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Le poids de l’héritage

Plan

Les sections consacrées au Catalogue ont permis d’établir que celui-ci, constitué en 1731-1732 par Montesquieu et l’abbé Duval, porte l’empreinte du possesseur de cette bibliothèque, et qu’il est possible d’en suivre le développement sur quinze, treize ou dix-sept années 1 , à quoi s’ajoutent les informations relatives aux achats de la période 1717-1722 2 – et ce, malgré une marge d’incertitude qui nous interdit de voir dans le Catalogue le calque parfait de la bibliothèque de La Brède, tout en permettant de le considérer comme un reflet à peu près fidèle. Nous avons pu identifier plus de cinquante ouvrages achetés entre 1717 et 1722, une centaine d’ouvrages acquis pendant les voyages (1728-1731), en laissant cette dernière liste ouverte, et plus de cent quatre-vingts inscrits par des secrétaires à partir de 1735, à quoi il faut ajouter une quarantaine d’ouvrages inscrits par Montesquieu lui-même à des dates indéterminées, mais sans aucun doute après 1732 3  ; signalons encore que c’est forcément après la mort de Malebranche en 1715 que des ouvrages de sa bibliothèque, au nombre de vingt 4 , ont été inscrits par Duval. Mais, en additionnant toutes ces données, en s’efforçant de distinguer dans les ouvrages antérieurs à la mort de ses proches parents ceux qui ne peuvent guère être attribués à ceux-ci 5 , on arrive à moins de quatre cents titres, soit guère plus de 10 % du Catalogue. Cela signifie que pour l’écrasante majorité des titres connus, il est impossible d’en savoir l’origine – ou plutôt il est vraisemblable, compte tenu du prix des livres, que Montesquieu n’a pu en acquérir la majorité : que l’on prenne les reçus de libraires en 1717-1722 (cinquante-trois ouvrages en cinq ans environ) ou la période d’accroissement du Catalogue (deux cent vingt en quinze ans), on retombe sur des chiffres finalement voisins, entre dix et quinze titres par an. Si l’on prend en compte les quelque cinquante années où, après son séjour à Juilly, il peut acheter des livres sur ses propres deniers et de son propre chef 6 , on ne pourra guère aller au-delà de huit ou neuf cents ouvrages, même si l’on sait à quel point les usages peuvent varier au cours d’une vie, ne serait-ce qu’en raison d’aléas financiers ou de circonstances particulières, comme en atteste la période faste des voyages. C’est tout au plus 25 % de la bibliothèque, et sans doute beaucoup moins, qu’on peut supposer correspondre à des achats personnels. Le poids de l’héritage est donc patent.

Est-il possible d’en savoir plus ? De qui Montesquieu a-t-il hérité, et par quelles voies lui sont parvenus tous ces ouvrages ? Les livres, ou une partie des livres, se trouvaient-ils au château de La Brède ? Rien ne l’indique, car jamais à notre connaissance il n’en est question dans les documents existants. Sur la famille maternelle de Montesquieu, les Pesnel, on ne sait pas grand-chose ; sa mère, selon le témoignage de son mari, était surtout préoccupée de religion, des pauvres et de sa famille 7  ; héritière de la baronnie de La Brède, elle a pu néanmoins transmettre des livres avec le château, mais on n’en a pas de trace 8 . Quant à son père, cadet sans fortune qui refusa le statut d’ecclésiastique auquel il était voué en fuyant le séminaire pour se lancer dans la carrière militaire, on hésite à lui prêter un goût des livres dont on n’aurait pas la moindre preuve – sinon la preuve négative que, notant scrupuleusement les dépenses relatives aux achats de livres pour son frère l’abbé de Faise, il n’en mentionne aucune à son propre usage pour la période considérée, et qu’aucune rubrique, dans la table des matières de son livre de raison, n’y est consacrée 9 . La salle aujourd’hui connue comme « bibliothèque » de La Brède n’est-elle pas alors la salle des gardes 10  ?

Mais il faut d’ores et déjà le noter : il est vraisemblable que dans la bibliothèque de La Brède aient conflué au temps de Montesquieu des héritages multiples, tant sont nombreux les « doubles » (près de cinquante), y compris parmi les in-folios qui ne pouvaient échapper à l’attention, au risque de susciter un double achat, forcément coûteux 11 . Tous ne sont pas certains, car le secrétaire a pu noter comme doubles des éditions différentes correspondant à des besoins différents 12 , mais beaucoup apparaissent comme tels 13 . Sauf à supposer que Montesquieu lui-même ait acheté des lots entiers, pratique que nous n’avons trouvée nullement attestée, il faut voir là une preuve de l’origine multiple de la bibliothèque de La Brède.

La lignée parlementaire

C’est par défaut, mais avec vraisemblance, que l’on doit attribuer à la lignée des ancêtres parlementaires de Montesquieu cette bibliothèque, qui aurait alors été transférée à La Brède à la mort du président Jean-Baptiste de Secondat en 1716 – peut-être d’ailleurs devrait-on voir là la raison pour laquelle Montesquieu a fait de la plus grande pièce du château une bibliothèque.

Cependant, on n’en trouve la trace certaine que sur vingt ouvrages 14 portant la signature de Joseph Dubernet, arrière-grand-père de Montesquieu. Ce conseiller au parlement de Bordeaux, fils de Jean Dubernet qui fut moins connu par sa harangue à Henri IV en 1608 que par la réponse dans laquelle le roi fustigeait l’avidité des parlementaires bordelais, est nommé premier président du parlement de Provence en 1636 ; mais il ne tarde pas à se faire des ennemis dans la ville d’Aix 15 . La violence de ses affrontements avec la chambre des Requêtes lui aliène même les représentants du pouvoir royal ; Richelieu le destitue en 1642, et il est relégué à Bourges 16 . La mort du cardinal-ministre (4 décembre 1642), puis celle de Louis XIII en mai 1643, lui permettent de revenir aux affaires. Il est nommé en août 1643 premier président du parlement de Guyenne : il a le plein soutien de Mazarin et défend les intérêts du roi contre un parlement féru d’indépendance. De ce fait, il est violemment rejeté par les parlementaires bordelais avant même la Fronde, qui est d’une particulière vigueur à Bordeaux 17 , et il est écarté en 1651, au plus fort des troubles, avant de mourir à Limoges en 1652 18 .

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Portrait du président Dubernet, Fondation Chabannes, château de La Brède (photographie DRAC Aquitaine)

Il serait bien audacieux de prétendre analyser sa bibliothèque à travers les vingt ouvrages qui en subsistent : quelle en fut l’ampleur ? s’il a apposé son nom sur ces vingt livres, ne l’a-t-il pas fait pour tous ? comment se fait-il qu’on n’en retrouve pas plus de traces 19  ? Les livres furent peut-être partagés entre sa fille cadette, Anne, qui avait épousé Jean-Baptiste Gaston de Secondat, et les enfants de sa fille Béatrix, morte en 1647, dont le fils aîné hérita de la terre et baronnie d’Eyrans. Mais ces quelque vingt ouvrages subsistants, dont plusieurs sont reliés de manière uniforme (voir illustration) – ce qui suggère que le président Dubernet apportait un soin particulier à ses livres –, n’en présentent pas moins un certain nombre de caractéristiques remarquables.

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Reliure de la bibliothèque du président Dubernet, plat supérieur (réparé), BM Bordeaux, LAB 270
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Reliure de la bibliothèque du président Dubernet, plat inférieur (réparé), BM Bordeaux, LAB 270
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Ex-libris du président Dubernet sur la page de titre, BM Bordeaux, LAB 2796

La plus évidente est que si trois ouvrages sont datés de 1574, 1577 et 1589, et un de 1627, les seize autres (voire dix-huit si on ajoute ceux qui sont perdus mais relèvent du même ensemble) vont de 1599 à 1610 ; faut-il invoquer le hasard ? Il faut sans doute plutôt y voir le signe que si l’échantillon est aussi fourni pour une tranche chronologique aussi réduite, c’est que la bibliothèque devait être beaucoup plus riche. Le Recueil des remontrances et actions publiques faites aux ouvertures des parlements 20 n’a pas de quoi étonner, puisqu’il relève de la charge d’un président au parlement ; c’est le seul à être en français : cette disproportion tient sans doute encore une fois aux aléas de la conservation, mais aussi au fait qu’au début du XVIIe siècle, la librairie savante et technique (en l’occurrence, juridique) est en latin. Or tel est le trait principal de ce fragment de bibliothèque : à côté de gros in-folios de droit, tous les éléments qui en subsistent relèvent d’une solide culture classique, Euripide (en version grecque et latine), Plaute, Tacite, à quoi il faut joindre deux volumes de l’encyclopédie zoologique de Conrad Gesner, dont Dubernet devait posséder les autres tomes. On notera l’intérêt pour l’Antiquité tardive, de Priscus à Grégoire de Tours, avec notamment le Glossarium graeco-barbaricum de Meursius dans sa première édition (1610), qui livre une riche information sur les institutions de l’époque byzantine, ou plutôt de l’Empire romain d’Orient.

Mais l’essentiel est bien sûr constitué d’ouvrages de droit, avec un ouvrage de Bursati, un de Guy Pape, et six de l’avocat René Choppin (1537-1606), soit plus du tiers de notre maigre récolte, à quoi il faut ajouter un recueil de décrétales et un ouvrage sur la règle bénédictine, qu’on mettra en rapport avec deux des titres de Choppin consacrés au droit ecclésiastique, « de jure coenobitarum » et « de sacra politia forensi ». Mais surtout on retiendra l’Apologia pro juramento fidelitatis (1609), par laquelle le roi d’Angleterre Jacques Ier prétendait exiger fidélité de ses sujets catholiques par serment et récusait la légitimité du pape ; à quoi le cardinal Bellarmin avait répondu, sous le nom d’un de ses proches, Matthæus Tortus (« Mathieu le Tortu »). Le chapelain et conseiller du roi, Lancelot Andrewes, y répliqua par la Tortura Torti (« torture du Tortu »), également présente à La Brède, avec la même provenance. C’est donc seulement le versant favorable aux prétentions de Jacques Ier qui figure parmi les quelques ouvrages subsistants de Dubernet ; mais on ne peut rien en conclure, sinon son intérêt manifeste pour les questions juridiques relevant de la religion.

Ce dernier aspect était bien fait pour attirer l’attention de Montesquieu ; néanmoins on n’en trouve pas trace dans ses écrits 21 . On note également que les deux tomes de Gesner restent orphelins : Montesquieu possède d’autres encyclopédies de ce type : Jonston, Aldrovandi…, et n’a pas éprouvé le besoin de compléter celle-là. En revanche, on a la preuve qu’il a utilisé deux des ouvrages de son arrière-grand-père, signe incontestable que les livres hérités, même les plus anciens, ne sont pas des livres morts : une référence dans les Pensées correspond à la pagination de l’édition de 1589 de Tacite 22 , et le texte cité par les Romains à propos des ravages causés par les Huns, à la traduction par Chanteclair de Priscus, Ad Attilam legatio 23  ; de ce dernier ouvrage, il avait par ailleurs manifestement tiré des extraits, regroupés sous le titre de « Pièces diverses » 24 . Les restes de la bibliothèque de Dubernet méritaient donc bien cet intérêt.

Un document promet des révélations : l’inventaire après décès de Jacob de Secondat (1576-1619), le père de Gaston, donc également arrière-grand-père de Montesquieu 25 . Mais il ne signale guère que onze ouvrages « trouvé[s] dans ung coffre », certains coûteux comme les Tableaux de plate peinture des deux Philostrate, dont on a du mal à imaginer cependant qu’ils constituent toute sa bibliothèque. Ces onze volumes, qui témoignent d’un intérêt certain pour les pays du nord de l’Europe, se retrouvent-ils dans le Catalogue ? Ce n’est même pas sûr, les quelques descriptions de reliure que l’on trouve de part et d’autre n’apportant guère d’éclaircissement.
Les générations suivantes n’ont pas laissé les mêmes traces. Du gendre de Dubernet, Jean-Baptiste Gaston de Secondat, connu sous le nom de Gaston de Secondat 26 , ou peut-être de Dubernet lui-même, doivent provenir un « Répertoire de jurisprudence » manuscrit qui n’apparaît pas dans le Catalogue 27 et plusieurs volumineux manuscrits de droit du Catalogue 28 , dont des « Registres secrets » du parlement de Bordeaux pour les années 1573-1575, qui portent son ex-libris 29  : autant d’outils de travail en usage chez les parlementaires pour connaître les décisions et motivations qui constituent la jurisprudence, et transmis de génération en génération, comme l’est sans doute cette copie des « Registres du parlement » en quatre volumes, couvrant la période 1496-1651, donc jusqu’à la Fronde, néanmoins inscrite dans le Catalogue par Jean-Baptiste de Secondat, fils de Montesquieu 30 . Quant aux imprimés relevant du droit, il faut se garder en revanche d’y voir systématiquement l’héritage d’une famille de parlementaires : le 10 mai 1720 Montesquieu doit régler pour plus de cent trente livres l’achat de quatre ouvrages de droit 31 , à quoi s’ajoute un autre achat de la même date, pour trente-quatre livres correspondant à deux titres, dont l’un constitue le dernier tome d’une série ancienne 32 .

Reste surtout dans l’ombre l’apport de celui qui avait le plus de chance d’accroître la bibliothèque : l’oncle de Montesquieu, Jean-Baptiste de Secondat, mort veuf et sans enfant. On le sait riche, notamment en raison de son mariage avec Marguerite de Caupos, qui lui apporte la dot considérable de 130 000 livres ; mais on ignore tout de ses rapports avec son neveu et principal héritier, qui n’a jamais rien dit de lui 33 . On n’a conservé aucun inventaire après décès de cet oncle 34 , rien qui permette de prendre la mesure de sa bibliothèque. On n’a aucune trace d’une quelconque marque sur ses livres 35 , ce qui rend toute hypothèse hasardeuse. Telle est sans doute la principale limite de toute étude historique de cette bibliothèque, dont doivent également tenir compte les études statistiques.

Autres provenances, du collège de Guyenne à l’Oratoire

Les provenances, que nous ne pouvons toutes passer en revue, laissant à de véritables spécialistes l’étude des ouvrages provenant de la bibliothèque de Colbert ou de celle du surintendant Fouquet, dont on trouve plusieurs ouvrages relevant tous de la médecine 36 , peuvent néanmoins être riches d’enseignement. Un point préalable doit cependant être rappelé : aucune de ces provenances, aujourd’hui particulièrement prestigieuses, Montaigne ou Malebranche, ne semble avoir fait l’objet d’un traitement ni même d’un intérêt particulier. Quant aux autres, elles sont ou seront utiles aux chercheurs, pour une lecture « historique » de la bibliothèque de La Brède.

Des provenances autres que familiales, habituelles dans une économie du livre qui favorise le réemploi et la circulation d’une denrée coûteuse, dont la durée de vie n’est pas limitée, apparaissent sur de nombreux ouvrages, mais ceux-ci livrent ainsi leur propre origine, non celle de la bibliothèque, car on ne sait par quels détours et en quelle occasion ils y sont entrés : ainsi des trois livres portant signature de Montaigne 37 , des deux où figure celle d’un conseiller au parlement de Toulouse, Pierre Charon, actif de 1633 à 1640 38  ; mais il faut aussi envisager les cinq portant la marque du fameux Élie Vinet qui enseigna au collège de Guyenne au temps de Montaigne 39 , ou encore de Jacques Brassier qui lui succéda comme principal de cette institution 40 , de Robert de Balfour successeur de Brassier 41 , mais aussi du président Voysin, du plus fameux comte de Guilleragues, mort en 1685… dont on ne sait par quels chemins ni à quelle date ils se sont retrouvés dans la bibliothèque familiale.

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Signature de « Charon » sur l’Epitome de Tite-Live (Bordeaux, 1555), BM Bordeaux, LAB 2516
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Marque de « Charon » sur Rerum anglicarum annales, BM Bordeaux, LAB 1191

Une autre provenance tout aussi manifeste est la bibliothèque de l’Oratoire de Paris : parfois biffées (ce qui est loin d’être le cas général quand apparaissent des marques d’appartenance antérieures), les mentions « Oratorii Parisiensis Catalogo inscriptus » (voir illustration), avec quelques variantes dues à des abréviations, parfois également assorties d’une cote, concernent onze ouvrages correspondant à seize volumes, dont le plus ancien est de 1554, le plus récent de 1700 42 . Compte tenu des relations privilégiées qu’entretenait Montesquieu avec le bibliothécaire de l’Oratoire, le père Desmolets, il est très probable que c’est par son intermédiaire qu’il s’est procuré des ouvrages majoritairement en latin (deux seulement sont en français, un en italien), portant sur tous les sujets, de l’histoire aux sciences en passant par la numismatique. Parmi ces onze titres, on signalera dans son édition originale (1667) la violente satire Il sindicato di Alasandro VII de Gregorio Leti, qui fut mise à l’Index, et dans la traduction française de Sorbière les Elementa philosophica de cive de Hobbes, eux aussi immédiatement condamnés par Rome 43 … Il ne peut guère s’agir que de livres en double dont la bibliothèque oratorienne avait préféré se défaire 44 . C’est en tout cas une provenance qui, à la différence des autres, permet de voir là presque certainement une acquisition de Montesquieu, que l’on pourrait même situer entre 1707, date à laquelle Desmolets est chargé de seconder le père Lelong, bibliothécaire de l’Oratoire 45 , et 1731-1732, date de rédaction du Catalogue où ils apparaissent d’emblée 46 .

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Ex-libris (biffé) de la bibliothèque de l’Oratoire de Paris, BM Bordeaux, LAB 933

Parmi les provenances tout aussi visibles, il faut citer encore les ouvrages portant la marque de la famille Sarrau, en particulier l’ex-libris armorié « d’azur à trois serres d’aigle » (voir illustration) dont use Claude Sarrau, grand-père des amis de Montesquieu, Sarrau de Vézis et Sarrau de Boynet : ce protestant, parlementaire estimé, était aussi et peut-être avant tout un philologue éminent, grand collectionneur de manuscrits, ami des plus grands savants de son temps, dont Bochart, Saumaise et Grotius 47  ; Christine de Suède l’avait chargé de lui procurer des manuscrits. Claude Sarrau étant mort en 1651, c’est bien avant la naissance de Montesquieu que sa bibliothèque dut être dispersée, et on ne sait par quels intermédiaires transitèrent ces ouvrages en latin, portant presque exclusivement sur l’histoire de l’Église et la Bible. On peut conjecturer néanmoins que c’est par la branche bordelaise : Isaac Sarrau, pasteur à Bègles, se convertit lors de la révocation de l’édit de Nantes ; les enfants nés de son second mariage, dont Jean et Isaac, auraient quitté la France avec leur mère, tandis qu’un fils d’un premier lit, Charles, restait sujet du roi et professait la religion catholique, mais devait mourir en huguenot en 1749 48 . Mais il faudra y revenir.

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Ex-libris armorié de Claude Sarrau, BM Bordeaux, LAB 1066
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Marque de la main de Claude Sarrau, BM Bordeaux, J 2080

Per angusta ad augusta. PDL

Plus mystérieuse est la devise Per angusta ad augusta, que l’on retrouve dans le fonds de La Brède sur une cinquantaine d’ouvrages subsistants 49 , essentiellement des in-quartos et des in-octavos, assortie dans tous les cas (sauf un 50 ) de la mention encore plus obscure « PDL  » (voir illustration). Voilà qui mérite un peu d’attention 51 . Ces ouvrages presque exclusivement en latin 52 portent sur l’Écriture et la religion, sauf plusieurs ouvrages de Milton, Pro se Defensio et Pro populo Anglicano Defensio, qui témoignent de sa vigoureuse défense contre les accusations de régicide après l’exécution de Charles Ier, si mal reçue en France 53 . Les plus anciens, des commentaires d’Érasme sur saint Paul et les évangiles, remontent à 1542 ; mais la plus grande partie date de la fin du XVIe siècle et de la première moitié du XVIIe, le plus tardif étant l’un de ceux de Milton, qui est daté de 1655. Il semble évident dans ce cas que l’entrée de ces ouvrages dans la bibliothèque ne doit rien à Montesquieu : de telles dates incitent à voir là une collection homogène 54 entrée peu après le milieu du XVIIe siècle dans une bibliothèque à lui transmise.

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Devise « Per angusta ad augusta » et marque « PDL », BM Bordeaux, LAB 64
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Devise « Per angusta ad augusta » et marque « PDL » sur un ouvrage en hébreu, BM Bordeaux, LAB 582

Une collection savante

Mais on peut aller plus loin : une caractéristique remarquable de la « collection PDL » (ainsi l’appellerons-nous) est de présenter les œuvres des plus grands hébraïsants et orientalistes des XVIe et XVIIe siècles, Lodewijk de Dieu, Johann Buxtorf, Arnold Boate, Johannes Drusius (van den Driesche), Sixtinus Amama, tous originaires du nord de l’Europe, Allemagne ou Pays-Bas, mais aussi les Français Louis Cappel le jeune et Jacques Cappel, qui ont comme point commun avec les premiers la religion réformée. Certes, des savants catholiques entrent dans la même liste : les hébraïsants français Siméon Marotte de Muis, Jean Cinqarbres et François Savary de Brèves, ou le Toscan Sante Pagnino. Mais la « collection PDL » compte surtout nombre d’éminents protestants de tous horizons : David Blondel, David Pareus, Benedict Turrettini, Georg Pasor, ou encore les pasteurs Moïse Amyraut et Johann Brandmüller. Il ne s’agit pas pour autant d’un choix exclusif, puisque, sans même parler de celui qui se refusa à embrasser la Réforme sans pour autant suivre le courant de l’Église romaine, Érasme, on trouve aussi les noms du très catholique Jacques Sirmond ou du jésuite d’origine espagnole Juan Maldonado (Jean Maldonat), et que les œuvres de saint Grégoire le Grand ou d’Agobard figurent en bonne place. Mais on peine à relever d’autres traces que celles qui viennent d’être signalées : les noms relevant de l’Église romaine sont écrasés en nombre par ceux des érudits formés à la lecture protestante de l’Écriture sainte.

Si l’on veut à tout prix déceler un axe unique, on le trouvera grâce au théologien Maldonat, auteur d’un commentaire sur quatre prophètes, ou à Érasme, qui livre sa « paraphrase » des évangélistes et de saint Paul : celui qui constitua cette collection était attaché au retour au Texte plus qu’aux subtilités du dogme. Mais faut-il aller chercher plus loin ? Le défaut d’unité des reliures que nous avons signalé fait apparaître un point commun : leur médiocrité, qui ne tranche pas avec celle de l’ensemble de la bibliothèque de La Brède, mais qui surtout révèle une bibliothèque de travail, et non de prestige. C’est là la collection d’un savant, sans doute de confession réformée, mais qui a surtout cherché à se doter de bons instruments de travail.

À ce portrait-robot, un homme paraît correspondre : Pierre de Launay (1573-1664), qui a signé « PDL » la Paraphrase et claire exposition du livre […] intitulé l’Ecclésiaste 55  ; né dans une famille protestante, il apprit l’hébreu à quarante ans, et s’y consacra entièrement le reste de sa vie 56 . Cette identification paraît d’autant plus probante que ces initiales constituent une véritable signature, comme en atteste Claude Sarrau, dont il était l’oncle par alliance 57 et chez qui il avait vécu : « […] les jésuites de Cologne n’ont pas tant l’habitude avec nous qu’ils scachent que P.D.L. mis au devant d’un livre il y a plus de 20 ans, signifie Pierre de Launay » 58 . Un protestant aurait-il utilisé pour marquer ses livres une signature aussi connue parmi ses coreligionnaires ?

Mais comment ces ouvrages sont-ils parvenus à La Brède ? Sans enfants, Pierre de Launay laissa à sa mort une succession que se disputèrent le consistoire de Charenton et ses parents – dont Françoise de Candal, veuve de Claude Sarrau – pour de tout autres raisons 59 . Faut-il voir là l’origine commune des deux collections présentes dans le fonds de La Brède ? Ou s’agit-il d’une pure coïncidence ? On hésite à croire que Mme Sarrau, nièce de Launay, ait voulu mettre la main sur des ouvrages qui n’avaient guère d’intérêt que pour un savant ; mais cette bibliothèque et celle de son mari avaient dû se mêler 60 , et leur valeur n’était sans doute pas marchande. Il est possible que ces deux collections aient conflué à Charenton, où elles auraient subi les vicissitudes de l’Église réformée : lors de la Révocation, la maison consistoriale ayant été donnée aux Nouvelles Catholiques de la rue Sainte-Anne, les livres furent transférés à La Haye et confiés au fils de l’illustre pasteur Claude, Jean-Jacques, pour être finalement vendus dans cette ville en 1722 61 . Mais était-ce le cas pour tous ? Certains ne trouvèrent-ils pas refuge ailleurs ? Et surtout, si les deux collections ont été confondues, ne doit-on pas penser qu’elles se sont retrouvées chez Isaac de Sarrau, pasteur à Bègles, déjà évoqué à propos de son père ? En l’état actuel des connaissances, c’est le plus plausible.

Montesquieu et l’hébreu

Grâce à la « collection PDL » et à celle de Claude Sarrau, quels qu’en soient l’origine et le trajet, c’est donc tout un pan de la culture hébraïque qui s’ouvre à Montesquieu, et avec elle un aspect majeur de la pensée réformée et de sa méthode. Certes, il restera toujours en marge de ce champ : s’il est évident qu’il ne connaissait pas l’hébreu, il ne semble même pas en avoir eu de simples notions. Dans les Pensées, il évoque des mots ou des lettres de l’alphabet, mais toujours d’après des intermédiaires et sans commentaire personnel, ce qui pourrait constituer un aveu d’ignorance 62 . Soucieux de simplifier l’apprentissage de la langue, dont il regrette la longueur et la difficulté 63 , il donne l’impression de rester en position d’observateur. Il évoque par ailleurs avec précision la grammaire du chanoine François Masclef, Grammatica hebraica a punctis aliisque inventis Massorethicis libera 64 , dont la date (1716) indique de surcroît qu’il l’a acquise lui-même ; mais c’est pour en résumer la thèse sans en tirer d’application ni pour l’histoire de la Bible, ni pour la langue, ainsi « libérée » des points-voyelles massorétiques afin de permettre au lecteur de retrouver une langue plus ancienne et plus aisée à apprendre 65 . Dans ces deux cas, c’est donc la difficulté qui est soulignée. Et quand il s’intéresse aux Hexaples d’Origène 66 , qui lui permettent de confronter six versions de la Bible en hébreu, en grec et en latin, c’est surtout pour suivre le savant éditeur de cet ouvrage, Bernard de Montfaucon 67 . Quant aux mentions des Hébreux dans les Pensées, chacune d’elle peut être ramenée à une source historique très précise, ou si l’on veut à un intermédiaire, plutôt qu’à une réflexion personnelle sur un texte hébreu.

La culture hébraïque, qui constitue un élément intéressant de la bibliothèque de Montesquieu, ne doit donc pas être considérée comme un pan de sa propre culture ou comme l’effet d’une démarche personnelle : ainsi, il est douteux qu’il ait tiré le moindre enseignement de la version polyglotte de l’Apocalypse (1627), en langue syriaque, grecque, hébraïque et latine 68 . Mais cette culture savante avait de quoi alimenter sa curiosité, et nous en trouvons la preuve dans un signet autographe portant sur les œuvres de David Pareus : alerté sur ce point par l’article du Dictionnaire historique et critique de Bayle consacré à cet auteur, Montesquieu déplore de ne pas trouver dans les éditions dont il dispose « l’ouvrage le plus curieux qui est son comentaire sur l’epitre de St Paul aux Romains 69 qui contient des sentimens antimonarchiques et que le roy Jacques fit bruler par la main du bourreau ». Ce signet, trouvé dans un autre des ouvrages de la « collection PDL », et que nous publions parmi les Notes et extraits de lecture 70 , révèle aussi que c’est une forme de liberté de pensée qu’il attend d’un pareil gisement, sans pouvoir la satisfaire pleinement.

Herman Schreuder ?

La recherche fructueuse d’ensembles cohérents au sein de la bibliothèque de La Brède incite à repérer d’autres ex-libris récurrents. Moins fournie, mais homogène, une série de onze ouvrages (au moins) signés « Schreuder », qui apparaît comme « Herman Schreuder » sur l’un d’entre eux 71 (voir illustrations), se caractérise par son orientation érudite : il s’agit d’ouvrages presque tous en latin, de format in-folio sauf pour deux in-octavos 72 , et dont les dates s’échelonnent de 1529 à 1620 : Clément d’Alexandrie, Philostrate, Athénée, l’Historia Augusta, le De causis plantarum de Théophraste, ou l’Histoire ou plutôt Chronique scandaleuse de Louis XI de Jean de Roye. Comme pour la collection « PDL », l’ancienneté des ouvrages incite à voir là une acquisition bien antérieure à la génération de Montesquieu. Mais cette fois, la diversité des centres d’intérêt ne permet de dresser aucun portrait-robot du possesseur : nous nous contentons donc de le signaler, sans pouvoir en tirer de conclusion supplémentaire.

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Ex-libris « Schreuder » biffé, BM Bordeaux, LAB 612 (t. I)
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Ex-libris « Schreuder » au crayon, BM Bordeaux, LAB 612 (t. II)

Néanmoins, nous pouvons en retenir que si cette histoire « scandaleuse » de Louis XI due à Jean de Roye n’est pas signalée dans le Spicilège comme source des anecdotes reprises par Montesquieu 73 , il reste à étudier la part qui pourrait lui revenir lorsqu’il retrace le règne du roi maudit dans les Pensées 74 . Si la question est encore incertaine, l’attention qu’il a vouée à un autre ouvrage qu’avait possédé Schreuder est patent : des Opera de Giglio Giraldi, qu’il appelle de son nom latin Lilius Giraldus, il a tiré un recueil d’extraits dont il rappelle plusieurs remarques dans les Pensées 75 . Montesquieu n’a guère pu utiliser que l’édition publiée à Bâle en 1580 par Thomas Guérin (Thomas Guarinus) – d’autant qu’il disposait de trois exemplaires à La Brède, au point d’en donner un au président Barbot 76 … Il n’avait donc guère besoin en réalité de l’exemplaire issu de Schreuder, sinon pour se convaincre que cet imposant in-folio, en un ou deux volumes selon les cas, représentait une somme d’érudition d’un intérêt suffisant pour que trois exemplaires identiques se retrouvent ainsi côte à côte en 1732.

Ce tour d’horizon, malgré les incertitudes qui subsistent, nous ramène à la notion même d’héritage : loin d’être un poids, ou le témoignage d’une culture d’un autre temps, comme le voudrait par exemple Voltaire, les strates qui composent la bibliothèque de La Brède, même lorsqu’elles laissent deviner une forme d’esprit, voire une personnalité autre, se présentent comme une invitation à parcourir un domaine inconnu. Les ouvrages hérités représentent un champ des possibles dont Montesquieu a su profiter. Loin de s’en sentir accablé, Montesquieu y trouve les ressources nécessaires quand il se trouve à La Brède, quitte à en chercher d’autres quand il est à Paris ou à Bordeaux, comme on le verra. La masse érudite, où il trouvera souvent à glaner, ou qui lui fournira matière à comparaison, représente un immense espace constitué de vastes massifs plus ou moins familiers au lecteur d’aujourd’hui, et qu’il faut maintenant explorer plus avant.

Notes

1 Selon le mode de calcul, depuis 1731-1732, 1733 ou 1735 jusqu’en 1747.

2 Voir Les reçus de libraires.

3 Il est toujours possible que Montesquieu ait inscrit tardivement des ouvrages oubliés lors de la constitution du Catalogue. Mais cela n’accroît guère la marge d’incertitude.

4 Voir Les ouvrages provenant de Malebranche.

5 Ainsi de ce Dictionnaire des rimes de Richelet (1702) ou du Dictionarium poeticum de Vanière (1710) que l’on peine à imaginer acquis par le baron de Montesquieu ou par le baron de La Brède sur leurs vieux jours.

6 C’est le cas pour un certain nombre d’ouvrages classiques : voir Une nouvelle analyse, « Classiques modernes ». On n’a aucune raison de voir en Montesquieu un étudiant impécunieux ; tout indique au contraire que sa famille disposait de solides ressources financières : comme le fait remarquer François Cadilhon, le fait que son frère cadet, et non lui seul, ait étudié plusieurs années à Juilly, où les divers frais de pension s’ajoutaient au coût élevé des études, est un signe de solidité financière ; de plus, Jacques de Secondat payait très régulièrement la pension de ses fils, qu’il envoie même une fois d’avance pour une année, ce qui n’est pas le cas dans toutes les familles. En onze ans, il versa pour ses deux fils près de 5 000 livres de pension et frais divers (François Cadilhon, « Montesquieu et les élèves bordelais du collège de Juilly, 1700-1710 », Revue française d’histoire du livre , no 46, 1985, p. 253-258). Cela ressort aussi clairement de ce que Montesquieu intitule « Mémoire de ma vie », qui s’arrête avec cette phrase : « Ma mere avec beaucoup de bien avait beaucoup de dettes et de procés ; mon pere passa sa vie a retablir les affaires et a peine les eut-il retablies que ma mere mourut [en 1696] » (OC, t. 9, p. 407). C’est dire que ses héritiers connurent ensuite une aisance certaine. À cela s’ajoute le statut d’héritier de l’importante fortune d’un homme âgé, le président Jean-Baptiste de Secondat, qui ne pouvait qu’inspirer la confiance et donner du crédit.

7 Voir la notice qu’a laissée Jacques de Secondat : « sa lecture ordinaire estoit le nouveau testament » (Le livre de raison de Jacques de Secondat).

8 L’inventaire après décès du grand-père maternel de Montesquieu, Pierre (de) Pesnel, baron de La Brède, qui meurt en 1684, ne laisse pas apparaître de bibliothèque ou même seulement de livres : voir La bibliothèque du château de la Brède du temps de Montesquieu.

9 Voir Le livre de raison de Jacques de Secondat.

10 Voir La bibliothèque du château de la Brède du temps de Montesquieu.

11 Par exemple la Bibliotheca de Photius ou la Notitia dignitatum.

12 Ainsi d’Athénée, dont les deux exemplaires de La Brède sont datés l’un de 1612, l’autre de 1657.

13 Citons par exemple LAB 516 et 553 (Catalogue, no 1937), LAB 240 et 241 (Catalogue, nos 1030 et 1031), LAB 935 et 936 (Catalogue, no 2554), LAB 1791 et 1926 II (Catalogue, nos 1621 et 1622), etc.

14 Plusieurs d’entre eux forment un ensemble, sous les nos 770 à 775 du Catalogue : il est probable que les deux ouvrages qui n’en ont pas été conservés (nos 770 et 773) avaient la même origine. Un autre (LAB 2506) est absent du Catalogue.

15 Voir Pierre Joseph de Haitze, Histoire de la ville d’Aix-en-Provence, t. IV, Aix-en-Provence, Makaire, 1892 : http://www.e-corpus.org/notices/9092/gallery/75631 (Bibliothèque Méjanes, In 8o 90210 [4]). Les Tables de la Gazette de France (t. II, 1767, p. 89) le disent âgé de soixante-six ans à sa mort ; il serait donc né en 1586 ou 1587.

16 Ibid., p. 391. Peut-être est-ce ce qui lui a valu l’estime de son descendant, si violemment opposé à Richelieu : « Ce 1er president etoit un homme de beaucoup de merite. Je trouve dans ses lettres que le cardinal de Richelieu » (la phrase s’arrête ici ; « Mémoire de ma vie », OC, t. 9, p. 404).

17 Voir Caroline Le Mao, Parlement et parlementaires, Bordeaux au Grand Siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2007. Sur l’isolement de Dubernet et de son gendre Montesquieu, presque seuls soutiens du duc d’Épernon au parlement de Bordeaux au début de la Fronde, et leur fidélité à Mazarin, voir notamment p. 98-106.

18 Voir Jean Ehrard, « La Fronde », dans L’Esprit des mots. Montesquieu en lui-même et parmi les siens, Genève, Droz, 1998, p. 95-107. Dans les lignes qui suivent j’ai fait usage d’une étude inédite sur Dubernet et sa famille (ascendants et descendants), ainsi que sur le contexte historique et local, étude fondée notamment sur les documents publiés dans les Archives historiques de la Gironde mais aussi sur les archives d’Eyrans ainsi que sur des sources imprimées du XVIIIe et du XIXe siècle ; je remercie son auteur, Stéphane de Sèze, de me l’avoir généreusement communiquée (« Eyran : Une seigneurie et des dynasties bordelaises » ; archives familiales : le château d'Eyran est entré dans la famille de Sèze en 1796 par le mariage de la dernière des Raymond de Sallegourde avec son ancêtre, Paul-Victor de Sèze).

19 De Bordeaux à Aix, puis à Bourges, Bordeaux et Limoges, sa bibliothèque a dû connaître de grandes vicissitudes. Quant à son château d’Eyran à Saint-Médard d’Eyrans, il fut pillé lors des troubles de la Fronde : un procès verbal du 6 septembre 1652 révèle son état de délabrement et d’abandon, mais aussi l’intervention de Mme de Montesquieu, qui semble avoir pris tout ce qui pouvait l’être (voir l’étude de S. de Sèze citée à la note précédente) : cela a dû être le cas pour les livres, s’ils étaient là.

20 Catalogue, no 1958.

21 Les Pensées (no 2080) évoquent l’« incapacité » de Jacques Ier, mais non ses relations avec le catholicisme.

22 Pensées, no 2197 : « Vestilia (Tacite liv. 2e. p. 43) pour eluder les loix faites pour conserver la dignité des matrones, se declara courtisane publique ».

23 Catalogue, nos 2880 et 2883 (Romains, XIX ; OC, t. 2, p. 244, note 24).

24 Voir Dossier de L’Esprit des lois, Ms 2506/8, f. 30, et 2506/10, f 26r (OC, t. 4, p. 819 et 849), et Pensées, no 1752.

25 Ce document (Ms 2810/33), conservé dans le fonds de La Brède, a été rédigé entre le 4 novembre 1619 et le 13 janvier 1620 : voir l’extrait de cet inventaire concernant les livres (L’inventaire après décès de Jacob de Secondat).

26 Le catalogue de la première vente de 1926 lui attribue un « Abrégé de la pathologie » manuscrit (Ms 1788 ; Catalogue, no 1034), qui serait « du début du XVIIe siècle », selon le catalogue de la première vente de 1926. Cette mention apparaît peu compatible avec les dates de sa vie (1612-1678), mais on sait de toute manière que l’autorité des catalogues de vente de 1926 en la matière est nulle (voir Les Catalogues de vente de 1926). Mais peu importe : si l’ouvrage vient de La Brède, il a de fortes chances de provenir d’un des ascendants de Montesquieu.

27 Ms 1795.

28 Catalogue, nos 810 à 814.

29 Catalogue, no 813.

30 Catalogue, no 3036. Faut-il attribuer au fils ou au grand-père de Montesquieu ce « Registre du conseil du parlement », 1496-1515 (vendu en 1926, seconde vente no 703) ? Il n’apparaît pas dans le Catalogue.

31 Voir Les reçus de libraires (reçu 7).

32 Il s’agit du Journal des principales audiences du parlement (Catalogue, no 869). Voir Les reçus de libraires (reçu 6).

33 Voir François Cadilhon, « Jean-Baptiste de Secondat, oncle et mentor de Montesquieu », Revue française d’histoire du livre, nos 76-77, 1992, p. 301-306. Cet oncle qui lui transmet et sa charge, et son titre, aurait pu trouver place en tant que chef de famille dans le « Mémoire de ma vie », qui est en fait une généalogie (voir ci-dessus, note 6), ce qui n’est pas le cas. Mais surtout on n’en trouve pas la moindre mention dans les différents écrits de Montesquieu, sinon la copie de sa main d’une de ses harangues (OC, t. 17, à paraître), une citation dans le Spicilège (no 225), et, comme le fait remarquer très judicieusement F. Cadilhon (p. 304), le pronom on (« on me mit dans les livres de droit ») dans une lettre à Solar du 7 mars 1749, pour désigner une déplaisante et maladroite pression familiale. Cela incite à relativiser les conclusions (et le titre) de l’article, qui se fonde surtout sur les pratiques habituelles dans les familles du XVIIIe siècle et dans le milieu parlementaire. La révolte contre cette pression familiale se manifeste également avec le refus qu’oppose Montesquieu au mariage prévu avec Mlle Denis, « le contrat ayant été passé de l’aveu et pour ainsi dire par l’ordre de M. [le président] de Montesquieu et l’abbé de ses oncles » (Chronique du Bordelais au crépuscule du Grand Siècle : le mémorial de Savignac, à la date du 13 février 1715, Caroline Le Mao éd., Pessac, Presses universitaires de Bordeaux – Société des bibliophiles de Guyenne, 2004, p. 414). La fin de la vie de son oncle ne l’incitait peut-être pas non plus à l’indulgence : selon Savignac, qui ne perd par ailleurs aucune occasion de signaler la qualité de ses discours et qui lui voue manifestement beaucoup de respect, le président de Montesquieu mourut malade « du feu dévorant qu’il entretenait par le chocolat et toutes sortes de liqueurs à l’eau-de-vie, dont il faisait un usage perpétuel depuis plusieurs années » (ibid., p. 463, 24 avril 1716).

34 Nous remercions Caroline Le Mao des informations qu’elle nous a communiquées à ce propos.

35 Voir Genèse du Catalogue.

36 Cinq de ces ouvrages apparaissent dans le catalogue de la seconde vente de 1926 (Catalogue, nos 1147, 1155, 1157, 1201, 1309), un dans la première (Catalogue, no 1141) ; un seul exemplaire « physique » a été repéré à ce jour (collection privée). La bibliothèque de Fouquet avait été saisie et vendue après sa disgrâce, la Bibliothèque du Roi achetant plusieurs centaines de volumes.

37 Les ouvrages de sa « librairie » ont été dispersés entre 1615 (date de la mort de Léonor de Montaigne, sa fille) et 1633-1634 (voir André Masson, « Notes sur la bibliothèque de Montaigne », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, no 6, 1939, p. 475-493). Pour la bibliothèque de Montaigne, nous renvoyons une fois pour toutes à « Montaigne à l’œuvre », programme ANR dirigé par Marie-Luce Demonet (Tours, CESR, « MONLOE » : http://www.bvh.univ-tours.fr/Montaigne.asp).

38 Voir Catalogue, nos 2836 et 3191. Ce Pierre Charon aurait-il pu lui-même être celui par qui passèrent les ouvrages de Montaigne ? On relève sa signature figurant à la dernière page de l’Epitome de Tite-Live imprimé à Bordeaux en 1555, très rare, ce qui permet de rapprocher cet ouvrage des Rerum anglicarum annales, qui portent une mention plus développée, qui l’identifie et le révèle actif en 1640 (voir les illustrations). Ce conseiller au parlement de Toulouse a également porté son nom sur l’Histoire des roys et princes de Pologne d’Herburt de Fulstin (BNF, Z Payen 486) : « Achepte a Bordeaux de la biblioteque de feu Michel de Montaigne autheur des Essais le 3e juin 1633. Charon » (nous remercions Alain Legros de nous avoir permis ce rapprochement).

39 Catalogue, nos 1641, 1659, 1680, 1912, 2915 (seuls les deux derniers ont été conservés ; les autres ont été identifiés comme tels par les catalogues de vente de 1926).

40 Sa signature apparaît sur deux ouvrages de Vinet, Catalogue, nos 1659 et 2915, mais aussi sur les nos 942 et 1868, ainsi que sur un ouvrage conservé à Libourne (Catalogue, no 2594).

41 Voir Jean Darnal, Supplément des chroniques de la noble ville et cité de Bourdeaus, Bordeaux, Jac. Millanges et Cl. Mongiroud, 1620, p. 58 : « Les livres de la Biblioteque de feu Monsieur Vinet furent acheptez par la Ville, mis es mains du sieur Brassier Principal, pour l’usage du College, sont à present es mains du Principal qui est aujourd’huy nommé le sieur Balfour. » Voir l’exemplaire numérisé de la Bayerische Staatsbibliothek, 4 Gall.sp. 57 m http://books.google.fr/books?id=ozRDAAAAcAAJ. Balfour est mort en 1621.

42 LAB 68, 109 (et Addenda, 110), 697-699, 875, 886, 933, 958-960, 1000, 1116, 3053, auxquels il faut ajouter le Recueil général de Renaudot (Catalogue, no 1430) conservé à Stanford.

43 Voir Artemio Enzo Baldini, « Censures de l’Église romaine contre Hobbes : De cive et Léviathan », « Bulletin Hobbes XIII », Archives de Philosophie 2/ 2001, no 64, p. 1-58.

44 Faut-il voir là un emprunt indélicat ? On comprend mal dans ce cas pourquoi l’ex-libris aurait été parfois biffé, et non cancellé (ou purement et simplement ignoré), et pourquoi il ne l’aurait pas été systématiquement. De toute manière, les relations de Montesquieu avec Desmolets interdisent cette interprétation, aggravée du fait que Montesquieu aurait dû transporter à La Brède les ouvrages empruntés à Paris (voir aussi Genèse du Catalogue, « Mode de constitution du Catalogue »).

45 Voir, de Michel Gilot et Françoise Weil, la notice consacrée au père Desmolets dans le Dictionnaire des journalistes (no 230) : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/230-desmolets

46 Tous, sauf une traduction d’Hérodote inscrite par la main O, alors même que Montesquieu ne semble plus avoir besoin de nouvelles recherches chez cet historien, ce qui nous incite à penser que l’ouvrage devait figurer antérieurement à La Brède : voir L’enrichissement du Catalogue.

47 Les Epistolae ad Gallos de Grotius (Catalogue, no 2287) contiennent plusieurs lettres à Sarrau ; mais l’exemplaire de Montesquieu provient de la bibliothèque de Malebranche. En revanche, l’exemplaire du De primatu papae de Saumaise (J2080 ; Catalogue, no 569) porte une mention de Claude Sarrau, qui évoque l’inestimable valeur que revêtent à ses yeux les notes manuscrites de l’historien protestant David Blondel (voir l’illustration).

48 Eugène et Émile Haag, La France protestante, Paris-Genève, Cherbuliez, 1856, t. IX, p. 146. Voir l’exemplaire numérisé de la Bayerische Staatsibliothek, 9332282 H.ref. 170 p-9, http://books.google.fr/books?hl=fr&id=lyVBAAAAcAAJ

49 L’approximation s’explique comme en d’autres cas du fait que certains volumes contiennent plusieurs ouvrages, et que d’autres sont regroupés dans le Catalogue comme tomes successifs d’une même série. Il se peut aussi que des ouvrages aujourd’hui disparus aient porté la même mention (par exemple ceux de Moïse Amyraut, nos 427-428, 513-514, 509-510, dont il ne subsiste qu’un ouvrage, évoqué plus loin).

50 LAB 169 (Catalogue, no 22).

51 Louis Desgraves avait cru reconnaître là la devise de l’Oratoire et une abréviation renvoyant à un père de l’Oratoire (Catalogue, édition de 1999, p. 8). Non seulement cette attribution est sans aucun fondement historique (l’usage n’en est pas attesté, et on peut se demander si « atteindre le sommet par des voies étroites » permet de définir l’esprit des Oratoriens), mais ce développement de « PDL », par analogie avec la signature de Malebranche, « PDLO » (prêtre de l’Oratoire), paraît tout aussi peu justifié. C’est sur cette identification qu’a reposé pendant plusieurs années le catalogage de ces livres.

52 Sauf la seconde partie, en français, d’un recueil factice qui contient en tête la Pro populo Anglicano Defensio (LAB 885 ; Catalogue, no 2413), les Six livres de la vocation des pasteurs de Moyse Amiraut (LAB 1630 ; Catalogue, no 512), et un ouvrage consacré aux traductions de la Bible (LAB 1843 ; Catalogue, no 573).

53 Respectivement LAB 885 (Catalogue, no 2413), correspondant à deux titres ; LAB 892 (Catalogue, no 2414).

54 Malgré la disparité des reliures : basane mouchetée (LAB 1630), parchemin souple (LAB 1801), parchemin rigide (LAB 1748), « demi-reliure cartonnée XVIIe siècle, papier chiffon peint en noir sur les plats, dos en parchemin peint en noir » (LAB 1741).

55 L’ouvrage apparaît dans le fonds de La Brède (LAB 41), avec un ex-dono manuscrit de 1630. Deux autres ouvrages du Catalogue lui sont dus : nos 83 et 117, ce dernier en grand papier (il doit s’agir d’un exemplaire donné par Launay lui-même).

56 Voir Eugène et Émile Haag, La France protestante, Paris-Genève, Cherbuliez, 1856, t. VI, p. 427-429 (http://books.google.fr/books?id=a64PAAAAQAAJ ; voir ci-dessus note 48).

57 Sa sœur était Catherine de Launay, épouse d’Isaac de Candal (on trouve parfois aussi « Du Candal »), sieur de Fontenailles : leur fille Françoise épousa Claude Sarrau.

58 Voir Correspondance intégrale d’André Rivet et Claude Sarrau, Hans Bots et Pierre Leroy éd., Amsterdam, APA, 3 vol. , 1978-1981, t. III, p. 254 (4 novembre 1645).

59 Le différend portait sur une rente à servir : voir Factum pour les ministres et anciens de la religion P. réformée de la ville de Paris qui ont son exercice à Charenton, et ceux du Plessis-Marly, intervenants. Contre Jean Garrault, écuyer, sieur de Blainville ; messire Jean d'Illiers, chevalier, seigneur de Vimay ; damoiselle Thérèse Garrault, tous légataires de défunte dame Suzanne Garrault, vivante femme de Charles de La Haye, écuyer, sieur de La Jurie ; Jacques Du Candal, écuyer, sieur de Fontenaille ; dame Magdeleine Du Candal, veuve de défunt maître Jacques Bigot, vivant contrôleur général de l'extraordinaire des guerres ; et dame Françoise Du Candal, veuve de défunt M. maître Claude Sarrau, vivant conseiller au parlement, tous légataires universels de défunt Pierre de Launay, écuyer, sieur de La Mothe ; Claude Garrault, écuyer, sieur de Vauferlan ; François Garrault sieur de Chasteaux ; dame Anne Garrault, veuve de défunt Lancelot Du Lac, vivant chevalier, seigr de Montizambert, défendeurs en ladite intervention, BNF, cote : LD176-363 (nous remercions Jérôme van Wijland de nous avoir signalé cette pièce).

60 D’autant que l’on trouve par exemple une Liturgie angloise de 1616 (Catalogue, no 576) donnée par Pierre de Launay à Claude Sarrau, qui s’ajoute aux ouvrages de l’auteur lui-même – dont peut-être l’exemplaire en grand papier signalé plus haut (note 55).

61 Jacques Pannier, « La bibliothèque de l’Église réformée de Paris de 1626 à 1664 », Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français, 1906, 55e année, p. 40-68, ici p. 47. La même source indique que Launay avait donné les ouvrages dont il était l’auteur à la bibliothèque de Charenton (p. 45) ; mais rien n’est dit des ouvrages qu’il possédait.

62 Pensées, nos 1503 et 1654.

63 En témoigne le Spicilège (no 504). L’ouvrage de Philipps, Compendious Way of Teaching ancient and modern Languages (1727 ; Catalogue, nos 1948 et 2467), dont on a pensé qu’il pourrait répondre aux aspirations de Montesquieu (procéder par translittération dans un alphabet latin, au lieu de perdre du temps à apprendre l’alphabet hébreu), consiste en fait en différents récits évoquant la manière dont les langues savantes ont été enseignées, notamment par Tanneguy Le Fèvre ; l’hébreu y occupe une place très réduite. L’identification de l’ouvrage auquel il pense (et dont il semble avoir entendu parler de manière imprécise) reste à faire.

64 Catalogue, no 1882.

65 Spicilège, no 586 : « La methode de Mr Masclaf chanoine d'Amiens pour la langue hebraique, il rejette la ponctuation et pretend que l'on trouve la voyelle dans la consonne ainsy après le g qui est gimel il faut un i[,] après le b qui est beth il faut un e[,] il peut y avoir des deffauts dans la prononciation, mais comme c'est une langue morte cela n'y fait rien, par cette raison il rejette trois conjugaisons parce qu'elles ne sont fondées que sur la difference des points. » La thèse avait été proposée par Louis Cappel le jeune (Catalogue, no 48).

66 Catalogue, no 13. L’ouvrage est de 1713, ce qui incite à penser (mais sans certitude absolue, comme pour tout ouvrage antérieur à 1716) que Montesquieu lui-même l’a acquis.

67 Voir l’annotation de Salvatore Rotta dans le Spicilège, nos 397 et 412.

68 Catalogue, nos 22 et 36 (sans doute le même ouvrage).

69 In divinam ad Romanos S. Pauli apostoli Epistolam commentarius, Genève, P. et J. Chouët, 1617. Elle manque effectivement dans l’édition procurée par son fils, Philippe Pareus, que possédait Montesquieu (Catalogue, no 123 ; LAB 100).

70 OC, t. 17, à paraître.

71 Dix ouvrages appartiennent au fonds de La Brède, un est conservé à Versailles (Lebaudy : in-12 no 372 ; Catalogue, no 2986). Sur certains, l’ex-libris est peu lisible (« Schreu » ?), mais le rapprochement avec les autres exemplaires ne laisse guère de doute.

72 LAB 312 et l’exemplaire de Versailles.

73 Spicilège, no 748.

74 Pensées, no 1302.

75 Pensées, nos 861-864.

76 Catalogue, nos 2245 et 2245bis, ce dernier « double ». On relève deux autres cas de troc avec Barbot : Catalogue, nos 3090 et 429 (voir Genèse du Catalogue).