Duval – tel est le nom que nous lui donnerons désormais – a dû rester près de deux ans à La Brède après le retour de Montesquieu à La Brède, au printemps 1731. Par prudence, nous conserverons la date de 1732, mais en considérant que son activité a pu se prolonger encore quelques mois, même s’il paraît difficile d’aller jusqu’en 1734, début – théorique et contestable, comme on le verra – de l’activité du secrétaire E 25 . Telles sont les données matérielles et externes qui renouvellent le cadre chronologique du Catalogue.

L’expérience des voyages dans le Catalogue

Le Catalogue permet-il de corroborer la datation de 1731-1732 qui apparaît désormais comme une quasi-certitude ? Des indices sérieux en proviennent, qui témoignent que le Catalogue a bel et bien permis d’enregistrer au retour des voyages de très nombreuses acquisitions.

Les voyages, étapes des acquisitions

En effet Duval a inscrit de nombreux ouvrages qui semblent avoir été très peu répandus en France, et que Montesquieu n’a guère pu se procurer qu’au cours de ses voyages : ainsi il séjourne en Autriche d’avril à août 1728, notamment à Vienne et à Graz, capitale de la Styrie 26  ; or figurent dans le Catalogue, d’Anton Erber, Styriæ ducatus topographia, et de Sigismund Puch, Chronologia sacra ducatus Styriæ, publiés tous deux à Graz (Graecii) respectivement en 1727 et 1715 27  ; ces deux ouvrages sont presque inconnus aujourd’hui des bibliothèques françaises – ce qui n’est pas une preuve, mais au moins un signe de leur relative rareté sur le marché français. Faut-il imaginer que Montesquieu ait préparé chaque étape de son itinéraire en se procurant à grands frais, et sans doute avec de grandes difficultés, les ouvrages correspondants ? D’autant qu’un ouvrage tel que la Topographia est surtout utile sur place ; se serait-il chargé d’un lot de livres pour chacune de ses destinations à venir, à supposer qu’elles aient été toutes fixées d’avance ? À Bologne il suit de près les Pitture di Bologna de Malvasia, ouvrage publié dans cette ville en 1706… Il est plus simple, pour ne pas dire évident, de considérer que Montesquieu a acheté ces ouvrages sur le lieu même où ils ont été publiés, comme l’atteste encore la Descrizione de Roma antica et Roma moderna , toute récente (1727) quand Montesquieu séjourne à Rome ; les voyages pourraient donc bien avoir été, comme on pouvait d’ailleurs s’en douter a priori, l’occasion d’accroître sa bibliothèque.

Cette impression se confirme quand on s’intéresse aux dates de publication : celle de la Bibliotheca latina de Fabricius, parue à Venise en 1728, suggère que Montesquieu ne s’est pas contenté d’acheter sur place des guides de voyage. Mais c’est surtout avec les ouvrages anglais qu’elle s’impose : on relève en effet un nombre important de titres datant de la fin des années 1720, autrement dit des ouvrages que Montesquieu n’a pu acquérir qu’en Angleterre, où il séjourne entre novembre 1729 et le printemps 1731 : Swift, A Tale of a Tub (1727), Engelbert Kämpfer, The History of Japan 28 (1727), British Curiosities in Art and Nature (1728), Samuel Clarke, Discourse Concerning the Being and Attributes of God (1728), Swift et Thomas Sheridan, The Intelligencer (1729), John Harris, Astronomical Dialogues (1729), Boulainvilliers, La Vie de Mahomet (1730), publié avec souscription à Londres, et bien sûr, de Thémiseul de Saint-Hyacinthe, Letters Giving an Account of Several Conversations (1731).

Un point particulier retient l’attention : dans une seule notice du Catalogue (no 1983) sont énumérées  « plusieurs pieces de theatre angloises et italiennes et operas, pieces nouvelles », soit vingt titres suivis de deux autres (no 1984), majoritairement en anglais, mais aussi en italien, sans que soit indiqué le nombre des volumes, sauf pour les deux derniers. Aucune date, aucun lieu d’édition, pour ces ouvrages dont la seule trace, minime, se trouve là. L’identification est laborieuse :  « Giulio Cesare in Egitto, drama » serait-il Cesare in Egitto, de Bussani, imprimé en 1677 puis en 1735 – ce qui exclut donc cette dernière édition de la copie de Duval ? L’Atenaide, un drame de Zeno publié à Vienne pour la première fois en 1714 29  ? Le sens de cette liste disparate n’apparaît pas si l’on se contente de répertoires bibliographiques : il faut se reporter aux calendriers des représentations. Il en ressort qu’on a là une série de pièces ou d’opéras représentés à Londres durant le séjour de Montesquieu en Angleterre : de Lotario de Haendel, qui connut seulement neuf représentations après sa création le 2 décembre 1729, alors que Montesquieu était arrivé à Londres le 1er novembre, jusqu’à Eurydice de Mallet, créée à Londres le 22 février 1731, en passant par Giulio Cesare in Egitto que Haendel avait créé en 1724 mais qui fut de nouveau donné avec un grand succès à partir de janvier 1730 30 – tous les opéras de Haendel représentés durant cette période apparaissent dans cette notice du Catalogue manuscrit. Une pièce remonte-t-elle à 1722, comme The Conscious Lovers de Richard Steele ? On découvre qu’elle a été jouée à Londres de novembre 1729 à avril 1730. Un titre anglais reste-t-il mystérieux, comme Ptolomy King of Egypt ? On a toute chance d’avoir affaire au livret bilingue de Tolomeo re di Egitto de Haendel, créé en 1728 et repris, après de fortes modifications, en avril 1730. Le même raisonnement s’applique aux œuvres italiennes : on signalera seulement L’Atenaide de Vivaldi, d’après le livret de Zeno, créée à Florence le 28 décembre 1728, alors que Montesquieu y séjourne du 1er décembre 1728 au 15 janvier 1729 31 .

D’autres indices, tout à fait convergents, sont fournis par l’examen d’ouvrages subsistants ; en effet certains ouvrages antérieurs à cette période portent des reliures anglaises, ce qui incite à penser que Montesquieu les a acquis en Angleterre, car pour des raisons évidentes de coût (et parfois de discrétion), les ouvrages imprimés en Angleterre et destinés au marché français sont plutôt transportés en feuilles ou en blanc : ainsi de la Geographia generalis de Bernhard Varenius (1712), des Poems on Several Occasions de Matthew Prior (1713), des Characteristics of Men, Manners, Opinions, Times de Shaftesbury (2e édition, 1714-1715), de The Widsom of God Manifested in the Works of Creation de John Ray (1717), ou encore des Astronomiae physicae et geometricae elementa de David Gregory (1702). La liste des ouvrages attestant de l’origine anglaise s’allonge vertigineusement… On peut y ajouter des ouvrages imprimés à Venise et restés en reliure d’attente : une traduction italienne de l’ouvrage de Perrault sur Vitruve, Compendio dell’architectura generale di Vitruvio (1711) et l’ouvrage de Bernardo Trevisan Della laguna di Venezia (1718). Enfin, on n’aura garde d’oublier un ouvrage qui apparaît dans la liste des  « pieces de theatre angloises », Tamerlane, A Tragedy 32 , de Nicholas Rowe : outre les dates de représentation, qui coïncident avec la présence de Montesquieu à Londres, on relève sur l’ouvrage la mention autographe  « Lincol’ Inn Field », qui l’authentifie comme souvenir du spectacle auquel Montesquieu a assisté dans le théâtre plus proprement appelé Lincoln’s Inn Fields.

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Marque autographe sur Tamerlane, A Tragedy, BM Bordeaux, LAB 591

La série des ouvrages issus du séjour en Angleterre se fait plus riche encore quand la somme de ces observations conduit à penser, sans aucun doute possible, que Montesquieu est le premier propriétaire de cette bibliothèque à avoir lu l’anglais : si son père (mort en 1713), son oncle (mort en 1716) ou son grand-père (mort en 1678), ou quiconque dans sa famille, avaient maîtrisé cette langue, on trouverait plus d’ouvrages antérieurs au XVIIIe siècle ; or on ne peut guère en signaler que six : The Anatomy of Humane Bodies, de William Cowper (1698), The Commonwealth of Oceana de James Harrington (1656), les Memoirs de Sir William Temple (1692), An introduction to natural Philosophy de John Keill (1700), A Body of Divinity de James Usher (1648), ainsi qu’une Bible (1653) signalée en latin mais qui doit être en anglais 33 – tous ouvrages correspondant à des centres d’intérêt que l’on connaît chez Montesquieu, qui sont peut-être aussi ceux d’une famille de magistrats (son grand-père et son oncle) ou d’officiers (son père) ; mais c’est trop peu pour indiquer un goût pour la culture anglaise et une capacité réelle pour la langue, et il faudrait avoir des raisons plus décisives pour attribuer à un autre que Montesquieu l’achat d’ouvrages en une langue qui n’a alors rien d’une langue de culture et qui est peu parlée en Europe. C’est donc à lui qu’il faut attribuer, sans hésitation ni réserve, l’acquisition des quelque soixante-quatorze ouvrages en cette langue 34 .

Montesquieu et la langue anglaise

Faut-il pour autant considérer que tous les ouvrages inscrits par l’abbé Duval, quelle qu’en soit la date, sont issus des voyages ? Il faudrait pour s’en convaincre être certain que Montesquieu ne lisait pas l’anglais avant son départ pour l’Autriche, au printemps 1728. La question, fondamentale pour qui s’intéresse à la formation intellectuelle de Montesquieu durant une période de grande effervescence philosophique en Angleterre, a toujours été traitée rapidement et avec beaucoup d’hésitations, faute de documents, semble-t-il, ou laissée dans le flou des probabibilités ou des suppositions, sans véritable démonstration ; l’envisager dans le cadre de la présente enquête a le mérite de poser la question sur des bases plus assurées.  « Il est peu probable que Montesquieu lisait l’anglais » en 1721, avance Paul Vernière dans son édition des Lettres persanes 35 , avant de signaler il est vrai que la source anglaise qu’il propose était traduite en français dès 1708. Dans un ouvrage où cette question pourrait occuper une place importante, Montesquieu and England : Enlightened Exchanges, 1689-1755, Ursula Haskins Gontier reste prudente, considérant que la question fait toujours débat 36 . Le témoignage de Montesquieu en la matière est flou ; il écrit en effet dans les Voyages :  « Un Irlandois qui m’enseignoit l’anglois m’apprit tout ce qu’il savoit sur cette langue et il fallut pourtant recommencer » 37 . Cette remarque, sans doute plus tardive, ne nous livre aucune date ; elle révèle surtout que même si Montesquieu a fait l’effort avant son voyage de s’essayer à l’anglais, il est très douteux qu’il ait été capable de lire des ouvrages quelque peu abstraits. Mais comment confirmer ce qui relève seulement de la probabilité ?

Ursula Haskins Gontier montre fort justement que Montesquieu use très tôt de périodiques tels que la Bibliothèque choisie de Jean Le Clerc, éminent passeur d’idées et de textes entre l’Angleterre et la France : ainsi de l’opposition entre Hobbes et Shaftesbury, et de la critique du premier (mais aussi de Mandeville) par le second, dans les Characteristicks of Men […], qui apparaît à l’origine de l’histoire des Troglodytes – c’est à Jean Le Clerc que Montesquieu doit ce qu’il connaît alors de Shaftesbury 38 . Un autre ouvrage de Shaftesbury, An Inquiry concerning Virtue, or Merit, semble aussi connu de Montesquieu grâce au volume XXIII (1711) de la Bibliothèque choisie 39 . Sur les mêmes bases, on peut balayer l’idée selon laquelle Montesquieu aurait connu Cudworth dès 1716, date de la Dissertation sur la politique des Romains dans la religion qui mentionne pourtant expressément cet auteur, ce qui semblait impliquer qu’il connaissait l’anglais, puisque The True Intellectuel System of the Universe n’est traduit (en latin) qu’en 1733 ; comme le montre une comparaison serrée des textes, c’est sans aucun doute possible Le Clerc (auquel Montesquieu arrive vraisemblablement parce que Bayle bataille contre lui) qui révèle Cudworth à Montesquieu, ou plutôt Montesquieu ne connaît de Cudworth que ce que Bayle (qui ignore l’anglais et doit se fier à Le Clerc) et surtout Le Clerc lui en apprennent 40 .

La présence dans le Catalogue manuscrit de la Bibliothèque angloise, ou histoire littéraire de la Grande-Bretagne de Michel de La Roche, va dans le même sens : l’objet de ce périodique d’Amsterdam est justement de faire connaître au public francophone les publications anglaises 41 . Les huit premiers volumes sont signalés par l’abbé Duval ; les huit suivants semblent apparaître plus tard (entre 1735 et 1739), ce qui montre la continuité de l’intérêt que Montesquieu lui porte ; il possède en fait la totalité de la collection, qui s’arrête en 1728 avec la seconde partie du quinzième volume. C’est manifestement une source qu’il faut explorer systématiquement si l’on veut mieux connaître comment Montesquieu s’est familiarisé avec la pensée anglaise.

Avons-nous ainsi la certitude qu’avant 1728 Montesquieu ne pouvait se fier qu’à des périodiques ou des traductions ? Certes non ; mais la charge de la preuve ne doit-elle pas être inversée, puisqu’on ne peut alléguer absolument aucun signe attestant que Montesquieu était capable de lire l’anglais avant 1729-1731 ? Chaque fois qu’on croit en trouver un, il est en fait récusé par la découverte d’un intermédiaire en français ; il faut donc considérer que Montesquieu ne connaît pas l’anglais avant les voyages, ou trop peu pour pouvoir le lire, et que tous les ouvrages en anglais inscrits par l’abbé Duval ont été acquis, quelle que soit leur date d’édition, en 1729-1731.

Cela permet d’ores et déjà d’insister sur un autre aspect des voyages, et surtout sur une nouvelle facette de l’intérêt que Montesquieu porte aux auteurs anglais. On l’a vu avec les pièces et opéras anglais et italiens : le Catalogue manuscrit non seulement livre les titres qui ont retenu son attention et dont il a voulu garder mémoire, mais révèle chez lui un goût pour le théâtre et l’opéra qui n’était certes pas inconnu, mais qu’on était loin de supposer aussi constant et aussi puissant, et surtout qu’on ne pouvait imaginer pouvoir dater aussi précisément : il s’étend à des ouvrages d’un genre beaucoup moins relevé comme Harlequin the Sorcerer, de Lewis Theobald 42 . Cela incite à en relever d’autres indices, comme ces  « Plais Englisch » en deux volumes, sans date, qui risquaient fort de passer inaperçus, mais surtout les œuvres de Shakespeare en neuf volumes datés de 1728 : pareil achat est remarquable quand on sait avec quelle méfiance, voire avec quel mépris le dramaturge est généralement considéré en France au XVIIIe siècle. Qui à cette date, à part Voltaire, montre la même curiosité 43  ?

À ce goût décidé, qui a pu aussi s’enrichir du fait qu’à Londres, on représente des pièces des grands dramaturges latins, Plaute et Térence, il faut ajouter celui qu’il nourrit pour la poésie, au point qu’il acquiert durant ces dix-huit mois des traductions anglaises d’auteurs latins, Perse et Ovide – peut-être lui permettaient-elles de se familiariser avec l’anglais. Il se procure également une traduction des idylles de Théocrite, mais aussi les œuvres de Congreve (également dramaturge), Rochester, Roscommon, Prior, Waller, Spenser, Dryden, et bien sûr Milton… On aura garde d’omettre ce qui est déjà apparu à travers maint titre déjà mentionné : Montesquieu est revenu d’Angleterre chargé des œuvres de Harrington, Francis Osborne, Robert Barclay (voir illustration), John Chamberlayne, Humphrey Prideaux, Gilbert Burnet, Hugh Latimer, Samuel Clarke, John Ray, William Wollaston : tous ouvrages qui lui permettaient d’aborder sous différents aspects, historiques et philosophiques, les questions religieuses et politiques librement discutées en Angleterre, et d’envisager sous un autre jour la pensée morale et esthétique, avec Hutcheson et Shaftesbury – sans même évoquer les pamphlets, journaux, brochures qui font de lui un familier d’Addison et Steele comme de Swift : on est sensible là encore à la liberté de ton qui se manifeste dans ces choix 44 . Montesquieu enrichira ultérieurement de plusieurs titres cette  « bibliothèque anglaise » destinée à son usage personnel ; mais l’essentiel est acquis dès 1731 – on y ajoutera plusieurs ouvrages scientifiques, déjà évoqués. L’expérience de ces dix-huit mois en Angleterre ne se résume pas à ces titres ; mais ces titres à eux seuls en suggèrent la mesure, révélant qu’en une aussi brève période s’est développée une curiosité illimitée, qui se traduit aussi par les pièces et opéras qu’il a vu représenter – on ne pourra alors guère compter que sur son témoignage, quand il n’en a pas conservé (ou quand a disparu) le texte ou le livret.

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Marque du président Barbot et correction de l’ex-libris de Montesquieu sur Apologie de la véritable théologie chrétienne de Robert Barclay, BM Bordeaux, T8803

Relations avec des auteurs

L’examen attentif du Catalogue, et la certitude qu’il inclut des ouvrages acquis à l’étranger durant cette période, permet de faire apparaître un autre mode d’acquisition : grâce à des relations, épisodiques ou durables. À Vérone, Montesquieu rencontre en septembre 1728 Scipione Maffei 45 , dont le Teatro italiano publié en cette ville en trois tomes de 1723 à 1725 apparaît dans le Catalogue, tout comme l’édition des Rime de Pétrarque publiée en 1711 par Muratori, qu’il a vu à Modène en juillet 1729 46 . Ces deux rencontres permettent de voir derrière ces titres une relation intellectuelle qui prolonge les conversations du voyageur soucieux de rencontrer les personnalités fortes de son temps.

Ces deux cas relevaient de l’évidence ; d’autres n’ont guère attiré l’attention, alors qu’on pourrait s’étonner de trouver dans le Catalogue deux ouvrages d’un partisan de la réforme de la Trappe et de l’abbé de Rancé, dom Malachie d’Inguimbert : Prodigi della grazia espressi nella conversione di alculni grandi peccatori morti da veri penitenti ne i monasteri della Trappa e di Buonsollazo, Rome, 1727, et Specimen catholicae veritatis, Pistorii (Pistoia), 1722 ; faut-il voir là une tentation théologique, à laquelle Montesquieu aurait fort bien résisté par ailleurs ? À Rome, au printemps 1729, il a fréquenté la maison du cardinal Corsini, futur Clément XII 47 , dont Dom Malachie d’Inguimbert était le secrétaire, le confesseur et le bibliothécaire. On verra donc là un don de l’auteur, comme c’est le cas pour l’ouvrage déjà évoqué de Thémiseul de Saint-Hyacinthe, qui porte une dédicace manuscrite,  « pour Monsieur le président de Montesquieu de la part de son très humble serviteur, Saint-Hyacinthe » ; or l’auteur vit à Londres et fait partie des relations que Montesquieu se crée durant son séjour. Sans qu’on puisse encore parler de  « réseau », sans qu’on puisse l’insérer dans les échanges internationaux de la République des lettres, il illustre la manière dont un voyage, surtout quand il se traduit en longues étapes, crée des relations dont les livres sont une des manifestations les plus durables – on notera cependant que le Catalogue ne signale jamais ces dons d’auteurs, même quand ils figurent explicitement sur l’ouvrage 48 .

C’est encore de cette manière qu’on peut expliquer la présence à La Brède d’éditions proches, comme le Traité d’optique de Newton traduit par Coste en 1720 et réédité en 1722 : on sait grâce aux reçus de libraires que Montesquieu l’avait acheté à Bordeaux en mai 1720 ; or il s’est lié avec Coste en Angleterre, et c’est sans doute ce dernier qui lui a donné également sa toute récente édition des Essais de Montaigne (1727), dont Montesquieu possédait évidemment une édition beaucoup plus ancienne et fort différente (1595). Mais il ne suffit pas de suivre le fil des voyages et des rencontres pour tout retrouver à La Brède : nulle trace dans le Catalogue, ni parmi les ouvrages qui ont traversé les siècles au château, de la Tabula chronologica historiae Sinicae (1729) que Mgr Foucquet atteste lui avoir donnée quand ils se rencontrèrent à Rome en juin 1729 49 , et que Montesquieu évoque par allusion dans sa correspondance 50 .

La documentation acquise en Italie, de manière générale, pose plus de difficulté que les livres anglais. Montesquieu, comme sans doute bien d’autres membres de sa famille, connaissait l’italien, langue de culture alors fort répandue, et il ne fait guère de doute qu’il la maîtrisait avant son départ : en témoigne son  « Voyage en Italie », où il glisse des expressions et même des phrases en italien 51 . Est-ce une raison pour considérer tout ouvrage ancien en italien comme un héritage ? On se gardera de l’avancer, même à titre d’hypothèse : on a vu que Montesquieu a acheté en Angleterre plusieurs livres anciens, et ceux qu’il acquiert en 1717-1722 datent parfois de plusieurs décennies 52  ; pour décider qu’un ouvrage en italien a été hérité, et non acheté ou reçu, il faut le prouver.

La même prudence s’impose devant un ouvrage tel que la Biblioteca italiana de Haym (1728), dont la date de publication indique qu’elle n’a guère pu être achetée qu’à Venise où elle était parue, ou à la rigueur quelques mois plus tard ailleurs en Italie. On ne peut en aucun cas la considérer comme un guide d’acquisition que Montesquieu aurait suivi pour se conformer à un canon bibliophilique : sa bibliothèque n’a strictement rien à voir avec celle d’un bibliophile, comme on pouvait déjà le noter en remarquant l’indifférence aux provenances illustres, et comme le confirme sans appel l’examen des reliures, d’une grande médiocrité 53  ; et s’il a pu puiser dans ce répertoire de livres italiens des enseignements utiles, rien ne confirme qu’il ait acheté méthodiquement, ou par préférence, les ouvrages recommandés par Haym – ou plutôt les éditions qu’il recommande, car la bibliophilie s’intéresse avant tout aux éditions. Il est encore plus discutable que tout ouvrage figurant dans sa bibliothèque sans être mentionné par Haym puisse être considéré comme lui étant revenu par héritage 54 . La culture italienne de Montesquieu est un objet fort complexe, qui mérite une ample étude car elle s’étend dans des domaines très divers, en particulier celui du savoir historique. Cette étude reste en grande partie à faire, comme le signale Girolamo Imbruglia 55 – c’est un des enseignements des voyages, tels qu’ils se déduisent du Catalogue.

Mode de constitution du Catalogue manuscrit

La conclusion s’impose : le Catalogue manuscrit présente un grand nombre d’ouvrages rapportés des voyages. Mais est-ce une découverte ? Leur présence, facilement visible quand il s’agit de livres datant de la fin des années 20 (Shackleton avait justement repéré l’ouvrage le plus tardif, celui de 1731, mais la première édition du Catalogue en signalait aussi plusieurs), n’avait certes pas échappé aux commentateurs, qui pouvaient l’expliquer aisément : les espaces blancs ménagés entre les notices, voire les pages laissées vierges, ne permettaient-ils pas des ajouts ? Mais l’explication ne tient pas : d’une part, comme le montrent dans la base de données nos remarques sur les dates d’acquisition et comme l’a déjà suggéré ici même la simple mention de leurs titres, leur nombre est beaucoup plus grand que ce qu’on avait pensé jusqu’alors : c’est par dizaines (on arrive même à une centaine) qu’ils se comptent désormais, en anglais, en italien, en latin, en français, et dans tous les domaines, et c’est une liste qu’il faut tenir ouverte, notamment pour les livres en italien ou imprimés en Italie ; mais surtout, et cela seul est décisif, les ouvrages clairement identifiés comme issus des voyages, loin d’avoir été intercalés dans des listes déjà constituées, apparaissent inscrits de la même plume et de la même encre, et sans que soit altérée la régularité des interlignes dans la succession des notices ; ils font donc bel et bien partie de la copie initiale.

Il devient dès lors purement et simplement impossible de considérer que le Catalogue était constitué avant le retour de Montesquieu. On est donc dans le même cas de figure qu’avec les extraits de lectures et les Pensées : considérer que le secrétaire D a interrompu son activité en 1731 a longtemps interdit d’expliquer un certain nombre de faits qui deviennent au contraire limpides et parfaitement cohérents pour peu qu’on étende sa période de service jusqu’au début de 1733, soit près de deux ans après le retour des voyages. C’est dans cette perspective que nous devons désormais envisager le Catalogue.

Du répertoire au projet intellectuel

La principale conséquence qu’il faut retenir de cette conclusion est que l’établissement du Catalogue, loin d’avoir été laissé, dans l’ensemble comme dans le détail, à l’initiative d’un secrétaire désœuvré, n’a pu être ordonné et même déterminé que par Montesquieu lui-même. Que ce projet se soit imposé au retour des voyages, en une période où l’on imaginait Montesquieu plongé dans la réflexion sur son expérience anglaise et la préparation des Considérations sur les […] Romains , est digne de remarque. Si, comme nous le pensons, le début des Pensées doit aussi être daté de cette même période, alors que le Spicilège est largement antérieur et a suivi Montesquieu dans ses voyages, cela veut dire qu’il passe d’une phase où il se contentait de compiler des informations de tous ordres (ce qu’il continuera à faire, car le Spicilège l’accompagnera jusqu’en 1750), à une période où il adopte une position intellectuelle beaucoup plus critique et autonome – car c’est ainsi que l’on peut caractériser l’opposition entre les deux recueils. Si l’on s’en tient au seul Catalogue de La Brède, sa constitution apparaît comme un prélude à un autre projet, tout aussi capital pour sa formation intellectuelle et sa méthode, celle des extraits de lecture ou  « bibliothèque manuscrite » qui, on le sait désormais, commence durant la même période 1731-1732 56 . L’un et l’autre s’inscrivent dans une perspective nouvelle : la maîtrise de savoirs jusque-là disséminés dans une multitude de livres.

La structuration des savoirs

Certes, une bibliothèque de trois mille ouvrages, correspondant à environ quatre mille cinq cents volumes, reste à taille humaine, mais à condition que l’on dispose d’un véritable instrument de travail, d’un répertoire efficace : il faut donc structurer fortement, et finement, le Catalogue. On a rappelé le soin avec lequel étaient distinguées les catégories relevant de la théologie ou de l’histoire, mais il faut aussi signaler la distinction des champs scientifiques, des différentes catégories de jurisconsultes… Montesquieu aurait-il pu laisser cet aspect, capital, au seul soin du secrétaire 57  ?

On jugera que la catégorisation est parfois contestable, ainsi que la répartition des ouvrages ; on en trouvera quelques exemples, en prenant garde toutefois que certaines erreurs manifestes sont dues à des secrétaires plus tardifs 58 , et que certains intitulés doivent être interprétés : ainsi des actes du synode de Dordrecht 59 (isolés il est vrai sur une page) à la fin de la rubrique  « Concilia », terme qui doit sans doute être pris dans son sens générique, et non au sens précis de  « conciles », même si les conciles de l’Église romaine occupent presque toute la rubrique. En tout état de cause, on se gardera bien désormais de considérer l’organisation générale ou la définition des rubriques comme une armature dont Montesquieu aurait dû s’accommoder, ou qui s’imposait en vertu de contraintes extérieures : elle fait partie de la démarche intellectuelle qui constitue le Catalogue, même si toutes les particularités ne peuvent être analysées comme autant de manifestations des choix de Montesquieu. En témoigne une rubrique biffée,  « Hist[oriae] Terrae Australis scriptores », à la page 568 du Catalogue manuscrit, où Duval avait placé l’Histoire des Sévarambes de Denis Vairasse et La Terre australe connue de Gabriel de Foigny, également répandue sous le titre Les Aventures de Jacques Sadeur ; Montesquieu rectifie en inscrivant lui-même ces deux utopies, plus justement, parmi les  « Mithologici […] romanenses et satyrici » 60 , et sans doute en biffant lui-même l’ancienne rubrique ; mais cela n’est pas fait avant 1735, puisqu’on en trouve la trace dans la table des matières qui, comme on le verra, est postérieure. Même si on peut imaginer que Montesquieu n’ait lu que bien tard les deux ouvrages, ce qui lui aurait fait considérer alors comme non pertinente la rubrique des  « Terres australes », il est plus vraisemblable que Duval avait reçu la consigne générale de distinguer les ouvrages selon des aires géographico-historiques, mais que leur répartition, et en l’occurrence l’invention d’une rubrique, étaient de son cru. La question est donc loin d’être claire.

Aussi faut-il essayer de prendre les choses autrement, en partant des rubriques elles-mêmes, pour se demander si elles reflètent une catégorisation préalable, voire canonique, qu’aurait appliquée un secrétaire certes capable et instruit, mais dont la culture est limitée et qui de toute manière n’est pas seul maître du jeu, ou si elles tiennent à des modalités de pensée plus originales, où l’on pourrait voir l’intervention de Montesquieu.

Il paraît de ce point de vue particulièrement intéressant de considérer la rubrique  « Architectoni, mechanici, optici, etc. », le et cetera ouvrant un champ très large qui permet d’inclure des ouvrages portant sur la peinture, et de les faire voisiner avec l’Optique de Newton (dont le titre est répété dans la section des  « Philosophes ») et le Traité de l’équilibre des liqueurs de Pascal. Venant après les mathématiques et la musique, art des rapports, cette classe définit l’architecture avant tout comme une science de la perspective et des proportions, et donc comme un art du regard, ce qui n’étonne pas quand on lit les Voyages ou les Pensées, où la question de l’optique en art apparaît primordiale, ou quand on voit dans le Spicilège Montesquieu s’intéresser, au moins superficiellement, à toute un série d’ouvrages intitulés Perspectiva 61 .

L’ordre des rubriques est lui-même digne de remarque : la théologie vient en tête – c’est une autre disposition qui aurait été surprenante. Mais viennent ensuite les  « Morales » : après Dieu, les hommes, avec toutes leurs faiblesses… La démarche est audacieuse 62 . Certes, la rubrique s’ouvre avec L’Abus des nudités de gorge de l’abbé Boileau, et on découvre comme on s’y attendait La Bruyère et des ouvrages portant sur les cas de conscience, mais en fait d’auteurs moraux, on trouve là plusieurs romans, depuis Les Aventures de Télémaque ou L’Espion turc jusqu’aux Lettres persanes ; sans oublier l’Éloge de la folie, des vers amoureux de Bembo, Les Azolins, et sept titres d’Addison… Ainsi est dépouillée la rubrique  « Mithologici, fabularum scriptores, romanenses, amatoria, satyrici, etc. » 63 . Signe qu’est introduite une distinction entre les écrits d’imagination et de pur divertissement, et ceux qui enseignent quelque chose de l’homme et de ses passions ou de son rapport au monde ? Mais alors pourquoi parmi les  « Mithologici… » trouve-t-on A Tale of a Tub de Swift, ou Le Temple de Gnide qui montre les ravages de la jalousie ? Le partage ne va pas sans difficulté. Mais l’essentiel n’est-il pas que, contre toute attente, une telle place ait été réservée à l’écriture de fiction, avant même le droit, qu’on attendrait à une place plus prestigieuse ?

Autre catégorie qui révèle des enjeux complexes : la philosophie. Cette fois, c’est l’ampleur de la définition qui frappe : loin de se décliner en morale, logique, métaphysique…, comme s’y attend un lecteur rompu aux distinctions modernes, elle regroupe sans distinction 187 titres – sans pourtant qu’on y trouve la Théodicée de Leibniz, rangée sous le chef de la théologie, après semble-t-il l’intervention de Montesquieu 64 , ni les Provinciales de Pascal, classées parmi l’histoire de l’Église. La philosophie traite donc de la place de l’homme dans le monde, voire de l’histoire du monde. La rubrique s’ouvre par une citation extraite d’une ode à Newton 65  : et de fait elle englobe la physique (ou philosophie naturelle), comme il est de tradition, sans pour autant reprendre les catégories anciennes d’éthique, de métaphysique et de logique 66 . Castel, Mariotte, Boyle et Mairan voisinent donc avec Épictète et la  « sape de la philosophie des cartésiens » du Bordelais d’Arcons ou la Démonstration de l’existence de Dieu de Fénelon. Mais arriverons-nous à en comprendre tous les choix ? Le Traité des eunuques d’Ancillon y trouve également sa place… mais Lucrèce fort peu, avec seulement une traduction 67 .

Le même souci englobant semble présider à la conception de la rubrique  « Literatores, philologi, oratores, critici, grammatici », dont les 170 titres vont de Cicéron au Dictionnaire néologique de Desfontaines 68 . Pareille généralisation permet d’éviter les dangers de subdivisions sujettes à caution, et qui surtout compliqueraient l’usage de la bibliothèque. Mais l’extension la plus remarquable, et sans doute la plus intéressante sur le plan intellectuel, concerne la politique, avec 87 ouvrages : certains consacrés à l’impôt, comme le Projet d’une dîme royale de Vauban, à l’économie, comme Les Intérêts de l’Angleterre mal entendus de l’abbé Dubos ou Trade and Navigation of Great Britain de Joshua Gee, à la philosophie politique, comme les œuvres de Hobbes ou de Pufendorf. Loin de se cantonner, de Machiavel à Gracian, à la science du gouvernement et à l’étude des formes du pouvoir, comme le veut la tradition 69 , la politique apparaît comme le mode de compréhension de la vie en société. Certes on n’a pas là une conception propre au seul Montesquieu ; mais la place que tient dans cette section le commerce, au sens très large qu’a ce mot au XVIIIe siècle, qui renvoie en fait à la pensée économique, et la conception même de l’homme comme être social et comme citoyen, constituent les fondements de la pensée de Montesquieu dans L’Esprit des lois.

Ainsi il nous semble que les divisions d’ensemble et les principes qui les sous-tendent relèvent de la démarche même de Montesquieu, et ce qui est plus remarquable encore, qu’au retour des voyages, ces principes semblent d’ores et déjà fixés. Si le détail, comme pour les  « Terres australes », peut être laissé, sinon à l’initiative, du moins à l’exécution du secrétaire, l’esprit en est celui de Montesquieu – ce qui ne lève pas pour autant toutes les difficultés.

À ces grandes masses s’oppose l’extrême détail des rubriques  « De re cibaria » (De l’alimentation), qui ne contient que deux items, ou  « Scriptores de instrumentorum et artium inventoribus » (Inventeurs d’instruments et de techniques), où à travers cinq titres prédomine l’aspect pratique, voire utilitaire ; quatre d’entre eux relèvent d’achats propres à Montesquieu puisqu’ils ont été publiés de 1716 à 1723, le cinquième, les Principes d’architecture de Félibien (1671) étant inscrit par un secrétaire postérieur à l’abbé Duval, et témoignant donc d’une acquisition tardive. N’est-ce pas cet intérêt particulier qui aurait incité à les regrouper ? Citons encore la section dévolue à la musique : sur les six titres, cinq sont postérieurs à 1719, ce qui justifie sans doute que cet art soit distingué des autres, alors même que les livrets d’opéras anglais et italiens évoqués plus haut apparaissent dans la section des  « Poètes ». Mais une seule page était réservée à la musique, et deux ouvrages seulement ont été inscrits par Duval, tous deux consacrés à la musique antique : y inscrire par la suite Quinault et Rameau revenait peut-être à détourner la rubrique de sa définition initiale.

Il faut parfois constater sans prétendre tout justifier ; sans doute faut-il voir en effet dans cette répartition la conséquence d’habitudes anciennes, ou personnelles, de classement et de consultation, accompagnées du sentiment que la délimitation de certaines catégories contient une dose irréductible d’arbitraire, ce qui les frappe d’emblée de faiblesse sur le plan théorique, mais qui renforce d’autant ce qu’on pourrait appeler leur valeur d’usage. On se gardera donc bien de voir dans l’assignation d’un ouvrage à telle rubrique une définition qui en circonscrirait la portée : il s’agit plutôt d’une proposition, voire d’un moyen commode de localisation, à l’usage du possesseur de la bibliothèque. Aussi trouvera-t-on les écrivains grecs que sont Denys d’Halicarnasse ou Dion Cassius parmi les auteurs traitant de Rome, et l’historien latin d’Alexandre, Quinte-Curce, dans la section consacrée à la Grèce : l’usage qu’en fait le lecteur prime sur la langue ; c’est l’objet qui détermine le classement, non des catégories théoriques préexistantes, si légitimes soient-elles. Et c’est certainement pour les mêmes raisons purement pratiques qu’ont été classés parmi les  « Lexicographi » et autres auteurs de dictionnaires les répertoires de droit comme ceux de Brillon ou les recueils de jurisprudence bordelaise de Lapeyrère, qui se présentent les uns et les autres par ordre alphabétique 70 . Inversement, parfois le genre littéraire, ou la forme, l’emporte sur le contenu : Denys le Périégète, traduit en latin par Priscien, figure parmi les poètes, alors que l’objet du De situ orbis le définit généralement comme répertoire géo-historique ; erreur du secrétaire, qui s’est fié à ce qu’il voyait, ou choix du lecteur privilégié qu’est le possesseur ? Le partage est impossible.

Jeux et réflexions

La rigidité d’un catalogue doit être compensée par la souplesse de l’utilisation. C’est la fonction d’un système de renvois d’une rubrique à l’autre, qui parfois signale la présence du même titre dans deux rubriques différentes. Ce renvoi, sous la forme Vid., c’est-à-dire  « voyez », est de la main de Duval, mais les différences de couleur de l’encre le désignent comme postérieur à l’inscription initiale – sans que l’écart chronologique entre les deux soit nécessairement important : il s’agit simplement de deux étapes. Quand l’ouvrage est inscrit deux fois, cela fait apparaître des doublons ; mais cette pratique est sans doute destinée, de manière tout à fait méthodique, sans être systématique, à dépasser les faiblesses inhérentes à cette structuration comme à toute autre. Certes, une difficulté subsiste, car de nombreux renvois semblent vides, puisque l’ouvrage n’est inscrit qu’une fois ; mais ils permettent d’indiquer de quels domaines divers relèvent certains ouvrages 71 .

On peut aussi se demander si une autre pratique, très spécifique, relève ou non de la conception initiale du Catalogue. Les citations autographes dont Montesquieu accompagne de nombreux titres de rubriques 72 ne peuvent être datées, et il n’est aucun moyen de savoir dans quelles circonstances il les appose et surtout les conçoit – sinon en constatant qu’elles n’étaient certainement pas prévues dès l’origine, puisqu’elles se posent au-dessus, au-dessous ou à côté du titre, faute d’emplacement prévu à cet effet 73 . Mais elles pouvaient s’imposer dès la première lecture du Catalogue. Ce n’est pas un pur jeu d’esprit, une succession de remarques fugitives que leur ironie réserverait au seul Catalogue : beaucoup d’entre elles se retrouvent dans les Pensées, généralement appliquées au même objet. Le Catalogue recueille-t-il les réflexions des Pensées, ou l’inverse ? En raison du caractère régulier de cette pratique au fil des pages, on peut penser que le Catalogue fournit au moins l’occasion de la citation – il révèle même quelquefois une lecture qu’on n’aurait pas soupçonnée, comme les Tractatus juridico-politici du jurisconsulte néerlandais Philippe de Leyde cités en tête des  « Juris canonicis scriptores » 74 . C’est en tout cas un mode d’appropriation : les cadres du Catalogue peuvent aussi se prêter à des jeux, en parfaite continuité avec l’œuvre qui s’écrit dans les recueils personnels : aussi avons-nous signalé les autres occurrences des citations dans l’œuvre de Montesquieu, comme autant de passerelles jetées vers celles-ci.

Les ouvriers

Pour appliquer ce mode de structuration et y faire entrer près de trois mille ouvrages, il faut des connaissances qui excèdent sans doute celles de Duval, mais peut-être bien aussi celles de Montesquieu : les deux hommes ont affaire à des ouvrages parfois très anciens, dans les domaines les plus divers. N’ont-ils pas eu besoin d’une aide ? Rien ne le prouve. Tout juste peut-on le suggérer, au vu de certains ex-libris – car le travail de catalogage accompli à La Brède s’est accompagné d’une campagne systématique d’apposition de l’ex-libris manuscrit de Montesquieu sur chaque ouvrage 75 –, qu’un troisième homme a pu intervenir ; car parmi les ouvrages inscrits dans le Catalogue par Duval, si la grande majorité porte un ex-libris de sa main (voir illustration), on en relève aussi une autre, qui appose la formule rituelle  « Ex bibliotheca D[omini] Præsidis de Montesquieu catal[og] inscrip[tus] » (voir illustration) 76 .

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Ex-libris de Montesquieu de la main de l’abbé Duval, dit secrétaire D, BM Bordeaux, PF 44357
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Ex-libris de Montesquieu de la main de l’abbé Duval, dit secrétaire D, BM Bordeaux, LAB 3096
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Ex-libris de Montesquieu de la main de l’abbé Duval, dit secrétaire D, BM Bordeaux, PF 1074
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Ex-libris de Montesquieu d’une main non identifiée, dite D1, BM Bordeaux, LAB 3118
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Ex-libris de Montesquieu de la main du du secrétaire E, daté de 1739, BM Bordeaux, LAB 503
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Ex-libris autographe de Montesquieu, BM Bordeaux, LAB 1136

La récurrence de cette main sur des livres anciens, en particulier des livres portant l’ex-libris de l’arrière-grand-père de Montesquieu, le président Dubernet (voir illustration) a pu nous faire soupçonner qu’il s’agirait d’un secrétaire remontant à une époque antérieure, celle du président Jean-Baptiste de Montesquieu, oncle du philosophe, mais sans remonter plus haut, car l’écriture ne peut être antérieure au XVIIIe siècle. Si le président, mort en 1716, avait souhaité apposer son ex-libris, celui-ci n’aurait-il pas été identique à celui de Charles Louis de Montesquieu, président comme lui et portant le même nom ? Et ne risquerait-on pas de ce fait de confondre l’un avec l’autre, seule la  « main » permettant de les distinguer ? L’hypothèse était séduisante, car elle offrait un élément de réponse à une question que nous envisageons par ailleurs 77 , l’origine de cette bibliothèque : n’aurait-on pas ainsi la trace d’une transmission par héritage ? Mais on voit aussi cette main sur un ouvrage dont nous savons par un des reçus de libraires que Montesquieu l’achète en 1720 78  ; par ailleurs, ne devrait-on pas trouver cet ex-libris beaucoup plus souvent ? Enfin, si son oncle le président de Montesquieu avait usé d’une formule spécifique pour marquer ses livres, son neveu et héritier aurait eu à cœur de s’en distinguer. L’hypothèse doit donc être abandonnée.

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Ex-libris du président Dubernet et ex-libris de Montesquieu de la main D1, BM Bordeaux, LAB 270

On a donc affaire à un  « troisième homme », dont on remarque qu’il est surtout actif du côté des ouvrages de droit, et sur d’autres ouvrages anciens ; pour le désigner, on usera de l’abréviation  « D’ », en raison de sa concomitance avec Duval ( « D »), mais sans qu’on puisse, semble-t-il, repérer sa main dans des manuscrits de Montesquieu. Peut-être son rôle s’est-il borné à des tâches matérielles, parmi lesquelles l’inscription de l’ex-libris, sans qu’il soit intervenu dans le classement lui-même : les ouvrages de droit ne sont-ils pas justement ceux que Montesquieu connaît le mieux ? En l’état actuel des connaissances, on considérera donc seulement qu’il est intervenu matériellement, Montesquieu et surtout l’abbé Duval accomplissant l’essentiel.

Modalités de travail

Il est évidemment décevant de ne pouvoir distinguer ce qui revient à l’un et à l’autre ; on supposera plus volontiers, mais sans pouvoir l’affirmer positivement, que celui qui est capable de désigner l’auteur d’un ouvrage anonyme est plus sûrement celui qui l’a lu ; mais comment prouver que l’ouvrage a bien été lu ? On s’en tiendra à quelques remarques : le premier volume du Parrhasiana de Jean Le Clerc, où ce protestant affirme vigoureusement sa liberté de parole et de pensée 79 , est dit contenir  « la défense de M.L.C. » – nom que développe la notice du Catalogue ; or on sait que Montesquieu avait lu le Parrhasiana, qu’il attribue évidemment à Le Clerc, à une date voisine de celle où le Catalogue est dressé 80 . En revanche, quand il s’agit d’attribuer un auteur à une traduction d’Homère, le nom de  « Mad[ame] Dacier » s’impose, quand il aurait fallu inscrire celui de La Valterie 81 . Mais comment savoir qui est responsable de ces identifications ?

C’est par comparaison avec le travail d’autres secrétaires que celui de Duval peut aussi être défini : on le verra, certaines notices ont été dictées, et reproduisent donc les paroles mêmes de Montesquieu. Cela ne semble pas être le cas pour celles qu’inscrit Duval, sauf pour  « Libnits » 82 – le secrétaire ayant d’abord placé les Essais de théodicée juste après  « Escobar » 83 , signe qu’il ignorait le nom de l’auteur, qui ne figure pas sur la page de titre, Montesquieu a manifestement fait rectifier la notice, qui désormais s’intercale entre  « Hosius » et  « Lombard ». Par ailleurs, on trouve parmi les milliers de notices que Duval a inscrites des fautes d’orthographe, des confusions, des erreurs de date sur les chiffres romains – mais elles sont finalement peu nombreuses, et minimes, sauf les dernières, que nous signalons systématiquement car elles pèsent sur l’identification des ouvrages ; les autres sont imputables à un défaut d’attention fort compréhensible, et finalement négligeable.

Quant aux quarante et une notices qui sont dues à Montesquieu, correspondant à trente-neuf titres 84 , elles ont l’inconvénient qu’on ne peut en dater l’entrée dans le Catalogue. Il s’agit dans cinq cas d’ouvrages italiens ou anglais manifestement rapportés des voyages ; mais beaucoup datent des années 1730, et seuls six sont antérieurs au XVIIIe siècle. Trois ne peuvent être datés, même approximativement : Montesquieu omet dans quinze cas la date d’édition, si régulièrement notée dans le reste du Catalogue.

Il semble avoir pris un plaisir particulier à ajouter à des notices qu’il inscrit lui-même une, voire deux citations qui commentent ironiquement l’auteur ou l’objet de l’ouvrage ; certes, cet usage, qui fait écho aux citations accompagnant les titres de rubriques, ne leur est pas réservé, mais la disproportion est frappante : alors qu’on en trouve vingt-sept pour plus de 3 200 notices du Catalogue, évidemment plus nombreuses dans les rubriques portant sur les belles-lettres et sur l’histoire qui s’y prêtent mieux, sept portent sur les notices de la main de Montesquieu. La pratique semble avoir évolué avec le temps : des vingt autres, deux seulement portent sur des notices inscrites par le secrétaire E, qui disparaît en 1739 ; aucune n’accompagne les notices dues aux mains plus tardives : les dix-huit restantes concernent donc les notices de l’abbé Duval. Est-ce le signe qu’après 1739, le jeu est terminé ? Cela renforcerait l’idée que Montesquieu n’intervient plus après la fin des années 1730, la date la plus tardive qu’il signale étant celle de trois ouvrages : Leonidas de Richard Glover, les Political Works d’Andrew Fletcher, et Il newtonianismo per le dame d’Algarotti.

Quand le jeu est encore en pleine vigueur, il n’épargne ni Desfontaines ni Voltaire, mais c’est  « la stupidité des rois et des peuples » évoquée par l’Histoire des révolutions d’Angleterre du père d’Orléans qui est dénoncée par la voix d’Horace 85 . La citation peut aussi aider à l’identification, ou du moins fournir une indication : ainsi les  « Cent nouveles nouveles » sont attribuées par Montesquieu à  « Marguerite reine de Navarre » 86 , ce qui pourrait passer pour une reconstitution erronée du titre de l’Heptameron, alors répandu sous le titre Contes et nouvelles de Marguerite de Valois, reine de Navarre 87  ; mais un vers d’Horace place l’ouvrage sous le signe du plaisir charnel, ce qui incite à retrouver sous ce titre soit les Cent nouvelles nouvelles, plus anciennes et surtout beaucoup plus libres que le raisonnable et parfois raisonneur Heptameron, soit, et c’est sans doute plus vraisemblable, les histoires amoureuses de Mme de Gomez également publiées sous ce titre à partir de 1733.

L’intervention de Montesquieu lui-même dans le Catalogue correspond-elle à une intention particulière ? On voudrait le croire, mais en l’état actuel, rien ne le prouve : il inscrit plusieurs périodiques, parmi lesquels, il est vrai, le volume des Mémoires de Trévoux où a été publié le compte rendu des Romains par le père Castel 88 , que celui-ci lui avait volubilement annoncé avant de le lui envoyer 89  ; seulement deux livres scientifiques, plusieurs livres en anglais et en italien, mais surtout des ouvrages relevant de l’histoire et de manière générale des belles-lettres – on a déjà mentionné les deux qui ont trait aux  « terres australes ». Parmi ceux-ci, on relèvera particulièrement, d’Adriaan Reeland, De la religion des mahométans (1721), qu’il n’a pas dû connaître quand il rédigeait les Lettres persanes, mais qui a dû l’intéresser pour des raisons évidentes, et l’Institution au droit français, en deux tomes, d’Argou (1730). C’est en tout cas une voie qu’il faudrait explorer systématiquement.

Le Catalogue, reflet de la bibliothèque ?

Le classement de la bibliothèque

Il faut tirer les conclusions de ces modalités de travail : Montesquieu a suivi de près et en ce sens dirigé la réalisation du Catalogue – même s’il a fourni des principes plus qu’il n’a déterminé le détail du classement, et s’il l’a relu plutôt que conçu ; celui-ci doit refléter l’usage qu’il souhaitait en faire. L’idée n’apparaît-elle pas évidente ? Comment Montesquieu aurait-il pu se retrouver – surtout après le départ de Duval, qu’il savait de toute manière prochain – dans une bibliothèque qui aurait été organisée selon des principes et surtout des habitudes qui n’étaient pas les siens ? Car si le Catalogue a été constitué pour être utilisable, n’est-ce pas dans la mesure où il restitue la structure même de la bibliothèque ?

La table des matières, ou plutôt des rubriques, qui figure à la fin du Catalogue manuscrit nous en restitue fidèlement l’image ; mais de manière assez étonnante, elle n’est pas de la main de Duval, mais de celle du secrétaire E : Montesquieu a-t-il attendu plusieurs années avant de la constituer, alors que rien n’était plus facile que de la tirer des titres si commodément inscrit en haut des pages ? Cette idée s’imposerait, si une dizaine de pages précédant cette table n’avait pas été soigneusement découpée : on peut penser sans invraisemblance que devait se placer là la table que l’abbé Duval n’avait pu manquer de dresser ; peut-être entachée d’erreurs, ou peu lisible, elle a paru devoir être remplacée quelques années plus tard.

Mais il ne suffit pas de circuler facilement dans les six cents pages du Catalogue : il faut retrouver sur les rayons l’ouvrage que l’on cherche. Or nous butons sur une difficulté majeure, qui interdit pour le moment toute restitution visuelle, toute reconstitution virtuelle de la bibliothèque : l’organisation théorique définie par le Catalogue manuscrit ne peut refléter l’organisation physique des livres de la bibliothèque. En effet il est matériellement impossible, pour la conservation et même pour que les ouvrages tiennent en équilibre sur les rayons, qu’un in-folio soit encadré par des in-quartos ou des in-douze, comme on le voit sur le papier à chaque page du Catalogue ; la hauteur nécessaire aux grands formats ferait également perdre énormément de place, limitant le nombre des rayons – sans compter la difficulté même qu’on rencontrerait à ranger des ouvrages lourds à tous les niveaux des armoires. Les in-folio devaient être rangés, comme dans toute bibliothèque, dans la partie la plus basse des armoires ; c’est donc plutôt l’organisation générale, autrement dit les rubriques, qui devait correspondre au rangement effectif des ouvrages. Sans doute trouvera-t-on des éclaircissements dans l’exploitation des cotes anciennes qui figurent sur la plupart des ouvrages de La Brède – si du moins elles sont bien contemporaines de Montesquieu 90 . Pour le moment, il est difficile d’aller plus loin.

Mais il faut surtout poser ici des questions plus fondamentales encore pour la compréhension purement intellectuelle du Catalogue manuscrit. Se demander s’il reflète (ou non) la bibliothèque peut avoir un autre sens, qui lui-même se dédouble :
– tous les ouvrages qui y ont été inscrits ont-ils été lus, ou du moins ont-ils suscité quelque intérêt chez leur possesseur ?
– tous les ouvrages de Montesquieu y sont-ils inscrits ?

Tant que ces questions restent pendantes, nous courons le risque d’analyser une coquille, et de laisser échapper l’être vivant qui certes s’y loge et en a besoin pour vivre, mais ne s’y réduit pas…

Les ouvrages  « morts »

Cet énorme Catalogue manuscrit fournit les titres de beaucoup d’ouvrages dont on ne connaît pas l’origine, comme on le verra avec la partie consacrée à son enrichissement, et dont on peut facilement supposer que Montesquieu en a hérité, sans qu’on puisse, dans la plupart des cas, les identifier comme tels 91 . Quelle preuve avons-nous que Montesquieu les a lus, ou même ouverts ? Actuellement aucune – d’autant que même les ouvrages qu’il achète lui-même peuvent ne pas avoir été regardés : ainsi de Della laguna di Venezia de Bernardo Trevisan, déjà signalé parmi les acquisitions faites à Florence : l’ouvrage, qui correspond si fortement aux intérêts de Montesquieu comme en témoignent les Voyages eux-mêmes, n’a pas été coupé au-delà de la page 5 92 . Si d’autres livres ont été dans le même cas, on risque fort de n’en rien savoir, car en deux siècles, d’autres lecteurs sont passés par là – ce qui, à l’inverse, ne doit pas faire surestimer les traces anonymes de lecture figurant dans des ouvrages qu’il a possédés 93 .

Un critère paraît sûr, pour désigner des ouvrages  « morts », ou du moins que Montesquieu ne pouvait lire et qu’il n’a pas acquis lui-même : les ouvrages en grec. On savait depuis longtemps que Montesquieu ne connaît pas le grec,  « la langue du monde la plus difficile » 94  : il n’en a jamais donné aucun signe, ni par des citations, ni par l’usage de textes en langue originale, ni même par des remarques incidentes ; l’extraordinaire expansion du corpus manuscrit depuis 1993 n’a livré aucune révélation qui contredise cette idée. Nous avons seulement appris, avec l’acquisition de la Palaeographia Graeca de Montfaucon en 1720 95 , que l’histoire de la langue grecque et de son écriture a retenu son attention, d’autant qu’elle s’accompagne en l’occurrence de recherches sur les  « bibliothèques grecques » anciennes et modernes, sur les instruments de l’écriture, etc. –, autant de sujets qui relèvent de l’archéologie et de l’histoire ancienne et ne décèlent aucun désir de s’initier à la langue grecque. C’est donc sans hésitation que nous devons considérer comme exclus de la  « bibliothèque vivante » ou bibliothèque propre à Montesquieu les ouvrages en grec, soit une vingtaine, dont la moitié dans la partie du Catalogue manuscrit consacrée à la théologie ; il doit en être sans doute de même pour plusieurs dictionnaires mono- ou bilingues qui, à la différence de celui de Suidas, ne relèvent pas de l’information d’ordre historique 96 . Ainsi on ne pourra plus supposer que pour lire Eusèbe de Césarée, source principale pour l’histoire des trois premiers siècles de l’Église, Montesquieu avait le choix entre cinq ouvrages : seuls deux d’entre eux, traduits par Jacobus Grynaeus et Marcus Hopperus, lui étaient accessibles 97 . Et de Sophocle, Montesquieu ne peut finalement lire à La Brède que les pièces traduites en français par André Dacier en 1692, Œdipe et Électre , qu’il renouvelle en acquérant la nouvelle traduction d’Œdipe par Boivin en 1729, l’autre édition disponible 98 restant pour lui hermétique.

Ce cas spécifique mis à part 99 , le problème doit être envisagé dans son ensemble. Il faut donc reprendre ici les précautions méthodologiques établies à propos des catalogues de vente du XVIIIe siècle 100 , allégées il est vrai du fait qu’à la différence des catalogues établis par des libraires, dans un catalogue domestique comme celui-ci, nul n’est poussé par un intérêt matériel à faire apparaître plus de livres qu’il n’en était. La prudence s’impose donc, et tout ce que peut offrir la recherche, c’est de voir dans ce Catalogue la possibilité que Montesquieu ait lu les ouvrages qui le composent 101 . Néanmoins, cette position qui était nôtre il y a quelques années a quelque peu évolué, au fur et à mesure qu’a reculé devant nous l’horizon des lectures de Montesquieu, toujours plus nombreuses et plus inattendues, avec la découverte des extraits et notes de lectures, du manuscrit de L’Esprit des lois, etc. La profondeur de ses connaissances semble insondable – ce qui incite plus que jamais à explorer tous les recoins de cette coquille, plus pleine que vide.

D’autres éléments nous révèlent la fragilité des indices sur lesquels nous pourrions nous appuyer. Peut-on considérer comme un ouvrage mort celui auquel Montesquieu n’a jamais fait référence ? Ainsi des Cérémonies nuptiales de toutes les nations (1680), de Louis de Gaya : l’ouvrage n’a guère suscité d’intérêt, il est peu cité au XVIIIe siècle, et jamais Montesquieu lui-même ne semble l’avoir utilisé dans L’Esprit des lois, le Spicilège ou les Pensées. Mais il en a tiré un extrait de cinq pages dans les Geographica, preuve incontestable de son intérêt pour la diversité des coutumes et des mœurs matrimoniales dont ce petit volume offre un panorama. Cet intérêt se retrouve dans son  « Histoire de la jalousie » inachevée, mais surtout dans les livres XVI et, XXIII de L’Esprit des lois, avec toutes les réflexions que suscite la polygamie – même si Gaya ne semble avoir joué qu’un rôle sous-jacent (ou de témoin) en la matière. Si les Geographica n’avaient miraculeusement subsisté au milieu des dizaines de volumes d’extraits qui ont disparu, on aurait pensé que les Cérémonies nuptiales de Gaya faisait partie de ces  « livres morts », ou du moins inertes, que Montesquieu n’avait jamais dû ouvrir.

Mais l’essentiel est peut-être ailleurs : il est nécessaire en effet de se replacer dans une économie du livre fort différente de celle des lecteurs, ou plutôt utilisateurs de livres d’aujourd’hui. Quand on suppose que les livres possédés ne sont pas des livres lus, il semble que l’on extrapole, d’une manière qui risque fort d’être anachronique, à partir de pratiques actuelles ; objet de consommation voué au renouvellement, ou du moins facilement renouvelable et multipliable, à l’époque moderne le livre s’est banalisé en se démocratisant. Dans une économie de la conservation, sa place n’est pas la même, d’autant qu’on est encore dans la perspective d’une accumulation des savoirs, ce qui n’est pas incompatible avec un esprit de libre examen, qui incite à en confronter les strates successives. Autrement dit, quand on a à sa disposition une bibliothèque, on commence par lire, ou du moins explorer ce qu’elle contient… De ce point de vue, l’attitude affichée d’un Voltaire, qui se plaint souvent du fatras des bibliothèques où s’accumulent les erreurs et les sottises de l’humanité, n’a rien à voir avec celle d’un Montesquieu, beaucoup plus attentif aux détours que prend l’histoire de l’esprit humain, et curieux de découvrir les questions sous toutes leurs facettes : en mars 1720, il se procure la très partiale Historiarum Galliae ab excessu Henrici quarti libri XVIII de Gramond, de sinistre réputation 102 , mais ce n’est certainement pas pour la qualité intrinsèque de son information. Ce que redoute Montesquieu, c’est plutôt une information trop choisie 103 , qui ne parlerait que d’une seule voix. Pour un esprit comme le sien, une bibliothèque donnée, et non choisie, a donc beaucoup à apprendre à celui qui la reçoit. Quant aux ouvrages achetés, même si finalement ils déçoivent, ils n’ont pas été rejetés sans une bonne raison, donc après examen. Ainsi, le Catalogue manuscrit ne livre pas de la bibliothèque  « réelle », ou plutôt active, une image infidèle par excès d’informations, même si celles-ci peuvent, et doivent, être affinées 104 . En ce sens, le bernard-l’hermite a de fortes chances de ressembler à sa coquille.

Les ouvrages faussement absents du Catalogue manuscrit

La réponse à la seconde question, qui envisage un Catalogue infidèle à la bibliothèque par défaut d’informations, semble plus facile, voire évidente : il manque dans le Catalogue un certain nombre de livres, comme en témoigne tout particulièrement le Spicilège, au point qu’on peut se demander si une des fonctions de ce recueil ne serait pas de garder trace de lectures que Montesquieu a jugées utiles, sans éprouver le besoin ou avoir la possibilité d’acquérir un ouvrage 105 . Mais le cas se pose aussi pour ceux dont on a gardé, notamment par la correspondance, la trace d’un envoi. Voilà qui justifie pleinement la base de données, qui se doit d’enregistrer tous ces ouvrages au fur et à mesure que les volumes correspondants paraissent dans les Œuvres complètes.

Mais il faut aussi prendre en considération une restriction d’ordre géographique : pour comprendre comment est utilisé le Catalogue, il faut se demander si les ouvrages ainsi adressés devaient se retrouver à La Brède. Ainsi de The Divine Legation of Moses que Warburton déclare le 9 février 1754 envoyer bientôt à son correspondant, quand celui-ci est à Paris ; or Montesquieu retourne seulement en juillet en Bordelais. Il en est de même pour le Parnasse françois de Titon Du Tillet, dont Montesquieu remercie l’auteur à l’été 1749, quand il se trouve à Paris 106 , et évidemment pour Hume et son Enquiry upon Human Understanding, le 4 septembre, tout comme pour plusieurs ouvrages reçus en 1750, année que Montesquieu passe entièrement à Paris 107 . La bibliothèque parisienne de Montesquieu est floue, d’abord parce que la seule trace que nous en ayons est l’inventaire après décès, par nature très approximatif, mais aussi parce que nous ignorons quelle est sa relation avec celle de La Brède : Montesquieu y garde-t-il des ouvrages qu’il n’en fait pas moins consigner dans le Catalogue ? En apporte-t-il avec lui dans son carrosse ? Compte tenu de la durée du voyage (près de quinze jours, en tout cas plus d’une semaine), c’est presque une nécessité. En tout état de cause, le Catalogue manuscrit n’est pas censé rendre compte de cette bibliothèque relativement importante (environ sept cents volumes, soit près de 15 % de celle de La Brède), dont on ne connaît que soixante-huit titres, qui ne sont pas tous identifiables. On aura garde d’oublier une autre possibilité : Montesquieu n’habite pas constamment dans l’immense et froid château de La Brède ; à partir de novembre 1725 108 , il réside souvent chez son frère, doyen de la collégiale de Saint-Seurin, où il peut aussi conserver des livres. Joseph de Secondat meurt en 1754 : pendant près de trente ans, les envois ont pu être conservés à Saint-Seurin, et donc échapper au recensement du Catalogue.

Mais il faut aussi éviter de considérer comme  « manquants » des ouvrages que Montesquieu désire lire (sans forcément vouloir les acquérir), ou souhaite acheter : rien n’indique en effet qu’il ait mis à exécution son projet 109 . On doit sans doute envisager ainsi de longues listes du Spicilège, où il consigne des  « livres bien ecrits en anglois », des  « livres originaux [qu’il a] a lire », ce qu’il a lu  « sur le bas empire romain » 110 . Parmi tous ces titres, qui renvoient sans équivoque au séjour anglais et à la période de préparation des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence 111 , un seul est considéré comme  « [à] avoir » (mais la formule est ambiguë), les Excerpta de Constantin Porphyrogénète édités par Henri de Valois, effectivement utilisés dans les Romains au chapitre XVII, mais absents du Catalogue manuscrit. L’article suivant est plus explicite :  « Acheter Harris Collection of travels on dit 3 guinées […] » 112  ; suivent cinq titres d’auteurs anglais, qui pas plus que le premier n’apparaissent dans le Catalogue manuscrit, mais qui témoignent de son intérêt pour les plus anciennes institutions d’Angleterre comme pour une science plus récente, avec la Cyclopædia de Chambers. Pourquoi ces ouvrages, et eux seuls, auraient-ils échappé à Duval, quand on sait qu’une centaine d’ouvrages ont été rapportés des voyages ? Et surtout pourquoi Montesquieu les aurait-il inscrits dans le Spicilège, s’il les avait acquis comme il le prévoyait ? Il s’agit plutôt d’un récapitulatif de ce qu’il n’a justement pas acheté, et dont il veut garder le souvenir, avec le prix en monnaie anglaise, tel qu’il lui avait été signalé, pour quelque étude à venir (car il s’agit d’une documentation précieuse) en recopiant ce qui devait être à l’origine un feuillet volant.

Il faut sans doute appliquer le même raisonnement à un article qui relève des années 1728-1729, puisqu’il évoque essentiellement des ouvrages portant sur la peinture italienne ou dus à des architectes italiens, ou encore l’Histoire de Naples (ou plutôt l’Istoria civile del regno di Napoli) de Giannone, avec une ouverture sur l’Abrégé de l’entendement humain traduit de Locke par Bosset et publié à Londres 113 . Cette série de titres ressemble même à un programme de lectures, voire à ce qu’on pourrait appeler une bibliographie, comme le chevalier Hildebrand Jacob ou quelque autre informateur savant aurait pu en dicter une à Montesquieu – celui-ci se contentant de glisser l’Essai sur l’entendement humain, à moins que le savant instituteur lui-même, passant par l’Essai sur la perspective de Gravesande, n’ait envisagé avec Locke le problème de la vision sous l’angle philosophique. L’excès de précisions,  « Vasari […] non impression de Bologne qui est en deux vol mais de Florence en trois volumes 114  »,  « Edition du Palladio celle d’Angleterre la meilleure […] »,  « Le Serlio en sept livres l’in-folio est le meilleur en un thome ; l’in-quarto, un thome seul plus facile à trouver », et l’empilement des références (cinq Pespectiva dues chacune à un auteur différent) supposent une connaissance hautement technique de sujets divers, mais aussi une maîtrise bibliographique qu’on imagine mal chez celui qui a découvert l’art italien à Venise et ne s’en est imprégné que progressivement. On s’explique facilement que cette liste ait trouvé place dans le Spicilège : les livres de peinture et d’architecture constituent des références que Montesquieu souhaite garder disponibles (ne conservera-t-il pas indéfiniment inachevé le projet qui sera connu sous le titre d’Essai sur le goût ?), tout comme ceux qui peuvent lui être utiles pour étudier les lois anglaises à leur origine, dessein qu’il poursuivra jusqu’à L’Esprit des lois. Mais il ne s’agit pas d’ouvrages manquant dans le Catalogue manuscrit et qui en révéleraient des failles : ce sont des éléments d’une bibliothèque idéale, plutôt que de la  « bibliothèque intellectuelle » proprement dite, car pour la plupart d’entre eux il sera très difficile de prouver que Montesquieu en a connu davantage que le titre 115 .

On rangera dans la même catégorie la Scienza Nuova de Vico que Montesquieu, séjournant à Venise, déclare vouloir acheter à Naples 116  : bien qu’il ait alors pour mentor l’abbé Conti, et qu’il ait rencontré aussi Athias, de Livourne (on a là les meilleurs soutiens de Vico 117 ), rien dans son œuvre ne laisse supposer qu’il a effectivement lu ou acquis une œuvre destinée à marquer la pensée historique 118  ; en l’absence de toute preuve, nous ne pouvons voir là qu’un vœu, reflétant sans doute l’influence de ses relations italiennes, et peut-être plus simplement un aide-mémoire : Venise ne lui ayant pas permis cette acquisition, il la remet à plus tard 119 . Mais c’est à la bibliothèque réelle que nous nous intéressons, non à une bibliothèque rêvée où seraient venus se ranger tous les livres auxquels Montesquieu a pensé à un moment donné de sa vie. Ces titres, si visibles parmi ses écrits, ne nous désignent pas les véritables lacunes du Catalogue manuscrit.

Les ouvrages réellement absents du Catalogue manuscrit

Il est une restriction plus sérieuse, voire incontestable, cette fois d’ordre temporel : en effet, on ne relève plus aucune intervention de secrétaire dans le Catalogue manuscrit à partir de janvier 1748 120 . Il faut donc se résigner à ne rien savoir sur la période postérieure, ou plutôt considérer que la bibliothèque s’est développée indépendamment de son Catalogue à partir de cette date, car il est difficile de croire que Montesquieu n’a acheté ou reçu aucun ouvrage durant ses séjours à La Brède : nous ne pouvons donc parler que de celle qu’il a constituée avant 1748, et la documentation que nous avons rassemblée nous permet d’en étudier l’accroissement seulement de 1717 à 1722, et dans le Catalogue même pour la période 1735-1747.

Les reçus de libraires bordelais des années 1717-1722 indiquent que plus de 10 % des ouvrages achetés à Bordeaux à une période antérieure à la constitution du Catalogue en sont absents 121 . Les autres éléments qui doivent enrichir la base de données et complètent le Catalogue, à partir des catalogues de vente de 1926 et du fonds de La Brède, apportent des indices d’une autre nature. De plus de cinq cents ouvrages vendus en 1926, seuls vingt-quatre sont dans ce cas ; de plus de quinze cents conservés dans le fonds de La Brède, une vingtaine. Toutes sources confondues (avec les mentions de Céleste), on arrive à une cinquantaine d’ouvrages, soit moins de 2 % du Catalogue. Même si elle est plus proche des 10 % et plus que suggèrent les reçus de libraires, la marge d’incertitude, ou plutôt le taux d’ouvrages ayant échappé au Catalogue, reste faible, mais non négligeable. C’est une raison supplémentaire de ne pas s’étonner de l’absence de tel ou tel ouvrage : il pouvait être conservé à Paris, à Saint-Seurin, ou ne pas avoir été inscrit. On sait aussi depuis longtemps, et la question est reprise ailleurs 122 , que nombre d’ouvrages utilisés par Montesquieu, qu’ils fassent l’objet d’extraits ou qu’ils soient expressément cités, n’apparaissent pas dans le Catalogue : il faudra examiner s’il s’agit de cas exceptionnels, rendus manifestes par les références de L’Esprit des lois, ou s’ils accroissent sensiblement ce pourcentage.

Cette marge permettrait-elle d’expliquer l’absence d’ouvrages récents dans le Catalogue manuscrit ? Car celui-ci donne l’image d’une bibliothèque ancienne, surtout si on le compare à l’inventaire après décès, qui signale les œuvres de Buffon, le sulfureux Telliamed de Benoît de Maillet, publié en 1748, réédité en 1749, Le Sopha et Les Heureux Orphelins de Crébillon le romancier (1742 et juin 1754 pour les premières livraisons). À ces ouvrages qui, dans des genres différents, sont fort audacieux, il faut ajouter les Ambassades de La Boderie (1750), Les Ruines de Palmyre de Dawkins et Wood, qui date de 1753, la Médecine de l’esprit qu’Antoine Le Camus donne la même année, et le Journal étranger qui voit le jour en avril 1754 123 . Des données purement matérielles peuvent expliquer cette disparité : de juillet 1749 à janvier 1755, si l’on excepte le deuxième semestre de 1751, Montesquieu ne passe que quelques semaines en Bordelais. N’était-il pas aussi plus facile de se procurer certains de ces ouvrages auprès de libraires parisiens ?

Mais si l’on admet que le Catalogue s’est figé à la fin de 1747 (et peut-être même avant, l’ouvrage le plus tardif étant l’Essai sur les monnaies de Dupré de Saint-Maur, publié en 1746), doit-on supposer que la marge d’incertitude dissimule des ouvrages postérieurs à l’établissement du Catalogue ? Lorsque Montesquieu acquiert son statut de président à mortier et hérite de son oncle, il se livre à d’importants achats : parmi les quarante-cinq ouvrages de 1717-1722 qui ont pu être identifiés et datés, plus de la moitié (vingt-six) datent de moins de dix ans, et 30 % (quatorze) ont moins de trois ans. Mais en est-il toujours ainsi ? Pour s’en assurer, il faut maintenant envisager le Catalogue dans son développement, sur une période de dix-sept années, ce qui doit nous faire éviter deux erreurs de perspective : considérer que le Catalogue a pour ainsi dire accompagné la vie de Montesquieu, ou en écraser toute dimension diachronique. C’est seulement après ce parcours qu’il sera possible d’analyser le contenu même de cette bibliothèque.

Notes

1 On revient plus loin sur cette dénomination.

2 Montesquieu, Œuvres complètes, André Masson dir., Paris, Nagel, t. II, 1953, p. XXXVIII. Il s’agit en fait de Letters giving an account of several conversations (Catalogue, no 2304). Dans les introductions, nous ne donnons pas sytématiquement le numéro de référence dans le Catalogue des ouvrages mentionnés, considérant qu’ils peuvent être généralement retrouvés facilement avec la fonction  « Recherche » dans l’édition.

3 Rappelons que le tome 3 des Œuvres complètes (2008) contient une étude détaillée de l’activité des secrétaires, mais seulement pour la période de rédaction de L’Esprit des lois, donc à partir du secrétaire G (1739), le secrétaire E étant intervenu ponctuellement (nous revenons plus loin sur la date supposée de son service).

4 Voir Spicilège, p. 50 (introduction de Rolando Minuti) et t. 8, p. 50-51, et surtout p. 189 et 222 (édition de l’Essai d’histoire naturelle par Lorenzo Bianchi). Duval est cité comme témoin du testament de Jean-Baptiste de Secondat, en date du 11 janvier 1716 (Ms 2874/6 : copie du XIXe siècle). Il a donc dû en fait travailler avec Montesquieu dès la mort de son oncle, le 24 avril 1716.

5 Voir OC, t. 19. On ne dispose par ailleurs pour cette époque d’aucun élément daté, dans les archives de La Brède comme dans les manuscrits de Montesquieu.

6 Castel à Montesquieu, lettre 143, 7 août 1725 :  « Il y a un an que vous le fites monter en 6e » (OC, t. 18, p. 164). Rappelons que Secondat est né en février 1716.

7 Ibid.

8 Secondat a pu aussi quitter le collège Louis-le-Grand ; il aurait été placé, dit-on, au collège d’Harcourt, et confié à l’abbé Quesnel,  « ami de Montesquieu » ; néanmoins, la source sur laquelle on fonde cette affirmation (Grimm, Correspondance littéraire , juin 1776) semble destituée de toute autorité, tant elle charrie de racontars peu crédibles.

9 Ms 1988, nos 23, 25, 27 et 30 : Duval à Mme de Montesquieu, 23 octobre 1728, 17 mars, 12 avril 1729, 6 juin 1730.

10 Il n’est pas exclu qu’il ait rejoint Montesquieu en Angleterre : celui-ci le réclamait en Italie ; en Angleterre, où Montesquieu multiplie les observations, sa présence devait être plus nécessaire encore. Mais en l’absence de tout élément factuel en ce sens, on se gardera d’avancer sérieusement cette hypothèse.

11 OC, t. 17, à paraître.

12 Ou par Montesquieu à une période où intervient aussi ce secrétaire (et bien sûr en dehors des passages ajoutés postérieurement).

13 Shackleton n’avait manifestement pas pris en compte l’Essai d’histoire naturelle , ni la signature de l’abbé Duval présente sur le testament du président Jean-Baptiste de Secondat. Pour la date finale, il est un peu moins catégorique à la page suivante :  « […] jusqu’à la fin de 1731 ou le début de 1732 » (p. XL). Mais le tableau où apparaît la date de 1731 a manifestement davantage frappé les esprits.

14 L’obtention d’un bénéfice ne pouvait même apparaître comme la raison du départ de l’abbé Duval en 1731, puisqu’il en était question dès 1728 (voir ci-après).

15 Cette orthographe semble devoir être préférée à celle que nous avions adoptée en 2007 dans l’édition des Geographica,  « Fouquet » : voir la référence bibliographique citée dans la note 19.

16 Montesquieu, Œuvres complètes, André Masson dir., Paris, Nagel, t. II, p. LIII, note f.

17 Voir lettres 23, 130, 257, 359, etc.

18 Montesquieu au père Cerati, lettre 359, note de Guasco.

19 John Witek, S.J., Controversial Ideas in China and in Europe : a Biography of Jean-François Foucquet, S.J. (1665-1741), Rome, Institutum Historicum, 1982, p. 313-314, note 157. Witek ignorait cependant ce document.

20 Voir le document sur la gestion des vignes de Saint-Quentin Saint-Agan, Ms 2585/1, daté de 1726, qu’il signe de sa main.

21 Nous remercions André Chatalic, de Locronan, de ses investigations méthodiques, qui nous ont été précieuses.

22 Ms 2584/11-13.

23 Bernard Dompnier a eu l’obligeance de nous fournir les calculs et les remarques suivants : l’écu romain valait 31,79 grammes d’argent de 1670 à 1760, la livre française 5,49 gr d’argent de 1701 à 1725, puis seulement 4,27. Cela veut donc dire que l’écu romain équivaudrait à 6 ou 7 livres. Selon Savary Des Bruslons, Dictionnaire universel du commerce (1726), à l’article  « Estampe » (pour Stampa en italien, car il s’agit d’une monnaie de compte et non d’une monnaie réelle) :  « L’écu d’or d’estampe vaut 15 jules […] ce qui revient à environ 5lt 12s. 6 d. de France ». On arrive donc à peu près au même résultat, les vingt-huit écus romains équivalant à peu près à 160 livres.

24 Qui y est appelé  « Bottereau Duval » ou  « Bottereau du Val » selon les cas ; c’est donc là l’origine du nom utilisé par Louis Desgraves, confirmé par la copie du testament de Jean-Baptiste de Secondat (cité ci-dessus note 4) où il apparaît comme témoin sous le nom de Nicolas Bottereau Duval.

25 Un indice chronologique ressort-il de la notice, non datée, du Recueil des opéras représentés à l’Académie royale de musique depuis son établissement (Catalogue, no 2105), en onze volumes contenant 89 opéras ? Le onzième tome de l’édition Ballard est de 1734… Mais il existe une autre édition identique, dont le onzième tome, s’achevant avec le 89e opéra, est de 1719 (nous remercions Gerhardt Stenger de nous l’avoir signalée). L’ouvrage de Thémiseul de Saint-Hyacinthe reste donc le plus tardif de ceux qu’inscrit Duval. Il est en tout cas exclu que celui-ci ait apporté à Amsterdam le manuscrit des Considérations sur les […] Romains , qui paraissent en avril 1734 chez Jacques Desbordes. S’il faut en croire Guasco, c’est l’abbé Duval qui avait apporté le manuscrit des Lettres persanes en Hollande ; s’il avait été chargé de la même mission en 1734, Guasco ne l’aurait-il pas signalé aussi ?

26 Pour l’ensemble de cette démonstration, voir aussi C. Volpilhac-Auger,  « Voyages autour d’un catalogue : pour une nouvelle approche de la culture de Montesquieu », dans Biblioteche filosofiche private. Strumenti et prospettive di ricerca, Renzo Ragghianti et Alessandro Savorelli dir., Pise, Edizioni della Normale, 2014, p. 241-260.

27 Catalogue, nos 2646bis et 2710.

28 Une page de titre en latin, soigneusement recopiée par le secrétaire (Catalogue, no 3213), a pu faire croire que l’ouvrage était en cette langue ; mais il est bien en anglais.

29 Voir L’Italie de Montesquieu , p. 402-403.

30 Voir Arthur H. Scouten, The London Stage, 1729-1747, Northern Illinois University Press, Carbondale & Edwardsville, 1968.

31 On trouvera tous les détails dans la notice concernant chacun de ces ouvrages. Un seul (de Purcell) nous semble échapper à cette règle générale ; Montesquieu s’en serait-il procuré le livret après un concert privé ?

32 Catalogue, no 1983.

33 Catalogue, no 6. Ne parlons pas pour le moment de Cudworth, The True Intellectual System of the Universe (1678), en fait inscrit plus tard dans le Catalogue, tout comme celui de Richard Hooker, The Works in Eight Books of the Laws of Ecclesiastical Policy (1666) (voir L’enrichissement du Catalogue).

34 Ces ouvrages sont signalés dans l’édition du Catalogue et dans la base de données comme acquis en Angleterre (novembre 1729 - mars 1731).

35 Paris, Classiques Garnier, 1960, p. 174, note 2.

36 Londres, Pickering & Chatto, 2010, note 47 p. 182.

37 Voyages, p. 260.

38 Ursula Haskins Gontier, p. 22-24.

39 Ibid., p. 39-40 (à propos de la Lettre 81 [83]). La démonstration d’Ursula Haskins Gontier serait sans doute plus convaincante encore si le texte de Le Clerc et celui de Montesquieu étaient cités en français. Montesquieu a-t-il lu Locke à la même époque, ce dont témoigneraient les Lettres persanes (ibid., p. 35-40) ? La question est sans objet ici, car les traductions de Coste rendaient les principaux textes de Locke tout à fait accessibles aux lecteurs français ; mais de toute manière la thèse est beaucoup moins étayée : l’analyse, fondée sur l’interprétation de Frederick Keener selon laquelle Usbek représenterait une appréhension  « cartésienne » du monde, reposant sur la réflexion, et Rica sa version  « lockienne » fondée sur la sensation, nous paraît très discutable (F. Keener, The Chain of Becoming : The Philosophical Tale, The Novel, and a Neglected Realism of the Enlightenment : Swift, Montesquieu, Voltaire, Johnson and Austen, New York, Columbia University Press, 1983). Quant à la liberté de discuter de sujets religieux, qui peut apparaître comme spécifiquement anglaise, elle constitue un point trop général pour qu’on puisse l’assigner à l’héritage du seul Locke.

40 Voir C. Volpilhac-Auger,  « De Rome à Amsterdam : religion et raison chez le jeune Montesquieu », à paraître dans la revue Éthique, politique, religions, 2015 : Raison et religion à l’âge des Lumières, Mai Lequan dir., Paris, Classiques Garnier. Sont concernés les tomes I à IX (1703-1706) de ce périodique, dont Montesquieu achète en bloc les vingt-deux premiers volumes en 1717 : voir Catalogue, no 2570.

41 Voir Dictionnaire des journaux, notice no 146, de Margaret D. Thomas : http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0146-bibliotheque-anglaise. Montesquieu l’utilise en 1734 pour citer The Conquest of Syria, Persia & Ægypt by the Sarracens de Simon Ockley sous le titre Histoire de la conquête de la Syrie, de la Perse et de l’Égypte, donc tel qu’il apparaît au tome III (1718), p. 146, de la Bibliothèque angloise  : voir Considérations sur les […] Romains , XXII, note h (p. 268). L’ouvrage sera traduit seulement en 1748, sous le titre notablement différent d’Histoire des Sarrasins.

42 Cet ouvrage, qui n’était pas donné seul, relève de la pantomime,  « divertissement de courte durée joué en tomber de rideau » qui connaît le plus grand succès à partir de 1723, aussi bien dans les milieux populaires que dans l’aristocratie et même parmi la famille royale, et que critiquent violemment Pope et Fielding ; il s’inscrit dans la  « tradition farcesque » (Marc Martinez,  « The art of sinking” [l’art du rabaissement] : une forme populaire, la pantomime anglaise, et la satire Tory », XVII-XVIII. Bulletin de la société d’études anglo-américaines des XVII e et XVIII e  siècles 46, 1998, p. 81-95 ; en ligne sur Persée : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1998_num_46_1_1386).

43 Voir Pensées, no 1307 (au plus tard en 1739) :  « Je disois de Schakespear quand vous voyes un tel homme s’elever comme un aigle, c’est lui. Quand voüs le voyes ramper, c’est son siecle ». Cet intérêt est confirmé par la présence dans l’Inventaire après décès du Théâtre anglais traduit par La Place en 1745-1746 (L’inventaire après décès du domicile parisien, no 33).

44 Voir Pensées, no 814 :  « En Angleterre comme on voit une liberté effrenée dans les papiers on croit d’abord que le peuple va se revolter, mais la comme ailleurs le peuple est mécontent des ministres et l’on y ecrit ce que l’on pense ailleurs ».

45 Voir Voyages, p. 154 et 367.

46 Voyages, p. 367-369, 372.

47 Voyages, p. 272 et 344.

48 On remarquera aussi qu’aucune des provenances remarquables (Montaigne, Malebranche) n’est signalée (voir aussi Le poids de l’héritage et Les catalogues de vente de 1926).

49 John Witek, Controversial Ideas in China and in Europe : a Biography of Jean-François Foucquet, S.J. (1665-1741), Rome, Institutum Historicum, 1982, note 156 p. 313, parle même de trois exemplaires donnés à Montesquieu – sans doute pour qu’il les diffuse dans les milieux bordelais et surtout parisiens.

50  « […] moi qui sortois des mains de monseigneur Foucquet […] j’elevois la voix et […] lui apris que depuis deux mois la monarchie chinoise n’avoit plus que quatre cents ans avant Jesus Christ d’antiquite » (OC, t. 18, lettre 348, du 16 juillet 1729). En effet, Foucquet considérait comme légendaires les premiers empereurs, Fuxi, Huangdi, Yao. Plusieurs années plus tard, Montesquieu signale l’ouvrage au fil de son extrait du Tableau de la Chine de Du Halde, mais seulement parce que celui-ci le cite (Geographica, f. 102r ; OC, t. 16, p. 139).

51 Eleonora Barria-Poncet,L’Italie de Montesquieu , p. 280-290, décèle chez le voyageur  « une extraordinaire capacité d’expression et [une] surprenante richesse de vocabulaire » (p. 285) ; mais cela ne concerne qu’un nombre de mots très limité. Signalons ici le problème posé par l’Alcorano di Macometto (Catalogue, no 584) qui, selon le même ouvrage, n’aurait jamais été  « signal[é] comme source » par la critique (p. 296) ; il aurait pourtant mérité d’être étudié sous cet angle, puisqu’on a justement pu se demander si Montesquieu utilise la traduction italienne (figurant dans cet ouvrage) ou la traduction latine (s.l., 1550) d’un dialogue entre Mahomet et Jésus qui est manifestement la source d’une des Lettres persanes (17 [18]) : voir OC, t. I, 2004, note 6 p. 178.

52 Voir Les reçus de libraires.

53 Sauf erreur de notre part, on ne trouve dans tout le fonds de La Brède que deux reliures en maroquin (LAB 67 et 666).

54 Cf. Eleonora Barria-Poncet,  « La Biblioteca italiana de Haym guide d’acquisition de Montesquieu en Italie » (Studi francesi 63, 2011, p. 80-85), repris et amplifié dans L’Italie de Montesquieu ,p. 167-173 et annexes. Outre que les notion de  « bibliophilie » et de  « collectionneur », qui ont un sens précis en histoire du livre, ne semblent pas maîtrisées dans ces deux publications, la méthode même d’Eleonora Barria nous paraît contestable : voir C. Volpilhac-Auger, http://www.h-france.net/vol15reviews/vol15no28auger.pdf, dans H-France Review, vol. 15, février 2015, no 28. Le même ouvrage signale plusieurs ouvrages italiens sur lesquels Montesquieu aurait laissé des signes ou des notes de lecture : vérifications faites, aucune de ces observations ne nous est apparue justifiée. De manière générale, nous avons dû revenir dans de nombreux cas sur les affirmations d’Eleonora Barria.

55 Voir Girolamo Imbruglia, http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip.php?article2039. Il faut bien sûr rappeler le travail, toujours indispensable et dont nous avons fait amplement usage, de Salvatore Rotta,  « Montesquieu nel Settecento italiano : note e ricerche », Materiali per una storia della cultura giuridica no 1 (1971), p. 55-209, disponible en ligne sur le site  « Eliohs », 2003, http://www.eliohs.unifi.it/testi/900/rotta/rotta_montesettit.html

56 Voir OC, t. 17, à paraître.

57 Le fait qu’il inscrive lui-même le titre d’une rubrique,  « Acta eruditorum » (p. 426 du manuscrit), pourrait révéler, fugitivement, qu’il participe à ce travail – même s’il est facile d’objecter qu’une telle intervention peut être postérieure ; cette page est par ailleurs restée vide. Nous revenons sur ce point un peu plus loin.

58 Ainsi de l’introduction en 1745-1747 dans la rubrique  « Anatomici » du Discours sur la parallaxe de Maupertuis (no 1255), tout comme, par le même secrétaire O, celle d’un manuscrit sur le négoce des Hollandais (no 1750) parmi les  « Scriptores rei navalis », ce qui est au moins jouer sur les mots.

59 Catalogue, nos 153 et 154.

60 Catalogue, nos 2259 et 2257.

61 Voir Voyages, p. 131 et 231, et Pensées, nos 404 et 406 (et no 400 pour la sculpture) ; Spicilège, no 660 (aucun de ces ouvrages n’apparaît dans le Catalogue manuscrit ; nous y revenons plus loin). Voir aussi Denis de Casabianca, Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, Champion, 2008, notamment XII,  « Formation du regard ».

62 Rappelons en regard une classification telle que celle qui apparaît dans le Catalogus librorum tam impressorum quam manuscriptorum Lugduno Batavæ universitatis bibliothecae publicae (Catalogue, no 2551), que Montesquieu se procure en 1720 (Les reçus de libraires) : à la théologie succèdent le droit, puis la médecine, la philosophie, les mathématiques, l’histoire et les belles-lettres, les langues, etc.

63 Et même le fantomatique ensemble des Veneres.

64 Voir ci-après.

65 Sur ces citations, voir ci-après.

66 Le Catalogus librorum (voir ci-dessus, note 62) fait entrer dans cette catégorie d’abord la logique, puis la physique et la philosophie naturelle, la physiognomonie et la  « magia naturalis », l’histoire naturelle, la science des métaux et des pierres, celle des thermes, bains, eaux thermales, l’éthique et la philosophie morale, la politique, etc.

67 Ce n’est même pas celle de d’Hesnaut (ou d’Hénault) dont Montesquieu se servira au livre XXIII de L’Esprit des lois, qui n’apparaît pas dans le Catalogue manuscrit.

68 De même, on remarquera que la section  « Poésie » englobe le théâtre ; mais cela relève d’une pratique fréquente.

69 Cf. également sur ce point le Catalogus librorum (voir ci-dessus, note 62), qui ne consacre que trois pages et demi à cette section, incluse dans la philosophie, qui en compte vingt-six.

70 Voir Catalogue, nos 2458, 2472, 2494, 2495.

71 Pour l’interprétation de la catégorie Veneres, voir nos remarques.

72 Sur les citations qui, de la même manière, caractérisent vingt-sept ouvrages, voir ci-après,  « Modalités de travail ».

73 Il en est de même pour deux remarques de quelque longueur, l’une sur Athénée (p. 327 du Catalogue manuscrit, après le no 1821), l’autre qui constitue un portrait de Louis XIV (p. 505, après le no 2989). Ce dernier est repris dans les Pensées entre 1737 et 1739 ; il doit donc être daté entre 1732 et 1737 ou 1739.

74 Cet auteur n’avait pas été identifié dans les éditions précédentes du Catalogue. Il en est de même pour une citation de Platon en tête de la rubrique  « Liturgiae » (p. 93 du manuscrit), qui nous permet de penser que Montesquieu connaissait les traductions des Œuvres de Platon par André Dacier (voir aussi Une nouvelle analyse).

75 Les exceptions ne semblent avoir concerné que les ouvrages entrés plus tard dans le Catalogue : voir Les catalogues de vente de 1926. C’est en tout cas une erreur de la précédente édition du Catalogue (1999) d’avoir écrit que les ex-libris étaient  « le plus souvent, autographes » (p. 6). Nous ne connaissons que deux exemplaires à ce jour qui soient de la main de Montesquieu : LAB 162 et 1136. L’ex-libris de la main de Duval se caractérise par sa régularité et sa disposition équilibrée de part et d’autre de la vignette de la page de titre (voir les illustrations).

76  « Inscrit au catalogue de la bibliothèque de monsieur le président de Montesquieu » ; la formule connaît quelques variantes et abréviation, en fonction des secrétaires : ainsi le secrétaire E semble avoir mal compris la phrase latine ; il inscrit donc régulièrement  « Ex bibliothecâ D. D. Præsidis Montesquieu catalogo inscriptus » (LAB 158, 159, 327, 412, 503, etc. voir les illustrations).

77 Voir Le poids de l’héritage.

78 Journal des principales audiences du Parlement, t. V, 1678 : LAB 3099 (voir Les reçus de libraires).

79 Tome I, Catalogue, no 2341 ; tome II, no 2342.

80 Spicilège, no 535.

81 Catalogue, nos 2059 et 2060.

82 Catalogue, no 410.

83 Page 71 du Catalogue manuscrit.

84 L’une d’elles (no 2543) renvoie à un ouvrage répertorié par Duval de manière semble-t-il plus exacte (no 1872). L’édition de 1954 du Catalogue donnait déjà le chiffre de quarante ; mais cela ne correspond pas aux mêmes notices.

85 Respectivement nos 2219, 2327, 3204.

86 Catalogue, no 2251bis.

87 Amsterdam, G. Gallet, 1698.

88 Catalogue, no 2573.

89 OC, t. 19, lettre 388 ([mai 1734]).

90 Elles figurent dans les notices MARC. Certaines ont été dissimulées quand les reliures ont été réparées et que de nouvelles gardes ont été collées sur la reliure d’origine ; on peut parfois les voir par transparence (ainsi en est-il de l’édition d’Appien de 1592, no 2810).

91 Voir Le poids de l’héritage.

92 Nous devons cette remarque à Eleonora Barria-Poncet, L’Italie de Montesquieu , p. 181-182.

93 Voir nos remarques sur le Ristretto […] de Raffael Del Bruno (Catalogue, no 3079).

94 Spicilège, no 568.

95 Voir Les reçus de libraires (Reçu 6).

96 Voir par exemple Catalogue, nos 2511-2514, 2524. Il en est sans aucun doute de même pour la Calligraphia oratoria linguae graecae de Possel, qui ne pouvait guère être utile à qui ne connaissait pas le grec.

97 La Praeparatio evangelica publiée par Robert Estienne en 1544-1545 avait appartenu à Montaigne : elle a pu être acquise par Montesquieu, ou quelqu’un de sa famille, pour cette raison.

98 Catalogue, no 2189 (édition d’Henri Estienne de 1568).

99 Nous envisageons par ailleurs le cas des ouvrages polyglottes, notamment à partir de l’hébreu – on se doute que Montesquieu ne le connaissait pas plus que le grec, mais la présence d’ouvrages en hébreu à La Brède doit être traitée à part, à la lumière d’une étude des provenances (Le poids de l’héritage).

100 Les Ventes de livres et leurs catalogues, XVII e - XIX siècle, Annie Charon et Élisabeth Parinet dir., Paris, Études et rencontres de l’École des chartes, 2000.

101 Et ce malgré la déformation inhérente au chercheur, particulièrement soucieux de ne pas voir perdre sa peine, quand il a consacré tant d’efforts à en établir l’édition et identifier les ouvrages.

102 Sur l’achat de cet ouvrage et le jugement de quelques lecteurs, voir Les reçus de libraires.

103 Voir Pensées, no 80 : une des causes des  « disputes de relligion en France » est que  « chaque ordre a une bibliotheque de ses ecrivains et les particuliers n’estudient que dans cette bibliotheque ».

104 Voir, sur les ouvrages  « vivants », Une nouvelle analyse,  « Les méthodes de travail ».

105 On en voit plusieurs exemples à propos d’auteurs antiques (Une nouvelle analyse,  « Les méthodes de travail »).

106 Lettre désormais datée de fin juillet - début août 1749, en tout cas de Paris.

107 Louis Desgraves en fournit d’autres exemples pour 1753-1754 (Catalogue, 1999, p. 3-5). C’est par erreur qu’il désignait comme manquant dans le Catalogue de La Brède plusieurs ouvrages demandés au père Desmolets dans un billet ; il s’agit de dictionnaires latin et italien et de classiques latins, parmi lesquels un  « Ovide non chatré et in naturalibus » (ibid., p. 3 ; OC, t. 18, lettre 280) : Montesquieu a-t-il besoin d’un Virgile à La Brède, lui qui en possède cinq éditions anciennes et un manuscrit (nos 2213 à 2218) ? Ne préciserait-il pas l’édition si cela correspondait à un besoin particulier ? Par ailleurs, le père Desmolets n’est pas libraire, mais bibliothécaire de l’Oratoire… C’est en priorité à cette fonction que l’on doit penser. En fait, ce billet sans date (celle qui est donnée par la Correspondance ne repose sur aucun indice et se révèle donc purement conjecturale) correspond à une demande de prêt, et ne peut être situé que durant une période où Montesquieu se trouve à Paris : il confie ce billet à son valet ou à son secrétaire, qui est chargé de rapporter les ouvrages. Sinon, pourquoi préciserait-il pour rassurer son correspondant  « quand a present mr de Montesquieu rachette les livres perdus et le pere Demolets a sujet d’estre content de son exactitude […] » ? Cela ne constitue en tout cas nullement une preuve d’achat pour le seul ouvrage que l’on puisse repérer dans le Catalogue, Historia del concilio tridentino de Paolo Sarpi (no 143) : Montesquieu l’avait en Bordelais, et pas à Paris. Cela n’exclut pas que Montesquieu ait pu acquérir des ouvrages de l’Oratoire : on en retrouve dans le fonds de La Brède, authentifiés par la marque de cette bibliothèque (voir Le poids de l’héritage) ; mais ce billet n’a pu servir à cela.

108 Exactement le 9 novembre 1725, selon les actes notariés examinés par Jean-Max Eylaud, Montesquieu chez ses notaires de La Brède, Bordeaux, Delmas, 1956, p. 59.

109 Certains cas sont moins simples qu’il n’y paraît. Quand il se trouve à Modène, donc peu avant son départ pour l’Allemagne, il déclare vouloir acheter à Genève les  « Opera omnia Geneve 1717 » de Ramazzini (Voyages, p. 370), lesquels se trouvent effectivement dans sa bibliothèque en 1732 (Catalogue, no 1184). Mais ce n’est pas à Genève, ni même en Suisse (L’Italie de Montesquieu, p. 322), qu’il en fait l’acquisition, puisqu’il ne met pas le pied dans ce pays, empruntant le col du Brenner pour passer par l’Autriche ; c’est donc vraisemblablement en Hollande ou en Angleterre qu’il s’est procuré l’ouvrage convoité.

110 Spicilège, nos 560-562.

111 Période sans doute largement antérieure à la copie, comme le signalent les éditeurs du Spicilège.

112 Spicilège, no 563.

113 Spicilège, no 660 (recopié sans doute peu avant 1739). Ainsi que l’avait signalé Salvatore Rotta, aucun de ces ouvrages n’a dû être acheté, malgré les injonctions initiales,  « Acheter le Vasari sur la peinture […] ¶Acheter la carte du Po ».

114 Voir l’annotation de Salvatore Rotta : l’édition de Florence (Giunti, 1568) était nettement plus ancienne que celle de Bologne (Eredi del Dozza, 1674). Le voyageur aurait pu être tenté d’acheter l’édition plus  « moderne ».

115 Il faut en excepter Giannone, que Montesquieu évoque comme un modèle possible (Pensées, no 446). Nous évoquons ailleurs (Une nouvelle analyse,  « Classiques modernes ») le cas d’une liste d’achats ou de lectures présente dans la Collectio juris, qui nous paraît relever d’un autre ordre.

116 Voyages, p. 138.

117 Voyages, ibid. et p. 234.

118 On rappellera cependant que la version de 1725, publiée à Naples, est loin d’offrir la richesse de celle de 1744, et que c’est surtout au XIXe siècle qu’elle a été internationalement connue.

119 L’interprétation est confirmée du fait qu’il s’agit là d’une seule phrase, isolée au milieu du récit de diverses visites : c’est sans doute la trace d’une fiche (ou  « bultin ») comme Montesquieu en glisse dans ses dossiers, et qui a dû être recopiée au fil du texte, comme le font les copistes des Voyages, qui ont travaillé sans directives après la mort de Montesquieu.

120 Cela correspond à l’apparition du secrétaire P. Voir L’enrichissement du Catalogue.

121 Voir Les reçus de libraires.

122 Voir Le poids de l’héritage.

123 Voir Dictionnaire des journaux, notice no 732 (Marie-Rose de Labriolle) : http://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0732-journal-etranger-1. La présence de ce périodique au domicile parisien peut s’expliquer par le rôle qu’y jouait Toussaint ; celui-ci était en relation avec Montesquieu depuis que L’Esprit des lois avait été publié par Huart et Moreau : Toussaint avait corrigé les épreuves et rédigé la table des matières (Un auteur en quête d’éditeurs ? p. 98-99).