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Jean-Dominique Cassini naquit à Perinaldo, dans le comté de Nice, le 8 juin 1625, de Jacques Cassini, gentilhomme italien, et de Julie Crovesi. On lui donna dès son enfance un précepteur fort habile, sous qui il fit ses premières études. Il les continua chez les jésuites à Gênes, et quelques unes des poésies latines de cet écolier y furent imprimées avec celles des maîtres dans un recueil in-folio en 1646.
Il fit une étroite liaison d’amitié avec M. Lercaro, qui fut depuis doge de sa république. Il était allé avec lui à une de ses terres, lorsqu’un ecclésiastique lui prêta pour l’amuser quelques livres d’astrologie judiciaire. Sa curiosité en fut frappée, et il en fit un extrait pour son usage. L’instinct naturel qui le portait à la connaissance des astres, se méprenait alors, et ne démêlait pas encore l’astronomie d’avec l’astrologie. Il alla jusqu’à faire quelques essais de prédictions qui lui réussirent, mais cela même qui aurait plongé un autre dans l’erreur pour jamais, lui fut suspect. Il sentit par la droiture de son esprit, que cet art de prédire ne pouvait être que chimérique, et il craignit par délicatesse de religion, que les succès ne fussent la punition de ceux qui s’y appliquaient. Il lut avec soin le bel ouvrage de Pic de la Mirande contre les astrologues, et brûla son extrait des livres qu’il avait empruntés. Mais au travers du frivole et du ridicule de l’astrologie, il avait aperçu les charmes solides de l’astronomie, et en avait été vivement touché.
Quand l’astronomie ne serait pas aussi absolument nécessaire qu’elle l’est pour la géographie, pour la navigation, et même pour le culte divin, elle serait infiniment digne de la curiosité de tous les esprits, par le grand et le superbe spectacle [p. 84] qu’elle leur présente. Il y a dans certaines mines très profondes des malheureux qui y sont nés, et qui y mourront sans avoir jamais vu le soleil. Telle est à peu près la condition de ceux qui ignorent la nature, l’ordre et le cours de ces grands globes qui roulent sur leurs têtes, à qui les plus grandes beautés du ciel sont inconnues, et qui n’ont point assez de lumières pour jouir de l’univers. Ce sont les travaux des astronomes qui nous donnent des yeux, et nous dévoilent la prodigieuse magnificence de ce monde presque uniquement habité par des aveugles.
M. Cassini s’attacha avec ardeur à l’astronomie et aux sciences préliminaires. Il fit des progrès si rapides, qu’en 1650, c’est-à-dire âgé seulement de 25 ans, il fut choisi par le sénat de Bologne pour remplir dans l’université de cette ville la première chaire d’astronomie, vacante depuis quelques années par la mort du P[ère] Cavalieri , fameux auteur de la géométrie des indivisibles, et précurseur des infiniment petits, à qui l’on n’avait encore pu trouver de digne successeur. A son arrivée à Bologne, il fut reçu chez le marquis Cornelio Malvasia , qui avait beaucoup contribué à le faire appeler. Ce marquis était sénateur dans sa patrie, général des troupes du duc de Modène, et savant, trois qualités qu’il réunissait à l’exemple des anciens Romains, devenus presque fabuleux pour nous.
Dès la fin de l’an 1652, une comète vint exercer le nouveau professeur d’astronomie, et se proposer à lui comme une des plus grandes difficultés de son métier. Il l’observa avec M. Malvasia , qui lui-même était astronome. Elle passa par leur zénith, particularité rare. M. Cassini fit sur ce phénomène toutes les recherches que l’art pouvait désirer, et toutes les déterminations qu’il pouvait fournir, et il en publia en 1653 un traité dédié au duc de Modène.
Dans cet ouvrage, il ne prend les comètes que pour des générations fortuites, pour des amas d’exhalaisons fournies par la terre et par les astres, mais il s’en forma bientôt une idée plus singulière et plus noble. Il s’aperçut que le mouvement de sa comète pouvait n’être inégal qu’en apparence, et se [p. 85] réduire à une aussi grande égalité que celui d’une planète, et de là il conjectura que toutes les comètes qui avaient toujours passé pour des astres nouveaux, et entièrement exempts des lois de tous les autres, pouvaient être, et de la même régularité, et de la même ancienneté que ces planètes, auxquelles on est accoutumé depuis la naissance du monde. En toute matière les premiers systèmes sont trop bornés, trop étroits, trop timides, et il semble que le vrai même ne soit que le prix d’une certaine hardiesse de raison.
Ce fut cette heureuse et sage hardiesse qui lui fit entreprendre la résolution d’un problème fondamental pour toute l’astronomie, déjà tenté plusieurs fois sans succès par les plus habiles mathématiciens, et même jugé impossible par le fameux Kepler , et par M. Bouillaud [Boulliau] , grand astronome français. Deux intervalles entre le lieu vrai et le lieu moyen d’une planète étant donnés, il fallait déterminer géométriquement son apogée et son excentricité. M. Cassini en vint à bout, et surprit beaucoup le monde savant. Son problème commençait à lui ouvrir une route à une astronomie nouvelle et plus exacte, mais comme pour profiter de sa propre invention, il avait besoin d’un plus grand nombre d’observations qu’il n’avait encore eu le temps d’en faire, car à peine avait-il alors vingt-six ans, il écrivit en France à M. Gassendi , et lui demanda celles qu’il pouvait avoir, principalement sur les planètes supérieures. Il les obtint sans peine d’un homme aussi zélé pour les sciences, et aussi favorable à la gloire d’autrui.
Mais il restait encore dans le fond de l’astronomie des doutes importants, et des difficultés essentielles. Il est certain et que le soleil paraît maintenant aller plus lentement en été qu’en hiver, et qu’il est plus éloigné de la terre en été. Ce plus grand éloignement doit diminuer l’apparence de sa vitesse. Mais n’y a-t-il point de plus dans cette vitesse une diminution réelle ? C’était le sentiment de Kepler et de M. Bouillaud [Boulliau] , tous les autres, tant anciens que modernes, croyaient le contraire, et la certitude de la théorie du soleil et des autres planètes, dépendait en grande partie de cette question. Pour [p. 86] la décider, il fallait observer si lorsque le soleil était plus éloigné de la terre, la diminution de son diamètre, car il doit alors paraître plus petit, suivait exactement la même proportion que la diminution de sa vitesse, en ce cas, bien certainement, toute la diminution de vitesse n’était qu’apparente, mais la difficulté était de faire ces observations avec assez de sûreté. Comme il ne s’agissait que d’une minute de plus ou de moins dans la grandeur du diamètre du soleil, et que les instruments étaient trop petits pour la donner sûrement, chaque observateur pouvait la mettre ou l’ôter à son gré, et en disposer en faveur de son hypothèse, et la question demeurait toujours indécise. Nous ne donnerons que cet exemple de l’extrême importance dont peuvent être chez les astronomes de petites grandeurs indignes partout ailleurs d’être comptées. En général, il est aisé de concevoir que quand on se sert d’un quart de cercle pour observer, sa proportion aux grandeurs qu’il doit mesurer est presque infiniment petite, et qu’à l’épaisseur d’un fil de soie sur cet instrument, il répond dans le ciel des millions de lieues. Ainsi la précision de l’astronomie demande de grands instruments.
Il se présenta heureusement à M. Cassini une occasion d’en avoir un, le plus grand qui eût jamais été, précisément lorsqu’il était dans le dessein de refondre toute cette science. Le désordre où le calendrier Julien était tombé, parce qu’on y avait négligé quelques minutes, avait réveillé les astronomes du seizième siècle, ils voulurent avoir par observation les équinoxes et les solstices que le calendrier ne donnait plus qu’à dix jours près, et pour cet effet Egnatio Dante , religieux dominicain, professeur d’astronomie à Bologne, tira en 1575 dans l’église de Saint Pétrone une ligne qui marquait la route du soleil pendant l’année, et principalement son arrivée aux solstices. On ne crut point mettre une église à un usage profane, en la faisant servir à des observations nécessaires pour la célébration des fêtes. En 1653, on fit une augmentation au bâtiment de Saint Pétrone. Cela fit naître à M. Cassini la pensée de tirer dans un autre endroit de l’église une [p. 87] ligne plus longue, plus utile et plus exacte que celle du Dante , qui n’était même pas une méridienne. Comme il fallait qu’elle fût parfaitement droite, et que par la nécessité de sa position elle devait passer entre deux colonnes, on jugea d’abord qu’elle n’y pouvait passer, et qu’elle irait périr contre l’une ou l’autre. Les magistrats qui avaient soin de la fabrique de Saint Pétrone, doutaient s’ils consentiraient à une entreprise aussi incertaine. M. Cassini les convainquit par un écrit imprimé, qu’elle ne l’était point. Il avait pris ses mesures si justes, que la méridienne alla raser les deux dangereuses colonnes qui avaient pensé faire tout manquer.
Un trou rond, horizontal, d’un pouce de diamètre, percé dans le toit, et élevé perpendiculairement de 1000 pouces au-dessus d’un pavé de marbre où est tracée la méridienne, reçoit tous les jours et envoie à midi sur cette ligne l’image du soleil qui y devient ovale, et s’y promène de jour en jour en jour, selon que le soleil s’approche ou s’éloigne du zénith de Bologne. Lorsqu’il en est le plus près qu’il puisse être, à une minute de variation dans sa hauteur, répondent sur la méridienne 4 lignes du pied de Paris, et lorsque le soleil est le plus éloigné, deux pouces et une ligne, de sorte que cet instrument donne une précision telle qu’on n’eût osé l’espérer. Il fut construit avec des attentions presque superstitieuses. Le P[ère]. Riccioli , bon juge en ces matières, les a nommées plus angéliques qu’humaines. Le détail en serait infini. Dans les sciences mathématiques, la pratique est une esclave qui a la théorie pour reine, mais ici cette reine est absolument dépendante de l’esclave.
Ce grand ouvrage étant fini, ou du moins assez avancé, M. Cassini invita par un écrit public tous les mathématiciens à l’observation du solstice d’été de 1655. Il disait dans un style poétique, que la sécheresse des mathématiques ne lui avait pas fait perdre, qu’il s’était établit dans un temple un nouvel oracle d’ Apollon ou du soleil, que l’on pouvait consulter avec confiance sur toutes les difficultés d’astronomie. Une des premières réponses qu’il rendit, fut sur la variation de la vitesse du soleil. Il prononça nettement en faveur de Kepler et de M. Bouillaud [Boulliau] , [p. 88] qu’elle était en partie réelle, et ceux qui étaient condamnés se soumirent. M. Cassini imprima cette même année, sur l’usage de la méridienne, un écrit qu’il dédia à la reine de Suède, nouvellement arrivée en Italie, et digne par son goût pour les sciences, qu’on lui fit une pareille réception.
Les nouvelles observations de M. Cassini furent si exactes et si décisives, qu’il en composa des tables du soleil, plus sûres que toutes celles qu’on avait eu jusqu’alors. On aurait pu lui reprocher que sa méridienne était un grand secours que d’autres astronomes n’avaient pas, mais ce secours même, il se l’était donné.
Cependant ces tables avaient encore un défaut dont son oracle ne manqua pas de l’avertir. Tycho s’était aperçu le premier que les réfractions augmentaient les hauteurs apparentes des astres sur l’horizon, mais il crut qu’elles n’agissaient que jusqu’au 45me degré, après quoi elles cessaient entièrement. M. Cassini l’avait suivi sur ce point, mais après de plus grandes recherches, et un examen géométrique de la nature des réfractions que l’on n’avait connues jusque-là que par des observations toujours sujettes à quelque erreur, il trouva qu’elles s’étendaient jusqu’au zénith, quoique depuis le 45me degré jusqu’au zénith, il n’y ait qu’une minute à distribuer sur les 45 degrés qui restent, autre minute astronomique d’une extrême conséquence. C’est le sort des nouveautés même les mieux prouvées, que d’être contredites. Il ne faut compter pour rien un tireur d’horoscopes, qui écrivit contre son système des réfractions, et lui objecta qu’il n’était point encore assez âgé pour les connaître. Le P. Riccioli lui-même fit d’abord quelques difficultés de s’y rendre, mais M. Cassini le cita à Saint Pétrone, où il était bien fort.
Il se servit de sa nouvelle théorie des réfractions, pour faire des secondes tables plus exactes que les premières. Il y joignit la parallaxe du soleil, qu’il croyait, quoique encore avec quelque incertitude, pouvoir n’être que de 10 secondes, et par-là il éloignait le soleil de la terre six fois plus que n’avait fait Kepler , et dix-huit fois plus que quelques autres. Le marquis Malsavia [p. 89] calcula sur ces tables des éphémérides pour cinq ans, à commencer en 1661. M. Gemignano Montanari , professeur en mathématiques à Bologne, a imprimé que quand on avait supputé par ces éphémérides l’instant où le soleil devait arriver à un point déterminé de la méridienne de Saint Pétrone, il ne manquait point de s’y trouver. On a autrefois convaincu Lansberg d’avoir falsifié ses observations pour les accorder avec ces tables, tant les astronomes sont flattés d’arriver à cet accord, et les hommes de jouir de l’opinion d’autrui, même sans fondement.
Les opérations astronomiques de M. Cassini furent interrompues, et on le fit descendre de la région des astres pour l’appliquera des affaires purement terrestres. Les inondations fréquentes du Pôle, son cours incertain et irrégulier, la division de ses branches sujettes au changement, les remèdes même qu’on avait voulu apporter au mal, qui quelquefois n’avaient fait que l’augmenter, ou le transporter d’un pays dans un autre, tout cela avait été une ancienne et féconde source de différends entre les petits états voisins de cette rivière, et principalement entre Bologne et Ferrare. Ces deux villes, quoique toutes deux sujettes du pape, sont deux états séparés, et tous deux ont conservé le droit d’envoyer des ambassades à leur souverain. Comme Bologne avait beaucoup de choses à régler avec Ferrare sur le sujet des eaux, elle envoya en 1657 le marquis Tanara, ambassadeur extraordinaire, au pape Alexandre VII , et voulut qu’il fût accompagné de M. Cassini dans une affaire où les mathématiques avaient la plus grande part. Peut-être aussi Bologne fut-elle bien aise de se parer aux yeux de Rome de l’acquisition qu’elle avait faite.
Etant à Rome, il publia divers écrits sur ce qui l’y avait conduit. Il traita à fond toute l’histoire du Pô, tirée des livres tant anciens que modernes, et de tous les monuments qui restaient, car chez lui l’étude profonde des mathématiques n’avait point donné l’exclusion aux autres connaissances. Il fit en présence des cardinaux de la congrégation des eaux, quantité d’expériences qui appartenaient à cette matière, et qui [p. 90] entraient en preuve de ce qu’il prétendait, et il y apporta cette même exactitude dont on ne l’aurait cru capable que pour le ciel. Aussi le sénat de Bologne crut-il lui devoir pour récompense la surintendance des eaux de l’état, charge dont nous avons déjà parlé dans l’éloge de M. Guglielmini 1 . Elle le mit en relation d’affaires avec plusieurs cardinaux, et fit connaître que, quoique grand mathématicien, il était encore homme de beaucoup d’esprit avec les autres hommes.
En 1663, dom Mario Chigi , frère d’ Alexandre VII , général de la sainte église, lui donna la surintendance des fortifications du fort Urbain, à laquelle il n’eût jamais pensé. Il se trouva donc tout d’un coup transporté à une science militaire, il s’attacha à réparer les anciens ouvrages de sa place, et à en faire de nouveaux, mais au milieu de ses occupations, il lui échappait toujours quelques regards vers les astres.
Il a été parlé en 1703, dans l’éloge de M. Viviani 2 , du différend qui survint entre Alexandre VII et le grand-duc de Toscane, sur les eaux de la Chiana, et de la part qu’eut M. Cassini à cette affaire. Le pape, qui l’avait demandé au sénat de Bologne pour l’y employer, fit écrire à ce sénat par le cardinal Rospigliosi , depuis Clément IX, qu’il avait pris pour lui une estime particulière, et qu’il était dans le dessein de se l’attacher, sans qu’il perdit rien de ce qu’il avait à Bologne. En effet, ce pape le faisait venir souvent auprès de lui pour l’entendre parler sur les sciences, et il lui promit des avantages considérables, s’il voulait embrasser l’état ecclésiastique, auquel il le jugeait bien disposé par la droiture et la pureté de ses mœurs. La tentation était délicate. En Italie, un ecclésiastique savant peut parvenir à un rang où il prétendra qu’à peine les rois seront au-dessus de lui, il n’y a nulle autre condition susceptible de si grandes récompenses. Mais M. Cassini ne s’y sentait point appelé, et la même piété qui le rendait digne d’entrer dans l’église, l’en empêcha.
A la fin de 1664, il parut une comète, qu’il observa à Rome dans le palais Chigi, en présence de la reine de Suède, qui quel [p. 91] quefois observait elle-même, et sacrifiait ses nuits à cette curiosité. Il se fia tellement à son système des comètes, qu’après les deux premières observations, qui furent la nuit du 17 au 18 décembre et la nuit suivante, il traça hardiment à la reine sur le globe céleste la route que celle-là devait tenir. Après une quatrième, qui fut le 22, il assura qu’elle n’était pas encore dans sa plus grande proximité de la Terre ; le 23 il osa prédire qu’elle y arriverait le 29, et quoiqu’alors elle surpassât la lune en vitesse, et semblât devoir faire le tour du ciel en peu de temps, il avança qu’elle s’arrêterait dans Ariès, dont elle n’était guère éloignée que de deux signes, et qu’après qu’elle y aurait été stationnaire, son mouvement y deviendrait rétrograde par rapport à la direction qu’elle avait eue. Ces prédictions trouvèrent quantité d’incrédules, qui soutinrent que la comète échapperait à l’astronome, et l’espérèrent jusqu’au bout, après quoi, quand ils virent qu’elle lui avait été parfaitement soumise, ils firent comme elle un mouvement en arrière, et dirent qu’il n’y avait rien de si facile que ce qu’avait fait M. Cassini .
Il en parut une seconde au mois d’avril 1665. Il se prépara à en donner promptement un calcul ou une table qui confirmât ce qu’il avait fait sur la précédente. Quelques uns de ces incrédules se changèrent en imitateurs, mais malheureux. Ils voulurent aussi former des systèmes, et ils prétendirent que la nouvelle comète était la même que l’autre, mais l’observation les démentit trop. Pour lui, huit ou dix jours après la première apparition, il publia sa table, où la comète était calculée comme l’aurait pu être une ancienne planète. Il imprima aussi à Rome, la même année, un traité latin sur la théorie de ces deux comètes, dédié à la reine de Suède, et quelques lettres italiennes adressées à l’ abbé Ottavio Falconieri . Il y découvre entièrement son secret, tel que nous l’avons exposé en abrégé dans les Histoires de 1706 3 et de 1708 4 .
La reine de Suède ayant reçu de France une éphéméride du mouvement de la première comète, qu’avait faite Auzout , très profond mathématicien, et habile observateur, et l’ayant communiquée à M. Cassini , il y reconnut au travers [p. 92] de quelques déguisements affectés cette même hypothèse, dont il s’était servi avec des succès si brillants. Il en écrivit à la reine et à l’ abbé Falconieri avec une joie que l’on sent bien qui est sincère, il ne fut touché que de voir la vérité de son système confirmée par cette conformité, et non de ce que la-gloire en pouvait être partagée. Ce système le conduisait à croire que les mêmes comètes pouvaient reparaître après certains temps, aussi avons-nous rapporté d’après lui, dans les Histoires de 1699 5 , de 1702 6 , et de 1706 7 , tout ce qui peut appuyer cette pensée. Elle agrandit l’univers, et en augmente la pompe.
Il travaillait encore à cette partie de l’astronomie si neuve et si peu traitée, lorsque le pape le renvoya en Toscane négocier seul avec les ministres du grand duc sur l’affaire de la Chiana, et lui donna en même temps la surintendance des eaux de l’état ecclésiastique. Quand il était quitte de ses devoirs, il retournait à ses plaisirs, c’est à dire aux observations célestes.
Ce fut à Citta della Pieve en Toscane, dans la même année 1665, déjà assez chargée d’événements savants, qu’il reconnut sûrement sur le disque de Jupiter les ombres que les satellites y jettent, lorsqu’ils passent entre Jupiter et le soleil. Il fallut démêler ces ombres d’avec des taches de cette planète, les unes fixes les autres passagères, les autres fixes seulement pour un temps, et il les démêla si bien, que ce fut par une tache fixe bien avérée, qu’il découvrit que Jupiter tourne sur son axe en six heures cinquante-six minutes. On lui contesta la distinction des ombres et des taches, quoiqu’il l’eût démontrée géométriquement, et qu’il sût prédire et les temps de l’entrée ou de la sortie des ombres sur le disque apparent de Jupiter, et ceux où la tache fixe y devait reparaître par la révolution du globe. Mais il faut avouer que l’extrême subtilité de ces recherches, et l’usage très délicat, et jusques-là nouveau, qu’il avait fallu faire de l’astronomie et de l’optique ensemble, méritaient de trouver de l’opposition même chez les savants, plus rebelles que les autres à l’instruction. Le refus de croire honore les découvertes fines.
[p. 93] Celles de M. Cassini étaient d’autant plus importantes, que de toutes les planètes, c’est jusqu’à présent Jupiter qui nous intéresse le plus. C’est lui qui peut décider la question du mouvement ou de l’immobilité de la Terre, il nous fait voir à l’œil, et même plus en grand que chez nous, tout ce que Copernic n’avait fait que deviner pour la Terre avec une espèce de témérité. Si l’on est étonné qu’une aussi grosse masse que la terre tourne sur elle-même, Jupiter, mille fois plus gros, tourne près de deux fois et demie plus vite. Si l’on trouve étrange que la lune seule ait la terre pour centre de son mouvement, quatre lunes ou satellites ont Jupiter pour centre du leur.
Lorsqu’on ne songea plus à disputer à M. Cassini la vérité de ses découvertes, on songea à lui en dérober l’honneur. Au mois de février 1667, il avait pris le temps favorable d’observer Mars, qui s’approchait de la Terre, et il jugeait par le mouvement de quelques taches, que cette planète tournait sur son axe en vingt-quatre heures et quelques minutes. Des observateurs de Rome à qui il en avait écrit voulurent le prévenir, mais il sut bien défendre son droit, et prouver que leurs observations étaient et postérieures aux siennes, et peu exactes. Il fixa la révolution de Mars à 24 heures quarante minutes, nouvelle gloire pour Copernic . Son système s’affermissait à mesure que le ciel se développait sous les yeux de M. Cassini . Il découvrit aussi dans la même année des taches sur le disque de Vénus, et crut que sa révolution pouvait être à peu près égale à celle de Mars, mais comme Vénus, dont l’orbe est entre le soleil et nous, est sujette aux mêmes variations de phases que la lune, et que par-là les retours de ses taches sont très difficiles à reconnaître avec sûreté, il ne détermina rien, et sa retenue sur des découvertes incertaines fut une confirmation de la certitude des autres.
Malgré les égards qu’on devait avoir pour son utile attachement aux observations célestes, on l’en détournait assez souvent par la nécessité d’avoir recours à lui. Outre les emplois qu’il avait déjà, étrangers à l’astronomie, on le chargea de l’inspection de la forteresse de Peruggia et du pont Felix, que le [p. 94] Tibre menaçait de quitter. Il ordonna un ouvrage qui prévint ce désordre. Lui-même, possédé d’un amour général pour les sciences, se livrait quelquefois à des distractions volontaires. Lorsqu’il traitait de l’affaire de la Chiana avec M. Viviani , il avait fait sur les insectes quantité d’observations physiques, que M. Montalbani , à qui il les adressa, fit imprimer dans les ouvrages d’Aldovrandus. En dernier lieu, les expériences de la transfusion du sang, faites en France et en Angleterre, et qui ne regardaient que des médecins et des anatomistes, étant devenues fort fameuses, il eut la curiosité de les faire chez lui à Bologne, tant sa passion de savoir se portait vivement à différents objets. Aussi lorsque dans ses voyages de Bologne à Rome il passait par Florence, le grand-duc et le prince Léopold faisaient tenir en sa présence les assemblées de leur Académie del cimento, persuadés qu’il y laisserait de ses lumières.
En 1668 il donna les éphémérides des astres Médicis, car en Italie on est jaloux de conserver ce nom aux satellites de Jupiter. Galilée , leur premier inventeur, Marius , Hodierna , avaient tenté sans succès de calculer leurs mouvements et les éclipses qu’ils causent à Jupiter en lui dérobant le soleil, ou qu’ils souffrent en tombant dans son ombre. Il manquait à tous ces astronomes d’avoir connu la véritable position des plans ou orbites dans lesquels se font les mouvements de ces satellites autour de Jupiter, et en effet il semble que ce soit à l’esprit humain une audace excessive et condamnable, que d’aspirer à une pareille connaissance. Toutes les planètes se meuvent dans des plans différents, qui passent par le centre du Soleil, celui dans lequel se meut la terre, est l’écliptique. L’orbite de Jupiter est un autre plan incliné à l’écliptique, d’un certain nombre de degrés, et qui la coupe en deux points opposés. Cette inclinaison de l’orbite de Jupiter à l’écliptique, et leurs intersections communes, quoique recherchées par les astronomes de tous les temps, et sur une longue suite d’observations, sont si difficiles à déterminer, que différents astronomes s’éloignent beaucoup les uns des autres, et que quelquefois un même astronome ne peut s’accorder avec lui-même. [p. 95] La raison en est que ces plans, quoique réels, sont invisibles, et ne peuvent être aperçus que par l’esprit, ni distingués que par un grand nombre de raisonnements très fins. Que sera-ce donc de plans beaucoup plus invisibles, pour parler ainsi, dans lesquels se meuvent les satellites de Jupiter ? Il a fallu trouver quels angles font leurs orbites, et avec l’orbite de Jupiter, et entre elles, et avec notre écliptique, et de plus, quelle est la différente grandeur de ces angles selon qu’ils sont vus, ou du soleil ou de la Terre. En un mot, dans les tables de ces nouveaux astres, il entra 25 éléments, c’est-à-dire vingt-cinq connaissances ou déterminations fondamentales. Non seulement c’est un grand effort d’esprit, que de tirer, d’assembler, d’arranger tant de matériaux nécessaires à l’édifice, mais c’en est même un grand que de savoir combien il y a de matériaux nécessaires et de n’en oublier aucun.
Dès que les tables de M. Cassini parurent, tous les astronomes de l’Europe qu’elles avertissaient du temps des éclipses des satellites, les observèrent avec soin, entre autres Picard , l’un des membres de l’Académie des Sciences alors naissante, et il trouva qu’assez souvent elles répondaient au ciel avec plus de justesse que n’en avait promis l’auteur même, qui se réservait à les rectifier dans la suite. Il avait fait pour quatre lunes étrangères, très éloignées de nous, connues depuis fort peu de temps, ce que tous les astronomes de 24 siècles avaient eu bien de la peine à faire pour la lune.
M. Colbert , qui par les ordres du roi avait formé l’Académie des Sciences en 1666, désira que M. Cassini fût en correspondance avec elle, mais bientôt la passion qu’il avait pour la gloire de l’état, ne se contenta plus de l’avoir pour correspondant de son Académie. Il lui fit proposer par le comte Graziani ministre et secrétaire d’état du duc de Modène, de venir en France, où il recevrait une pension du roi, proportionnée aux emplois qu’il avait en Italie. Il répondit qu’il ne pouvait disposer de lui, ni recevoir l’honneur que Sa Majesté voulait bien lui faire, sans l’agrément du pape, qui était alors Clément IX, et le roi le fit demander à Sa Sainteté et au sénat de [p. 96] Bologne par M. l’ abbé de Bourlemont , alors auditeur de rote, mais seulement pour quelques années. On crut que la négociation ne réussirait pas sans cette restriction, qui apparemment n’était qu’une adresse. On lui fit l’honneur et de croire cet artifice nécessaire, et de vouloir bien s’en servir.
Il arriva à Paris au commencement de 1669 appelé d’Italie par le roi, comme Sosigène , autre astronome fameux, était venu d’Égypte à Rome, appelé par Jules César . Le roi le reçut et comme un homme rare, et comme un étranger qui quittait sa patrie pour lui. Son dessein n’était pas de demeurer en France, et au bout de quelques années, le pape et Bologne, qui lui avaient toujours conservé les émoluments de ses emplois, le redemandèrent avec chaleur, mais M. Colbert n’en avait pas moins à le leur disputer, et enfin il eut le plaisir de le vaincre, et de lui faire expédier des lettres de naturalité en 1673. La même année, il épousa Geneviève Delaître, fille de Delaître, lieutenant-général de Clermont en Beauvoisis. Le roi, en agréant son mariage, eut la bonté de lui dire qu’il était bien aise de le voir devenu français pour toujours. C’est ainsi que la France faisait des conquêtes jusques dans l’empire des lettres.
Parce que M. Cassini était étranger, il avait également à craindre que le public ne fût dans des dispositions pour lui, ou trop favorables, ou malignes, et sans un grand mérite, il ne se fût pas sauvé de l’un ou de l’autre péril. Il comprit qu’il commençait une nouvelle carrière, d’autant plus difficile, que pour soutenir sa réputation il fallait la surpasser. Nous ne suivrons point en détail ce qu’il fit en France, nous en détacherons seulement quelques traits des plus remarquables.
L’Académie ayant envoyé en 1672 des observateurs dans l’île de Cayenne proche de l’équateur, parce qu’un climat si différent du nôtre devait donner quantité d’observations fort différentes de celles qui se font ici, et qui nous seraient d’un grand usage, on en rapporta tout ce que M. Cassini n’avait établi que par raisonnement et par théorie plusieurs années auparavant sur la parallaxe du soleil, et sur les réfractions. Un [p. 97] astronome si subtil est presque un devin, et on dirait qu’il prétend à la gloire de l’astrologue.
De plus, un des principaux objets du voyage était d’observer à Cayenne la parallaxe de Mars, alors fort proche de la Terre, tandis que M. Cassini et les autres astronomes de l’Académie l’observaient ici. Cette méthode d’avoir les parallaxes par des observations faites dans le même temps en des lieux éloignés, est l’ancienne, mais M. Cassini en imagina une autre où un seul observateur suffit, parce qu’une étoile fixe tient lieu d’un second. M. Wiston, célèbre astronome anglais, a dit que cette idée avait quelque chose de miraculeux.
Ces deux méthodes concoururent à donner la même parallaxe de Mars d’où s’ensuivait celle du soleil. Après une longue incertitude, elle fut déterminée à dix secondes, et par conséquent il n’y a plus lieu de douter que te soleil ne soit au moins à trente-trois millions de lieues de la Terre, beaucoup au-delà de ce qu’on avait jamais cru. Toutes les distances des autres planètes en sont aussi augmentées à proportion, et les bornes de notre tourbillon fort reculées.
Au mois de décembre 1680, il parut une comète qui a été fameuse. M. Cassini ne l’ayant observé qu’une fois, prédit au roi, en présence de toute la cour, qu’elle suivrait la même route qu’une autre comète observée par Tycho Brahe en 1577. C’était une espèce de destinée pour lui, que de faire ces sortes de prédictions à des têtes couronnées. Ce qui le rendit si hardi sur une observation unique, c’est qu’il avait remarqué que la plupart des comètes, soit de celles qu’il avait vues, soit de celles qui l’avaient été par d’autres astronomes, avaient dans le ciel un chemin particulier, qu’il appelait par cette raison le zodiaque des comètes, et comme celle de 1680 se trouva dans ce zodiaque, ainsi que celle de 1577, il crut qu’elle le suivrait, et elle le suivit.
En 1683, il aperçut pour la première fois dans le zodiaque une lumière qui peut-être avait déjà été vue, quoique très rarement, mais qui en ce cas-là n’avait été prise que pour un phénomène passager, et par conséquent n’avait point été suivie. [p. 98] Pour lui il conjectura d’abord par les circonstances de cette nouvelle lumière, qu’elle pouvait être d’une nature durable, il en ébaucha une théorie qui lui apprenait le temps où elle pouvait reparaître dégagée des crépuscules, avec lesquels elle se confond le plus souvent, et il trouva dans la suite qu’elle pouvait être renvoyée à nos yeux par une matière que le soleil pousserait hors de lui beaucoup au-delà de l’orbite de Vénus, et dont il serait enveloppé jusqu’à cette distance. Comme cette lumière n’est pas toujours visible dans les temps où elle devrait l’être, il paraît que cet écoulement de matière doit être inégal et irrégulier, ainsi que la production des taches du soleil. Ce phénomène fut observé depuis en divers lieux, et même aux Indes orientales. Si M. Cassini n’est pas le premier qui l’ait vu, du moins il est le premier qui ait appris aux autres à le voir, et qui lui ait attiré l’attention qu’il méritait. Il y a plus. Il avait jugé dès le commencement, que si cette lumière pouvait être vue en présence du soleil, elle lui ferait une chevelure, c’était une suite de son système, et peut-être ne songeait-il pas lui-même qu’elle pût jamais être vérifiée. En 1706 8 qu’il y eut une éclipse de soleil, on vit dans les lieux où elle fut totale, une chevelure lumineuse autour de cet astre, telle précisément que Cassini l’avait prédite, et qui, à moins que d’être celle qu’il avait prédite, était inexplicable.
En 1684 il mit la dernière main au monde de Saturne, qui était demeuré fort imparfait. M. Huyghens en 1655 avait découvert à cette planète un satellite, qui fut longtemps le seul, et depuis s’est trouvé n’être que le quatrième, à les compter depuis Saturne. En 1671, M. Cassini découvrit le 3me et le 5me, et acheva de s’en assurer en 1673. Enfin, en 84 il découvrit le premier et le second, après quoi on n’en a plus trouvé. Ces découvertes demandent une grande subtilité d’observation, et une précision extrême, témoin l’erreur où tomba le P[ère] Reita, habile d’ailleurs, qui prit de petites étoiles fixes pour de nouveaux satellites de Jupiter, et voulut en faire sa cour à Urbain VIII, en les nommant astres Urbanoctaviens, nom malheureux, et qui ne pouvait guère réussir, quand même les satellites auraient subsisté. [p. 99] Ceux de Saturne ont paru dignes que l’on en ait frappé une médaille dans l’histoire du roi, avec cette légende, Saturni satellites primum cogniti.
Voici un événement d’une espèce plus singulière que tous les autres. M. de la Loubère , ambassadeur du roi à Siam en 1687, ayant étudié ce pays-là en philosophe savant, autant que lui permit son peu de séjour, en rapporta une méthode qui s’y pratique, de calculer les mouvements du soleil et de la lune. Ce n’est point par des tables à notre manière, c’est par de simples additions ou soustractions, multiplications ou divisions de certains nombres, dont on ne voit presque jamais aucun rapport aux mouvements célestes, et dont les noms barbares et inconnus augmentent encore l’horreur du calcul. Tout y est dans une confusion et dans une obscurité qui paraît affectée, et pourrait bien l’être en effet, car le mystère est un apanage de la barbarie. M. de la Loubère donna cette affreuse énigme à déchiffrer à M. Cassini , et selon l’état où sont aujourd’hui les sciences en Orient, il y a tout lieu de croire que, quoique ces règles y soit suivies, il aurait été très difficile de trouver quelqu’un qui les eût entendues. Cependant M. Cassini perça dans ces ténèbres, il y démêla deux différentes époques que l’on ne distinguait nullement, l’une civile, qui tombait dans l’année 544 avant J-C, l’autre astronomique, qui tombait dans l’année 638 après sa naissance. Il remarqua fort heureusement que du temps de l’époque civile, Pythagore vivait, lui dont les Indiens suivent encore aujourd’hui les dogmes, ou qui peut-être a suivi ceux des Indiens. Ces époques trouvées étaient la clef de tout le reste, une clef cependant qu’on ne pouvait encore manier qu’avec une adresse extrême. Il parut par cette méthode développée, que ces auteurs avaient assez bien connu les mouvements du soleil et de la lune, et ils ne pouvaient être soupçonnés d’avoir emprunté des Occidentaux une manière de calculer si différente. Il fallait que M. Cassini fût bien familier avec le ciel, pour le reconnaître aussi déguisé et aussi travesti qu’il l’était.
La recherche de ce calendrier indien le conduisit à de [p. 100] nouvelles méditations sur nos calendriers. L’esprit plein des mouvements célestes, de leurs combinaisons, et de toutes les périodes ou cycles que l’on a formés, il imagina une période qu’il appela Lunisolaire et Pascale, parce que son effet, suivant l’intention de tous les calendriers ecclésiastiques, était d’accorder les mouvements du soleil et de la lune par rapport à la fête de Pâques. Elle ramène les nouvelles lunes au même jour de notre année grégorienne, au même jour de la semaine, et presque à la même heure du jour pour un même lieu, ce qui est de la dernière précision en fait de calendrier. De plus, elle est très heureuse, et même sacrée, en ce qu’elle a pour époque l’année de la naissance de J-C, et comme dans cette année M. Cassini trouvait par son calcul une conjonction du soleil avec la lune le jour même de l’équinoxe, qui fut le 24 mars, veille de l’Incarnation, selon la tradition de l’Eglise, l’époque était en même temps astronomique par la rencontre de l’équinoxe et de la nouvelle lune, et civile par le plus grand événement qui soit jamais arrivé sur la Terre. Cette période est de 11600 ans, et toutes les autres qu’on a imaginées roulent dans celle-là. Le monde n’a vu jusqu’à présent que le dernier tiers à peu près d’une de ces périodes, qui finit le jour de l’Incarnation, et un peu plus que la septième partie d’une autre qui commence.
M. Cassini donna en 1693 de nouvelles Tables des Satellites de Jupiter plus exactes que celles de 1668, et portées à leur dernière perfection. Il y ajouta un discours très instructif sur la délicate astronomie de Jupiter, dont il ne se réservait rien. Il la rendait et facile pour tout le monde, au lieu qu’elle ne l’était pas pour les astronomes mêmes, et si juste, que le plus souvent les observations s’accordaient avec le calcul jusques dans la minute. Ainsi on fit l’honneur à ces Tables calculées pour le méridien de Paris, de les prendre pour un observateur perpétuel établi à Paris, qui aurait donné ses observations immédiates, et en y comparant celles qui ont été faites en d’autres lieux, on a trouvé une infinité de longitudes. On sait que la connaissance de ce monde de Jupiter, [p. 101] éloigné de 165 millions de lieues, nous a produit celle de la Terre, et lui a presque fait changer de face. Siam, par exemple, s’est trouvé de cinq cents lieues plus proche de nous que l’on ne croyait auparavant, tout au contraire des espaces célestes qu’on avait fait trop petits, on avait fait les espaces terrestres trop grands, suite assez naturelle de notre situation et des premiers préjugés.
En 1695, M. Cassini fit un voyage en Italie. Peut-être en un autre temps aurait-on craint qu’il n’eût eu quelque retour de tendresse pour son pays. Mais comme après la mort de M. Colbert il avait résisté à des offres-très pressantes et très avantageuses de la reine de Suède, qui voulait l’y rappeler, on se tint sûr qu’il serait fidèle à sa nouvelle patrie. Il mena avec lui le fils qui lui restait, et qui est aujourd’hui membre de cette Académie, un autre avait été tué sur mer, la même année, dans un combat contre un vaisseau anglais qui fut pris à l’abordage. M. Cassini ne manqua pas d’aller revoir sa méridienne de Saint Pétrone, qui avait besoin de lui. La voûte qui recevait le soleil s’était abaissée, et le trou qui était percé n’était plus dans la perpendiculaire où il devait être. M. Guglielmini avait remédié à ce désordre, mais depuis, le pavé où était tirée la méridienne était sorti du niveau exact. Enfin, M. Cassini arriva à propos pour réparer son premier ouvrage, et le seul qu’il laissât à l’Italie. Il voulut étendre ses soins jusques dans l’avenir, et pria Guglielmini de publier une instruction de tout ce qu’il y avait à faire pour la conservation et la réparation de ce grand instrument. Guglielmini le fit, mais en parlant de M. Cassini comme un disciple aurait parlé de son maître. Ce trait doit fortifier l’éloge que nous avons fait de lui dans l’histoire de 1710 9 .
Cette méridienne de Saint Pétrone était la 600 000me partie de la circonférence de la Terre, mais on en avait entrepris une autre en France, qui devait être la 45me partie de cette même circonférence, et qui par conséquent devait donner dans une précision jusqu’à présent inouïe et inespérée, la grandeur du demi-diamètre de la Terre, nécessaire et unique [p. 102] fondement de toutes les mesures astronomiques. C’est la fameuse méridienne de l’observatoire, commencée par Picard en 1669, continuée en 1683 du côté du nord de Paris par la Hire , et du côté du sud par M. Cassini , et enfin poussée par M. Cassini en 1700 jusqu’à l’extrémité du Roussillon. Nous avons assez parlé de ce grand ouvrage dans les Histoires de 1700 10 , de 1701 11 , et de 1703 12 , des difficultés qu’on a eues à y surmonter, de l’usage dont il sera tant qu’il y aura une astronomie, et même des usages imprévus et surnuméraires qu’on en a tirés. M. Cassini a eu la gloire de le finir, seul auteur de la méridienne de Bologne, auteur de la plus grande partie de celle de France, les deux plus beaux monuments que l’astronomie pratique ait jamais élevés sur la Terre, et les plus glorieux pour l’industrieuse curiosité des hommes.
Les Histoires de 1700 13 , de 1701 14 , et de 1704 15 , ont parlé de l’affaire qui se traita à Rome sur le calendrier grégorien. Le pape ordonna que la congrégation qui en était chargée consultât M. Cassini , l’Italie semblait redemander à la France ce qui venait d’elle. Elle eut en cette occasion à la place de M. Cassini , un homme formé de sa main, Maraldi , son neveu, qui ayant beaucoup de goût et de disposition pour les sciences et pour l’astronomie, était venu en France en 1687 auprès d’un oncle si capable de l’instruire. Il se trouvait alors à Rome, et le pape voulut qu’il eût entrée dans la congrégation du calendrier, elle avait besoin de quelqu’un qui y portât l’esprit de M. Cassini .
Outre ce que nous avons rapporté, il a enrichi l’astronomie d’un grand nombre de méthodes fines et ingénieuses, telles que l’invention des longitudes en 1661, par les éclipses de soleil qui ne paraissaient pas pouvoir jamais être employées, l’explication de la libration de la lune par la combinaison de deux mouvements, dont l’un est celui d’un mois, et l’autre se fait autour de son axe en un temps à peu près égal, la manière de trouver la véritable position des taches du soleil sur son globe, celle de décrire des espèces de spirales, qui représentent toutes les bizarreries apparentes du mouvement [p. 103] des planètes, et donnent leurs lieux dans le zodiaque jour par jour, et plusieurs autres qui seront pour les astronomes suivants, autant de moyens d’égaler ses con naissances, sans égaler cependant sa capacité.
Il connaissait le ciel non-seulement tel qu’il est en lui-même, mais tel qu’il a été conçu par tous ceux qui s’en sont formé quelque idée. Si dans un auteur qui ne traitait nullement d’astronomie, il y avait par hasard quelque endroit qui y eût le moindre rapport, cet endroit ne lui avait pas échappé. Tout ce qui en avait été écrit semblait lui appartenir, il le revendiquait, quelque détourné, quelque caché qu’il pût être.
Dans les dernières années de sa vie, il perdit la vue, malheur qui lui a été commun avec le grand Galilée , et peut-être par la même raison, car les observations subtiles demandent un grand effort des yeux. Selon l’esprit des fables, ces deux grands hommes, qui ont fait tant de découvertes dans le ciel, ressembleraient à Tirésie, qui devint aveugle pour avoir vu quelque secret des dieux.
M. Cassini mourut le 14 septembre 1712 , âgé de 87 ans et demi, sans maladie, sans douleur, par, la seule nécessité de mourir. Il était d’une constitution très saine et très robuste, et quoique les fréquentes veilles nécessaires pour l’observation soient dangereuses et fatigantes, il n’avait jamais connu nulle sorte d’infirmité. La constitution de son esprit était toute semblable, il l’avait égal, tranquille, exempt de ces vaines inquiétudes et de ces agitations insensées, qui sont les plus douloureuses et les plus incurables de toutes les maladies. Son aveuglement même ne lui avait rien ôté de sa gaieté ordinaire. Un grand fond de religion, et, ce qui est encore plus, la pratique de la religion, aidaient beaucoup à ce calme perpétuel. Les cieux, qui racontent la gloire de leur créateur, n’en avaient jamais plus parlé à personne qu’à lui, et n’avaient jamais mieux persuadé. Non seulement une certaine circonspection assez ordinaire à ceux de son pays, mais sa modestie naturelle et sincère, lui auraient fait pardonner ses talents et sa réputation par les esprits les plus jaloux. On sentait en lui cette candeur et cette simplicité, [p. 104] que l’on aime tant dans les grands hommes, et qui cependant y sont plus communes que chez les autres. Il communiquait sans peine ses découvertes et ses vues, au hasard de se les voir enlever, et désirait plus qu’elles servissent au progrès de la science qu’à sa propre gloire. Il faisait part de ses connaissances, non pas pour les étaler, mais pour en faire part. Enfin on lui pourrait appliquer ce qu’il a remarqué lui-même dans quelqu’un de ses ouvrages, que Josephe avait dit des anciens patriarches, Que Dieu leur avait accordé une longue vie, tant pour récompenser leur vertu, que pour leur donner moyen de perfectionner davantage la géométrie et l’astronomie.
Sa place d’académicien pensionnaire a été remplie par M. Cassini son fils.