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Guillaume Amontons naquit l’an 1663 sur le minuit du dernier jour d’août. Il était fils d’un avocat qui ayant quitté la Normandie, d’où il était originaire, était venu s’établir à Paris. Il étudiait encore en troisième, lorsqu’il lui resta d'une maladie une surdité assez considérable, qui le séquestra presque entièrement du commerce des hommes, du moins, de tout commerce inutile. N’étant plus qu’à lui-même, et livré aux pensées qui sortaient du fond de la nature, il commença à songer aux machines. Il entreprit d’abord la plus difficile de toutes, ou plutôt la seule impossible, je veux dire, le mouvement perpétuel, dont il ne connaissait ni l’impossibilité ni la difficulté. En y travaillant il s’aperçut qu’il devait y avoir des principes dans cette matière, et qu’à moins que de les savoir, on y perdait son temps et sa peine. Il se mit donc dans la géométrie, quoique selon la coutume de toutes les familles, la sienne s’y opposa, et sans doute avec assez de raison, si on ne regarde les sciences que comme des moyens d'arriver à la fortune.
On assure qu’il ne voulut jamais faire de remèdes pour sa surdité, soit qu’il désespéra d’en guérir, soit qu’il se trouvât bien de ce redoublement d'attention, et de recueillement qu’elle lui procurait, semblable en quelque chose à cet ancien que l’on dit qui se creva les yeux pour n’être pas distrait dans ses méditations philosophiques.
[p. 151] M. Amontons apprit le dessein, l’arpentage, l’architecture, et fut employé dans plusieurs ouvrages publics, mais il ne fut pas longtemps sans s’élever plus haut, et il joignit à cette mécanique qui produit nos arts, et n’est occupée que de nos besoins, la connaissance de la sublime mécanique, qui a disposé l’univers.
Les instruments, tels que les baromètres, les thermomètres , et les hygromètres, destinés à mesurer des variations physiques, qui nous étaient, il y a peu de temps, ou absolument inconnues, ou connues seulement par le rapport confus et incertain de nos sens, font peut-être de toutes les inventions utiles de la philosophie moderne, celle où l'application de la mécanique à la physique est la plus délicate ; et d’ailleurs comme on s’était contenté du premier hasard, ou de la première idée qui avait fait naître ces inventions assez heureusement, elles étaient demeurées ou défectueuses en elles-mêmes, ou d’un usage peu commode. M. Amontons les étudia avec beaucoup de soin, et en 1687 n’ayant encore que 14 ans, il présenta à l’Académie des Sciences un nouvel hygromètre qui en fut fort approuvé. Il proposa aussi à M. Hubin , fameux émailleur, et fort habile en ces matières, différentes idées qu’il avait pour de nouveaux baromètres et thermomètres, mais M. Hubin l’avait prévenu dans quelques-unes de ses pensées, et il fit peu d’attention aux autres, jusqu’ à ce qu’il eût fait un voyage en Angleterre, où elles lui furent proposées par quelques-uns des principaux membres de la Société Royale.
Peut-être ne prendra-t-on que pour un jeu d’esprit, mais du moins très ingénieux, un moyen qu’il inventa de faire savoir tout ce qu’on voudrait à une très grande distance, par exemple, de Paris à Rome, en très peu de temps, comme en 5 ou 4 heures, et même sans que la nouvelle fût sue dans tout l’espace d’entre-deux. Cette proposition si paradoxe, et si chimérique en apparence fut exécutée dans une petite étendue de pays, une fois en présence de Monseigneur, et une autre, en présence [p. 152] de Madame, car quoique M. Amontons n'entendît nullement l’art de se produire dans le monde, il était déjà connu des plus grands princes à force de mérite. Le secret consistait à disposer dans plusieurs postes consécutifs, des gens qui par des lunettes à longue vue ayant aperçu certains signaux du poste précèdent les transmissent au suivant, et toujours ainsi de suite, et ces différents signaux étaient autant de lettres d'un alphabet, dont on n’avait le chiffre qu’à Paris et à Rome. La grande portée des lunettes faisait la distance des postes, dont le nombre devait être le moindre qu’il fut possible, et comme le second poste faisait les signaux au troisième, à mesure qu’il les voyait faire au premier, la nouvelle se trouvait portée de Paris à Rome presque en aussi peu de temps qu’il en fallait pour faire les signaux à Paris.
En 1695, M. Amontons donna le seul livre imprimé qui ait paru de lui, et le dédia à l’Académie des Sciences. Il est intitulé Remarques et Expériences Physique sur la construction d'une nouvelle Clepsydre, sur les Baromètres, Thermomètres, et Hygromètres . Quoique les clepsydres, ou horloges à eau, si usitées chez les anciens, ayant été entièrement abolies parmi nous par les horloges à roues infiniment plus justes et plus commodes, M. Amontons ne laissa pas de prendre beaucoup de peine à la construction de sa clepsydre, dans l’espérance qu’elle pourrait servir sur mer ; car de la manière dont elle était faite, le mouvement le plus violent que pût avoir un vaisseau ne la déréglait point, au lieu qu’il dérègle infailliblement les autres horloges. On a pu voir dans le livre de M. Amontons avec combien d'art sa clepsydre était construite ; il n’y a guère d’apparence qu’il se soit rencontré avec aucun des anciens inventeurs.
Il entra dans l’Académie en 1699 lorsqu’elle reçut son nouveau règlement. Aussitôt il donna dans nos assemblées sa théorie des frottements, qui a tant éclairci une matière si importante dans la mécanique, et jusque là si obscure. Son nouveau thermomètre vint ensuite, inven [p. 153] tion qui n’est pas seulement utile pour sa pratique, mais qui a donné de nouvelles vues pour la spéculation. Nos Histoires ont parlé à fond de ces découvertes 1 , un volume nouveau qui va paraître en contiendra encore une autre du même auteur, c’est son baromètre rectifié, et le volume qui viendra encore après contiendra son baromètre sans mercure à l’usage de la mer, et des expériences nouvelles et fort curieuses qu’il a faites sur le baromètre et sur la nature de l’air, tant le nom et les découvertes de M. Amontons ont de peine qu’ils tenaient dans nos Histoires.
En effet, celle que cet académicien remplissait dans la compagnie était presque unique. Il avait un don singulier pour les expériences, des idées fines et heureuses, beaucoup de ressources pour lever les inconvénients, une grande dextérité pour l’exécution, et on croyait voir revivre en lui M. Mariotte , si célèbre par les mêmes talents. Nous ne craignons point de comparer à un des plus grands sujets qu’ait eu l’Académie un simple élève tel qu’était M. Amontons ; le nom d’élève n’emporte parmi nous aucune différence de mérite, il signifie seulement moins d’ancienneté, et une espèce de survivance.
M. Amontons jouissant d’une santé parfaite, qui se déclarait même par toutes les apparences extérieures, n’étant sujet à aucune infirmité, menant et ayant toujours mené la vie du monde la réglée, fut tout d’un coup attaqué d’une inflammation d’entrailles, la gangrène s’y mit en peu de jours, et il mourut le 11 octobre âgé de 42 ans et près de deux mois. Il était marié et n’a laissé qu’une fille âgée de 2 mois.
Le public perd par sa mort plusieurs inventions utiles qu’il méditait, sur l’imprimerie, sur les vaisseaux, sur la charrue. Ce qu’on a vu de lui répond que ce qu'il croyait possible devoir l’être à toute épreuve, et le génie de l’invention, naturellement subtil, hardi, et quelquefois pré [p. 154] somptueux, avait en lui toute la solidité, toute la retenue, et même toute la défiance nécessaires.
Les qualités de son cœur étaient encore préférables à celles de son esprit, une droiture si naïve et si peu méditée qu’on y voyait l’impossibilité de se démentir, une simplicité, une franchise et une candeur que le peu de commerce avec les hommes pouvait conserver, mais qu’il ne lui avait pas données, une entière incapacité de se faire valoir autrement que par ses ouvrages, ni de se faire sa cour autrement que par son mérite, et par conséquent une incapacité presque entière de faire fortune.
FIN
1 Cela était vrai le 14 novembre 1705 que cet éloge fut [dû ?] dans une assemblée publique, l’Histoire de 1704 n’étant pas encore achevée d’imprimer.