Vous êtes sur le serveur BaseX expérimental de l‘IHRIM. Navigateurs supportés : versions récentes de Chrome, Firefox.
Fac-similés Réduire la fenêtre Zoomer dans le fac-similé Dézoomer dans le fac-similé Détacher la fenêtre

Affichage des fac-similés à venir

Éloge de Monsieur Gilles Filleau des Billettes

Éloge de M. des Billettes

[p. 122]

Gilles Filleau des Billettes naquit à Poitiers en 1634, de Nicolas Filleau , écuyer, et d’une dame qui était d’une bonne noblesse de Poitou. L’aïeul paternel de Nicolas Filleau était sorti de la ville d’Orléans avec sa famille, dans le temps que les calvinistes y étaient les plus forts il se déroba à leur persécution, qu’il s’était attirée par son zèle pour la religion catholique, et il abandonna tout ce qui avait de bien dans l’Orléanois. Le père de des Billettes , établi à Poitiers, entra dans les affaires du roi, et y fit une fortune assez considérable, quoique parfaitement légitime. Il eut trois garçons, et deux filles mariées dans deux des meilleures maisons de la haute et basse marche.

Les deux frères de M. des Billettes , qui étaient ses ainés, ont été M. de la Chaise et de Saint-Martin, tous deux connus par deux ouvrages fort différents, l’un par la vie de Saint Louis, l’autre par la traduction de Dom Quichotte. Les trois frères avaient un esprit héréditaire de religion, des mœurs irréprochables, de l’amour pour les sciences ; et tout trois étant venus vivre à Paris, ils s’attachèrent à Madame de Longueville , à M. le duc de Roanés [Roannès] , à un certain nombre de personnes dont l’esprit et les lumières n’ont pas été contestés, et dont les mœurs ou les maximes n’ont été accusées que d’être trop rigides.

M. des Billettes , né avec une entière indifférence pour la fortune, soutenu dans cette disposition par un grand fonds de piété, a toujours vécu sans ambition, sans aucune de ces vues qui agitent tant les hommes, occupé de la lecture, [p. 123] et des études où son goût le portait, et encore plus des pratiques prescrites par le christianisme. Telle a été sa carrière d’un bout à l’autre ; une de ses journées les représentait toutes. La religion seule fait quelquefois des conversions surprenantes et des changements miraculeux ; mais elle ne fait guère toute une vie égale et uniforme, si elle n’est entée sur un naturel philosophe.

Il était fort versé dans l’histoire, dans les généalogies des grandes maisons de l’Europe, même dans la connaissance des livres, qui fait une science à part. Il avait dressé le catalogue d’une bibliothèque générale, bien entendue, économisée et complète, pour qui n’eût voulu que bien savoir. Surtout il possédait le détail des arts de prodigieux nombre d’industries singulières inconnues à tous ceux qui ne les exercent pas, nullement observées par ceux qui les exercent, négligées par les savants les plus universels, qui ne savent pas même qu’il y ait rien là à apprendre pour eux, et cependant merveilleuses et ravissantes dès qu’elles sont vues avec des veux éclairés. La plupart des espèces d’animaux, comme les abeilles, les araignées, les castors, ont chacune un art particulier, mais unique, et qui n’a point parmi eux de premier inventeur ; les hommes ont une infinité d’arts différents qui ne sont point nés avec eux, et dont la gloire leur appartient. Comme l’Académie avait conçu le dessein d’en faire la description, elle crut que M. des Billettes lui était nécessaire, et elle le choisit pour être un de ses pensionnaires mécaniciens, à son renouvellement en 1699. Il disait qu’il était étonné de ce choix ; mais il le disait simplement, rarement, et à peu de personnes, ce qui attestait la sincérité du discours car s’il l’eût fait sonner bien haut, et beaucoup répété, il n’eût cherché que des contradicteurs. Les descriptions d’arts qu’il a faites paraîtront avec un grand nombre d’autres dans le recueil que l’Académie en doit donner au public. Aucun ouvrage de M. des Billettes n’aura été imprimé qu’après sa mort, et c’est une circonstance convenable à son extrême modestie.

[p. 124] Un régime exact, et même ses austérités, lui valurent une santé assez égale. Elle s’affaiblissait peu à peu par l’âge, mais elle ne dégénérait pas en maladies violentes. Il conserva jusqu’au bout l’usage de sa raison, et le 10 aout 1720, il prédit sa mort pour le 15 suivant, où elle arriva en effet. Il était âgé de 86 ans. Il s’était marié deux fois, et toutes les deux à des demoiselles de Poitou. Il n’en a point laissé d’enfants vivants.

Une certaine candeur, qui peut n’accompagner pas de grandes vertus, mais qui les embellit beaucoup, était une de ses qualités dominantes. On sentait dans ses discours, dans ses manières, le vrai orné de sa plus grande simplicité. Le bien public, l’ordre, ou plutôt tous les différents établissements particuliers d’ordre que la société demande, toujours sacrifiés sans scrupule, et même violés par une mauvaise gloire, étaient pour lui des objets d’une passion vive et délicate. Il la portait à tel point, et en même temps cette sorte de passion est si rare, qu’il est peut-être dangereux d’exposer au public, que quand il passait sur les marches du Pont-Neuf, il en prenait les bouts qui étaient moins usés, afin que le milieu, qui l’est toujours davantage, ne devint pas trop tôt un glacis. Mais une si petite attention s’ennoblissait par son principe et combien ne serait-il pas à souhaiter que le bien public fût toujours aimé avec autant de superstition ? Personne n’a jamais mieux su soulager et les besoins d’autrui, et la honte de les avouer. Il disait que ceux dont on refusait le secours avaient eu l’art de s’attirer ce refus, ou n’avaient pas eu l’art de le prévenir, et qu’ils étaient coupables d’être refusés. Il souhaitait fort de se pouvoir dérober à cet éloge funèbre dont l’usage est établi parmi nous ; et en effet, il a eu si bien l’adresse de cacher sa vie, que du moins la brièveté de l’éloge répondra à son intention.

Annotations réduire la fenêtre detacher la fenêtre