Vous êtes sur le serveur BaseX expérimental de l‘IHRIM. Navigateurs supportés : versions récentes de Chrome, Firefox.
Fac-similés Réduire la fenêtre Zoomer dans le fac-similé Dézoomer dans le fac-similé Détacher la fenêtre

Affichage des fac-similés à venir

Éloge de Monsieur Pierre Chirac

Éloge de M. Chirac

[p. 102]

Pierre Chirac naquit en 1650 à Conques en Rouergue, de Jean Chirac et de Marie Rivet, bourgeois de cette petite ville, et dont la fortune était fort étroite. Quoique fils unique, il n’eut point de meilleur parti à prendre après ses études, que de se destiner à l’église, qui lui parut une ressource presque absolument nécessaire. En étudiant la théologie, il ne laissa pas de s’appliquer par curiosité à la philosophie de Descartes , qui avait déjà pénétré jusques dans le Rouergue. Quand il s’en fut rempli autant qu’il l’avait pu sans aucun secours, il crut pouvoir sortir de Conques et il alla à Montpellier, où cette même philosophie, naissante aussi, commençait à remuer les esprits. Il fut bientôt connu dans cette ville, quoiqu’accoutumée depuis longtemps à la science et au mérite.

M. Chicoineau , chancelier et juge de l’université de Montpellier, prit chez lui en 1678 M. Chirac , qu’il regardait déjà comme grand physicien, pour lui confier la direction des études de deux de ses fils qu’il destinait à la médecine. Il fut si content du maître qu’il leur avait donné, qu’il voulut songer solidement à ce qui pouvait lui convenir ; et comme il lui trouvait peu de véritable vocation pour l’état dont il portait l’habit, et d’ailleurs beaucoup d’acquis dans la physique, il le détermina à en profiter pour embrasser la profession de médecin.

M. Chirac , devenu membre de la faculté de Montpellier en 1682, y enseigna 5 ans après les différentes parties de la médecine. On sentit bien le prix des leçons qu’il dictait à ses auditeurs. Elles n’avaient pas le sort ordinaire de périr entre les mains de ceux qui s’étaient donné la peine de les [p. 121] écrire, on se les transmettait des uns aux autres, et c’était une faveur ; et encore aujourd’hui elles sont un trésor que l’on conserve avec soin. On recueillait avec le même empressement les discours qui en étaient l’explication, toujours plus étendus et encore plus approfondis que les leçons ; on rassemblait, on réunissait ce que différentes personnes en avaient retenu, et on travaillait à en faire un corps, tant on était animé par l’espérance d’une grande instruction.

Outre les leçons publiques, M. Chirac faisait chez lui des cours particuliers plus instructifs encore pour ses disciples et même pour lui à cause de la liberté de la conversation ; les étrangers y couraient en foule, et Montpellier se remplissait d’habitants qu’il lui devait.

Quand il fut assez plein de théorie, il se mit dans la pratique. M. Barbeyrac y tenait alors le premier rang à Montpellier, et son nom vivra longtemps. M. Chirac le prit pour guide et pour modèle avec les restrictions néanmoins qu’un grand homme met toujours à l’imitation d’un autre, sans renoncer aux connaissances particulières qu’il pouvait avoir acquises, ni à des vues dont la nouveauté eût peut-être empêché M. Barbeyrac lui-même d’oser les approuver.

En 1692, M. le maréchal de Noailles lui donna, de l’avis de M. Barbeyrac , la place de médecin de l’armée de Roussillon. Il fut en 1693 au siège de Roses, après lequel une dysenterie épidémique se mit dans l’armée. Le ministre de la guerre lui envoya de Paris de l’ipécacuanha, qui y était encore nouveau, et connu seulement sous le nom de remède du médecin hollandais. Il en donna avec opiniâtreté et de toutes les façons, sans en pouvoir tirer aucun bon effet. A la fin, réduit à trouver sa ressource en lui-même, il donna du lait coupé avec la lessive de sarment de vigne et il eut le plaisir de voir presque tous ses malades guéris.

Quelques années après, il y eut à Rochefort une autre maladie épidémique, qu’on appelle de Siam, beaucoup plus cruelle que la dysenterie, nouvelle dans nos climats, et effrayante parle seul spectacle. M. Begon , intendant de cette [p. 122] ville, demanda au roi M. Chirac , déjà très célèbre, singulièrement pour les cas extraordinaires. Il eut recours à l’ouverture des cadavres, plus nécessaire que jamais dans un mal inconnu. Il en ouvrit peut-être 500, travail énorme, et qui demandait une violente passion de s’instruire. Il vit le mal dans ses sources, et s’en assura si bien que comme il crut qu’il en pourrait être attaqué lui-même, il composa un grand mémoire de la manière dont il voulait être traité en ce cas là, et de tout ce qu’il y avait à faire selon les différents accidents dont la maladie était susceptible, car il prévoyait tout, il détaillait tout. Il chargeait de l’exécution un chirurgien seul, en qui il avait pris confiance et priait instamment M. Begon de ne pas permettre qu’aucun autre s’en mêlât. Pour l’honneur de Chirac , il fut attaqué de la maladie, traité selon ses ordres, et guéri. Il lui en resta seulement la suite ordinaire, une jaunisse, et sa convalescence fut très longue.

Ce fut pendant ce séjour de Rochefort, où il traita beaucoup de petites véroles qu’il découvrit que dans ceux qui en étaient morts, il y avait inflammation de cerveau. Il eût fallu les saigner pour la prévenir, et même saigner du pied, pour faire une diversion ou révulsion du sang en en-bas. Mais saigner dans la petite vérole ! saigner du pied surtout des hommes ! quelle étrange pratique ! n’en meurt-on pas toujours ? Et en effet, la saignée du pied dans les hommes était presque toujours suivie de la mort, parce qu’on n’y avait recours que trop tard, et dans les cas désespérés. Un violent préjugé sur ce sujet bien établi, bien enraciné chez le peuple, ne l’était pas moins chez les médecins, qui de plus ne se voulaient pas laisser renvoyer à l’école. Ils ne l’accusaient que d’ignorance ou de témérité, tandis que le peuple l’accusait d’un dessein formé contre les jours du genre humain. Il soutint courageusement sa pratique, malgré les clameurs qui s’élevaient de toutes parts ses malades guérissaient, les autres mouraient, du moins en beaucoup plus grand nombre, et il n’était encore guère justifié.

C’est lui qui a réglé aussi, mais avec moins de contradiction, [p. 123] la manière généralement reçue dont on conduit aujourd’hui le remède d’une autre maladie du même nom. Les grands médecins sont ceux dont la pratique fondée sur les principes d’expérience établis, est la plus sûre et la plus heureuse ; mais ceux qui établissent solidement de nouveaux principes, sont d’un ordre plus élevé. Les uns portent l’art tel qu’ils le trouvent jusqu’où il peut aller ; les autres le portent plus loin qu’il n’allait. Aussi M. Silva , si bon juge en ces matières, et si intéressé à ne pas souffrir des usurpateurs dans les premiers, a dit qu’il appartenait à M. Chirac d’être législateur en médecine.

Après s’être entièrement remis des fatigues et de sa maladie de Rochefort, il avait repris à Montpellier ses anciennes fonctions de professeur et de médecin. Là, il eut deux contestations à essuyer, et même plus que des contestations, car elles devinrent des procès en justice. Il s’agissait de la découverte de l’acide du sang avec M. Vieussens , célèbre docteur de la même faculté, et de la structure des cheveux avec M. Sorazzi, médecin italien. Ni l’un ni l’autre sujets n’étaient dignes de la chaleur qui s’y mit. On est assez persuadé de son propre mérite cependant il ne nous rassure pas assez pour nous procurer quelque tranquillité quand on nous attaque. Le nom de M. Chirac ne laissait pas de croître de jour en jour, les provinces voisines profitaient souvent de la proximité on l’appelait pour les malades de distinction, et sa réputation contribuait beaucoup à affermir celle de la fameuse école de Montpellier.

En 1706, feu M. le duc d’Orléans partit pour aller commander l’armée de France en Italie. Il laissait son premier médecin à Paris et comme il lui en fallait un auprès de sa personne, M. le comte de Noce, qui avait fort connu M. Chirac à Montpellier, le proposa par zèle pour un prince à qui il était infiniment attaché. La voix publique parlait comme lui ; le choix fut fait et eut les suites les plus heureuses. Le duc d’Orléans au siège de Turin fut très dangereusement blessé au poignet, et se trouvait sur le point d’en perdre [p. 124] le bras, lorsque M. Chirac imagina de lui mettre ce bras dans des eaux de M. Balaruc qu’on fit venir. Ce remède si simple et auquel il eût été si naturel de ne pas penser, produisit une parfaite et prompte guérison presque miraculeuse. Il en a fait l’histoire dans une grande dissertation en forme de thèse sur les plaies , ouvrage qui par la solidité et l’abondance de l’instruction se fait pardonner sans peine une grande négligence de style. L’année suivante ce prince mena encore avec lui en Espagne M. Chirac , que la grande réputation qu’il y acquit obligea d’y demeurer encore quelque temps après la campagne finie.

Au retour d’Italie et d’Espagne, il vint à Paris, et il en goûtait fort le séjour. M. le duc d’Orléans, qui avait M. Homberg pour premier médecin, et ne croyait pas que toute autre place fût digne de M. Chirac , voulut le renvoyer à Montpellier avec toutes les récompenses dues à ses services ; il craignait d’ailleurs qu’un homme de ce mérite ne fût pas vu de trop bon œil à Paris, et peut-être à la cour qui n’avait pas été consultée sur ce choix. Mais M. Chirac avait trop bien senti les avantages de Paris, il obtint sans peine d’y demeurer, et il acheta le droit d’y exercer la médecine par une des charges de la maison du prince.

Il lui manquait assez de choses presque nécessaires en ce pays-ci. Il parlait peu, sèchement, et sans agrément. Il ne faisait guère aux malades ces explications circonstanciées et détaillées de leurs maux, qu’ils ne sont pas ordinairement capables d’entendre, et qu’ils écoutent pourtant avec une espèce de plaisir. Il leur présentait dans les occasions l’idée désobligeante, quoique vraie, qu’il y avait de la fantaisie et de la vision dans leurs infirmités ; il leur niait sans détour jusqu’à leur sentiment même et combien les femmes principalement en devaient-elles être choquées ? Il se prêtait peu aux objections souvent puériles des malades, ou de leurs familles, et on n’arrachait jamais de lui aucune complaisance, aucune modification à ses décisions laconiques ; heureux les malades, quand il avait pris le bon chemin ! Il n’était guère [p. 125] consolant, et n’avait presque qu’un même ton pour annoncer les événements les plus opposés. De plus, il apportait des pratiques nouvelles, et certainement il devait avoir quelques mauvais succès, qui plus certainement encore seraient bien mis en évidence et bien relevés.

Malgré tout cela, à peine fut-il fixé à Paris qu’il y eut une vogue étonnante. Sa rue était incommodée de la quantité de carrosses qu’on lui envoyait de tous côtés. On peut croire que la nouveauté y avait quelque part, puisque Paris était le lieu de la scène, mais il fallait au fond que de grandes et rares qualités eussent surmonté à ce point là tout ce qui lui était contraire. En effet, il avait ce qu’on appelle le coup-d’oeil d’une justesse et d’une promptitude singulière, et peut-être unique. C’était une espèce d’inspiration dont la clarté et la force prouvaient la vérité, du moins pour lui. Par là, le plus difficile étant fait, il formait en lui-même le plan de la cure et le suivait avec une constance inébranlable, parce qu’il n’aurait pu s’en départir sans agir contre des lumières qui le frappaient si vivement. Ceux qui n’en ont que de moindres ou de moins vives, peuvent n’être pas si constants, et même ne le doivent pas. Les malades prenaient d’autant plus de confiance en lui, qu’ils se sentaient conduits par une main plus ferme ; son inflexibilité leur assurait combien il comptait d’avoir pris le bon parti, et ils s’encourageaient par ses rigueurs. Ils voyaient encore que si les occasions le demandaient, il hasardait volontiers pour eux sa propre réputation. Lorsqu’il jugeait nécessaire, un de ces coups hardis qui lui étaient particuliers, et que le malade était important, il savait qu’il se rendait responsable de l’événement, et que, s’il était fâcheux les cris d’une famille puissante soulevaient aussitôt le public contre lui, cependant il ne mollissait point, il ne préférait point la route ordinaire plus périlleuse pour le malade mais moins pour le médecin et il voulait, à quelque prix que ce fût, avoir tout fait pour le mieux.

A la mort de M. Homberg qui arriva en 1715, M. le duc d’Orléans, déjà régent du royaume, le fit son premier [p. 126] médecin, choix presque nécessaire qui lui donnait un nouvel éclat, et eût augmenté, s’il eût été possible, sa grande pratique de Paris. L’année suivante il entra dans l’Académie en qualité d’associé libre, et sans ses occupations continuelles et indispensables, on lui reprocherait d’avoir trop joui des privilèges de ce titre.

En 1718, il succéda à M. Fagon dans la surintendance du jardin du roi. Il était à la source des grâces puisque le prince-régent en était le maître, et qu’il aimait tant à en faire.

En 1720, Marseille fut attaquée d’une maladie d’abord inconnue, mais qui dès sa naissance faisait de grands ravages. M. Chirac offrit au régent d’y aller, afin que la ville, qui se verrait secourue par le gouvernement, en prit plus de courage pour se secourir elle-même. Son offre ne fut pas acceptée, il proposa en sa place Mrs Chicoineau et Verny , célèbres médecins de Montpellier, dont il garantit le savoir, le zèle et l’intrépidité, et les ordres pour leur voyage furent donnés par S. A. R. M. Chicoineau était le même dont il avait été précepteur, et de plus c’était son gendre ; car la fille unique du précepteur était devenue un assez bon parti pour épouser le disciple. Il était juste que la maison par où il avait commencé sa fortune, et qui en avait ouvert la route, en profitât.

Mrs Chicoineau et Verny arrivés à Marseille, trouvèrent la peste accompagnée de toute la désolation, de toute la consternation, de toutes les horreurs qu’elle a jamais traînées après elle. La ville n’était presque plus habitée que par des cadavres qui jonchaient les rues, ou par des mourants abandonnés qui n’avaient pas eu la force de fuir. Nulles provisions, nuls vivres, nul argent. M. Chirac fut, pour ainsi dire, le médecin général de Marseille, par le soin assidu dont il veillait à tous ses besoins auprès du régent, par les secours de toute espèce qu’il obtenait pour elle, par toutes les lumières dont il fortifiait celles des habiles gens qu’il y avait fait envoyer. Il procura encore à cette malheureuse ville quatre médecins de Montpellier, et ses amis, qu’il crut [p. 127] dignes d’une commission si honorable et si peu recherchée. M. Boyer de qui je tiens cette relation et qui aujourd’hui pratique avec succès à Paris, fut l’un d’entre eux. Ils rassurèrent d’abord le peuple par l’extrême hardiesse dont ils abordaient les malades, et par l’impunité de cette hardiesse toujours heureuse. Peut-être et cela ne diminuerait guère la gloire de l’héroïsme étaient-ils dans le sentiment de M. Chirac , que la peste ne se communique pas par contagion. Quoi qu’il en soit de cette opinion si paradoxe, il serait difficile qu’elle fut plus dangereuse et plus funeste aux peuples que l’opinion commune.

M. Chirac avait conçu depuis longtemps une idée qui eût pu contribuer à l’avancement de la médecine. Chaque médecin particulier a son savoir qui n’est que pour lui ; il s’est fait, par ses observations et par ses réflexions, certains principes qui n’éclairent que lui ; un autre, et c’est ce qui n’arrive que trop, s’en sera fait de tous différents, qui le jetteront dans une conduite opposée. Non seulement les médecins particuliers, mais les facultés de médecine semblent se faire un honneur et un plaisir de ne s’accorder pas. De plus, les observations d’un pays sont ordinairement perdues pour un autre. On ne profite point à Paris de ce qui a été remarqué à Montpellier. Chacun est comme renfermé chez soi, et ne songe point à former de société. L’histoire d’une maladie qui aura régné dans un lieu ne sortira point de ce lieu là, ou plutôt on ne l’y fera pas. M. Chirac voulait établir plus de communication de lumières, plus d’uniformité dans les pratiques. Vingt-quatre médecins des plus employés de la faculté de Paris auraient composé une académie qui eût été en correspondance avec les médecins de tous les hôpitaux du royaume, et même des pays étrangers qui l’eussent bien voulu. Dans un temps où les pleurésies, par exemple, auraient été plus communes, l’Académie aurait demandé à ses correspondants de les examiner plus particulièrement dans toutes les circonstances, aussi bien que les effets pareillement détaillés des remèdes. On aurait fait de toutes ces relations un [p. 128] résultat bien précis, des espèces d’aphorismes, que l’on aurait gardés cependant jusqu’à ce que les pleurésies fussent revenues, pour voir quels changements ou quelles modifications il faudrait apporter au premier résultat. Au bout d’un temps, on aurait eu une excellente histoire de la pleurésie et des règles pour la traiter aussi sûres qu’il soit possible. Cet exemple fait voir d’un seul coup d’œil quel était le projet, tout ce qu’il embrassait, et quel en devait être le fruit. M. Le duc d’Orléans l’avait approuvé, et y avait fait entrer le roi ; mais il mourut lorsque tout était disposé pour l’exécution.

Par cette mort, que le plus grand nombre sentit douloureusement, M. Chirac perdait non seulement un prince de la famille royale, mais encore un premier ministre. Privé de ce maître et de ce protecteur, mais toujours attaché à son auguste maison, il quitta la cour, et commença à se livrer absolument à la ville, qui regarda comme un bien pour elle le malheur d’un si grand médecin. On lui donnait la première place dans sa profession, et les plus illustres de ses confrères y consentaient, sans prétendre même diminuer sa supériorité par l’avantage qu’il avait des années et de l’expérience. Il dominait dans les consultations comme aurait fait Hippocrate , on l’aurait presque dispensé de raisonner, et son autorité seule eût suffi.

II obtint du roi en 1728 des lettres de noblesse, et enfin en 1730 le plus grand honneur où il pût arriver, la place de premier médecin vacante par la mort de M. Dodart . Tous les Français zélés pour les jours de leur maître, l’avaient nommé d’une commune voix, et pour cette fois seulement les intrigues de la cour n’eurent rien à faire.

Il attira aussitôt à la cour M. Chicoineau , son gendre, qui indépendamment de ce titre avait pour lui l’histoire de la peste de Marseille, une grande capacité en médecine, employée principalement au service des malades indigents. Le roi le mit auprès des enfants de France.

La nouvelle autorité de M. Chirac lui réveilla les idées de son académie de médecine. Les fonds nécessaires, article [p. 129] le plus difficile, étaient réglés et assurés  ; mais quand le dessein fut communiqué à la faculté de Paris, il se trouva beaucoup d’opposition. Elle ne goûtait point que 24 de ses membres composassent une petite troupe choisie qui aurait été trop fière de cette distinction, et se serait crue en droit de dédaigner le reste du corps. Les plus employés devaient la former, et les plus employés pouvaient-ils se charger d’occupations nouvelles ? N’était-on pas déjà assez instruit par les voies ordinaires ? Enfin, comme il est aisé de contredire, on contredisait, et avec force ; et le premier médecin, trop engagé d’honneur pour reculer, persuadé d’ailleurs de l’utilité de son projet, tombait dans l’incertitude de la conduite qu’il devait tenir à l’égard d’un corps respectable. La douceur et la vigueur sont également dangereuses ; et il se déterminait pour les partis de vigueur, lorsqu’il fut attaqué de la maladie dont il mourut le premier mars 1732 âgé de 82 ans. Il avait annoncé lui-même pour pousser jusqu’au bout la science du pronostic, qu’il n’en pouvait échapper.

Il a laissé une fortune considérable, bien due à un travail aussi long, aussi assidu, aussi pénible aussi utile à la société. Il lègue par son testament à l’université de Montpellier la somme de trente mille livres, qui seront employées à fonder deux chaires pour deux professeurs, dont l’un fera des leçons d’anatomie comparée, l’autre expliquera le traité de M. Borelli , De motu animalium , et les matières qui y ont rapport.

On peut juger par là combien il estimait l’anatomie et puisqu’il l’estimait tant, on peut juger qu’il la possédait à fond. Il allait encore plus loin, jusqu’à la chirurgie, et à tous les détails de cet art, dont assez communément les médecins ne s’inquiètent pas. Convaincu qu’ils ne devraient pas regarder les opérations manuelles comme indignes d’eux et que toute leur gloire est de guérir, il avait obtenu en 1726 l’établissement de six places de médecins-chirurgiens entretenus par le roi, qui seraient reçus gratuitement dans la faculté de Montpellier, à condition qu’ils exerceraient eux-mêmes la chirurgie dans l’hôpital de cette ville. Mais ce dessein, qui [p. 130] à peine commençait à s’exécuter, fut arrêté par des accidents étrangers ; et le préjugé contraire à la réunion des deux professions, qui peut-être eût été ébranlé par cet exemple, demeura dans toute sa force. Du moins M. Chirac l’attaqua toujours par sa conduite autant qu’il le pouvait, il ne manquait pas d’opérer de sa main, lorsqu’il trouvait des malades sans secours, ou avec de mauvais secours. Aussi les plus habiles chirurgiens de Paris l’appelaient dans toutes les grandes occasions, ravis d’avoir un témoin et un juge si éclairé, qui se faisait un honneur d’être alors l’un d’entre eux. C’est à lui que l’on doit M. d la Peyronnie , qui était à la veille de prendre ses degrés de docteur en médecine à Montpellier, quand M. Chirac le détermina à prendre le parti de la chirurgie, qu’il aimait trop pour ne lui pas procurer un si grand sujet. Il accompagna même ses conseils d’une prédiction de ce qui arriverait à son ami, et il a eu le plaisir de la voir accomplie.

Annotations réduire la fenêtre detacher la fenêtre