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Claude Bourdelin naquit le 20 juin 1667, de Claude Bourdelin, chimiste pensionnaire de l'Académie, dont nous avons fait l'éloge dans l'Hist. de 1699 1 . Il fut élevé avec beaucoup de soin dans la maison de son père, feu M. du Hamel , secrétaire de cette Académie lui choisit tous ses maîtres, et présida à son éducation. A 16 ou 17 ans il avait traduit tout Pindare et tout Lycophron , les plus difficiles des poètes grecs, et d'un autre côté il entendait sans secours le grand ouvrage M. de la Hire sur les sections coniques, plus difficile par sa matière que Lycophron et Pindare par le style. Il y a loin des poètes grecs aux sections coniques.
La diversité de ses connaissances le mettait en état de choisir entre différentes occupations, mais son inclination naturelle le détermina à la médecine, pour laquelle il avait déjà de grands secours domestiques. Il était né au milieu de toute la matière médicale, dans le sein de la botanique et de la chimie. Il se donna donc avec ardeur aux études nécessaires, et fut reçu docteur en médecine de la faculté de Paris en 1692.
Il aimait dans cette profession, et les connaissances qu'elle demande, pour lesquelles il avait une disposition très heureuse, et encore plus, sans comparaison, l'utilité dont elle peut être aux hommes. Cette utilité, qui devrait toujours être l'objet principal du médecin, était de l’unique objet de M. Bourdelin. Il est vrai qu'il était né avec un bien fort honnête, et qu'il pouvait vivre commodément, quoique tout le monde fût en parfaite santé, mais son désintéressement ne venait pas de sa [p. 109] fortune, il venait de son caractère, car il n'est pas rare qu'un homme riche veuille s'enrichir. Les malades de M. Bourdelin lui étaient assez inutiles, si ce n'est qu'ils lui procuraient le plaisir de les assister. Il voyait autant de pauvres qu'il pouvait, et les voyait par préférence, il payait leurs remèdes, et même leur fournissait souvent les autres secours dont ils avaient besoin, et quant aux gens riches, il évitait avec art de recevoir d'eux ce qui lui était dû, il souffrait visiblement en le recevant, et sans doute la plupart épargnaient volontiers sa pudeur, ou s'accommodaient à sa générosité.
Dès que la paix de Riswick fut faite, il en profita pour aller en Angleterre voir les savants de ce pays-là. La récompense de son voyage fut une place dans la Société royale de Londres. Il ne l'avait point sollicitée, et on crut qu'elle lui en était d'autant mieux due.
Il n'eut pas le malheur d'être traité moins favorablement dans sa patrie. L'Académie des Sciences, à qui il appartenait par plusieurs titres, le prit pour un de ses associés anatomistes au renouvellement qui se fit en 1699. Il avait en partage, non pas tant l'anatomie elle-même, que son histoire, ou l'érudition anatomique qu'il possédait fort. On a vu par l'Hist. de 1700 2 , que dans une question assez épineuse qui partageait les anatomistes de la compagnie, et où il entrait quelques points de fait, et des difficultés sur le choix des opérations nécessaires, on eut recours à M. Bourdelin, et qu'il travailla utilement à des préliminaires d’éclaircissements. En 1703, il acheta une charge de médecin ordinaire de Madame la duchesse de Bourgogne . On assure qu'un de ses principaux motifs fut l'envie de donner au public des soins entièrement désintéressés, et de se dérober à des reconnaissances incommodes, qu'il ne pouvait pas tout à fait éviter à Paris. Nous n'avancerions pas un fait si peu vraisemblable, s'il ne l'avait prouvé par toute sa conduite. Avant que de se transporter à Versailles, il fut quatre ou [p. 110] cinq mois à se rafraîchir la botanique avec Marchant , son ami et son confrère. Il prévoyait bien qu'il n'herboriserait pas beaucoup dans son nouveau séjour, et il y voulait arriver bien muni de toutes les connaissances qu'il n'y pourrait plus fortifier. Quand il partit, ce fut une affliction et une désolation générale dans tout le petit peuple de son quartier. La plus grande qualité des hommes est celle dont ce petit peuple est le juge.
Il vécut à Versailles comme il avait fait à Paris, aussi appliqué sans aucun intérêt, aussi infatigable, ou du moins aussi prodigue de ses peines, que le médecin du monde qui aurait eu le plus de besoin et d'impatience d'amasser du bien. Son goût pour les pauvres le dominait toujours. Au retour de ses visites, où il en avait vu plusieurs dans leurs misérables lits, il en trouvait encore une troupe chez lui qui l'attendait. On dit qu'un jour, comme il passait dans une rue de Versailles, quelques gens du peuple dirent entre eux, ce n'est pas un médecin, c'est le Messie, exagération insensée en elle-même, mais pardonnable en quelque sorte à une vive reconnaissance, et à beaucoup de grossièreté.
Il est assez singulier que dans un pays où toutes les professions, quelles qu'elles soient, se changent en celle de courtisan, il n'ait été que médecin, et qu'il n'ait fait que son métier au hasard de ne pas faire sa cour. Il la fit cependant à force de bonne réputation. M. Bourdelot , premier médecin de Madame la duchesse de Bourgogne , étant mort en 1708, cette princesse proposa elle-même M. Bourdelin au roi pour une si importante place, et obtint aussitôt son agrément. Elle eut la gloire et le plaisir de rendre justice au mérite qui ne sollicitait point. Les courtisans surent son élévation avant lui, et il ne l'apprit que par leurs compliments.
Ses mœurs se trouvèrent assez fermes pour n'être point ébranlées par sa nouvelle dignité. Il fut toujours le même, seulement il donna de plus grands secours au pauvres, parce que sa fortune était augmentée.
[p. 111] Cependant les fatigues continuelles affaiblissaient fort sa santé, une toux fâcheuse et menaçante ne lui laissait presque plus de repos. Soit indifférence pour la vie, soit une certaine intempérance de bonnes actions, défaut assez rare, on l'accuse de ne s'être pas conduit comme il conduisait les autres. Il prenait du café pour s'empêcher de dormir, et travailler davantage, et puis pour rattraper le sommeil, il prenait de l'opium. Surtout c'est l'usage immodéré du café qu'on lui reproche le plus, il se flatta longtemps d'être désespéré, afin d'en pouvoir prendre tant qu'il voulait. Enfin, après être tombé par degrés dans une grande exténuation, il mourut d'une hydropisie de poitrine le 20 avril 1711. Ses dernières paroles furent, In te, Domine. speravi, non confundar… Il n'acheva pas les deux mots qui restaient. Une vie telle que la sienne était digne de finir par ce sentiment de confiance.
Il a laissé quatre enfants d'une femme pleine de vertu, avec qui il a toujours été dans une union parfaite. Nous ne nous arrêterons point à dire combien il était vif et officieux pour ses amis, doux et humain à l'égard de ses domestiques, il vaut mieux laisser à deviner ces suites nécessaires du caractère que nous avons représenté, que de nous rendre suspects de le vouloir charger de trop de perfections.
La place de botaniste associé à laquelle il avait passé de celle d’anatomiste associé, a été remplie par M. Geoffroy le Cadet .