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Éloge de Monsieur Denis Dodart

Éloge de M. Dodart

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Denis Dodart , conseiller-médecin du roi, de S. A. S. Madame la princesse de Conti la douairière , et de S. A. S. Monseigneur le prince de Conti , docteur-régent en la faculté de médecine de Paris, naquit en 1634 de Jean Dodart, bourgeois de Paris, et de Marie Dubois, fille d’un avocat. Jean Dodart, quoique sans lettres, avait beaucoup d’esprit, et, ce qui est préférable, un bon esprit. Il s’était fait même un cabinet de livres, et savait assez pour un homme qui ne pouvait guère savoir. Marie Dubois était une femme aimable par un caractère fort doux, et par un cœur fort élevé au dessus de sa fortune. Nous ne faisons ici ce petit portrait du père et de la mère, qu’à cause du rapport qu’il peut avoir à celui du fils. Il est juste de leur tenir compte de la part qu’ils ont eue à son mérite naturel, et d’en faire honneur à leur mémoire.

Ils ne se contentèrent pas de faire apprendre à leur fils le latin et le grec, ils y joignirent le dessin, la musique, les instruments, qui n’entrent que dans les éducations les plus somptueuses, et qu’on ne regarde que trop comme des superfluités agréables. Il réussit à tout de manière à donner les plus grandes espérances, et il eut achevé ses études de si bonne heure, qu’il eut le temps de s’appliquer également au droit et à la médecine, pour se déterminer mieux sur la profession qu’il embrasserait. Il est peut-être le seul qui ait voulu choisir avec tant de connaissance de cause ; il est vrai qu’il satisfaisait aussi son extrême avidité de savoir.

Il prit enfin parti pour la médecine ; son inclination na [p. 183] turelle l’y portait; mais ce qui le détermina le plus puissamment, c’est qu’il n’y vit aucun danger pour la justice, et une infinité d’occasions pour la charité ; car il était touché dès-lors de ces mêmes sentiments de religion dans lesquels il a fini sa vie.

On imagine aisément avec quelle ardeur et quelle persévérance s’attache à une étude un homme d’esprit, dont elle est le plus grand plaisir ; et un homme de bien, dont elle est devenue le devoir essentiel. Il se distingua fort sur les bancs des écoles de médecine, et il nous en reste des témoignages authentiques, aussi bien que du caractère dont il était dans sa plus grande jeunesse. Guy Patin parle ainsi dans sa 186me lettre de l’édition de 1692 : Ce jourd’hui 5 juillet (1660), nous avens fait la licence de nos vieux bacheliers ; ils sont 7 en nombre, dont celui qui est le second, nommé Dodart, âgé de vingt-cinq ans ; est un des plus sages et des plus savans hommes de ce siècle. Ce jeune homme est un prodige de sagesse et de science, monstrum sine vitio, comme disait Adr. Turnebus de Josepho Scaligero . Il dit ensuite dans sa lettre 190 : Notre licencié, qui est si savant, s’appelle Dodart. Il est fils d’un bourgeois de Paris, fort honnête homme. C’est un grand garçon, fort sage, fort modeste, qui sait Hippocrate, Galien, Aristote, Cicéron, Sénèque et Fernel par cœur. C’est un garçon incomparable, qui n’a pas encore 26 ans ; car la faculté lui fit grâce au premier examen de quelques mois qui lui manquaient pour son âge, sur la bonne opinion qu’on avait de lui dès auparavant. Toutes les circonstances du témoignage de Patin sont assez dignes d’attention. Il était médecin, fort savant, passionné pour la gloire de la médecine. Il écrivait à un de ses amis avec une liberté non seulement entière, mais quelquefois excessive. Les éloges ne sont pas fort communs dans ses lettres ; et ce qui y domine, c’est une bile de philosophe très indépendant. Il n’avait avec M. Dodart nulle liaison ni de parenté ni d’amitié, et n’y prenait aucun intérêt ; il n’a remarqué aucun autre des jeunes étudiants, enfin il ne se donne pas pour dévot, et un air de dévotion, qui n’était pas un dé [p. 184] mérite à ses yeux, devait être bien sincère et même bien aimable. Si l’amour-propre était un peu plus délicat, on ne compterait pour louanges que celles qui auraient de pareils assaisonnements. M. Patin , dans ses lettres 207, 208, 219, continue à rendre compte à son ami de ce que fait Dodart . Tantôt il l’appelle notre licencié si sage et si savant, tantôt notre savant jeune docteur. Il ne le perdait point de vue, toujours poussé par une simple curiosité, d’autant plus flatteuse, qu’elle était indifférente.

Les suffrages naturellement les plus opposés se réunissaient sur M. Dodart . Le P. Deschamps, d’une société fort peu aimée de M. Patin , ayant un jour entendu par hasard le jeune docteur dans une leçon aux écoles de médecine, fut si touché de sa belle latinité, que, sur le rapport qu’il en fit au comte de Brienne, alors secrétaire d’état pour les affaires étrangères, ce ministre commença à penser à lui, et s’en étant informé d’ailleurs, il eut une extrême envie de se l’attacher en qualité de son premier commis. Les commencements de ceux qui n’ont pour eux que le mérite, sont assez obscurs et assez lents, et l’établissement de M. Dodart était alors fort médiocre ; cependant ni une fortune considérable qui venait s’offrir d’elle-même, ni l’éclat séduisant d’un emploi de cour, ne purent le faire renoncer à son premier choix. Sa fermeté était soutenue par des principes plus élevés, qui lui persuadaient que le ciel l’avait placé où il était. M. de Brienne, pour l’engager insensiblement, exigea qu’il lui fit du moins quelques lettres plus importantes et plus secrètes. Il eut cette déférence, mais il se défendit d’un piège que tout autre n’aurait pas attendu.

Sa constance pour sa profession fut récompensée. Il vint assez promptement à être connu, et Madame la duchesse de Longueville le prit pour son médecin. Elle était alors dans cette grande piété où elle a fini ses jours, et l’on sait que dans l’un et l’autre temps de sa vie, elle a fait un cas infini de l’esprit, non pas seulement de cet esprit qui rend un homme habile dans un certain genre, et qui y est [p. 185] attaché, mais principalement de celui qu’on peut porter partout avec soi. Elle y était trop accoutumée pour s’en pouvoir passer, et toute autre langue lui eût été trop étrangère. Un bon médecin, mais qui n’eût eu ni cette sorte d’esprit, ni beaucoup de piété, n’eût été guère de son goût. Bientôt elle honora M. Dodart de sa confiance ; j’entends de celle que l’on a pour un ami. La grande inégalité des conditions ne lui en retrancha que le titre.

Feu Me la princesse de Conti douairière , mère de Mgrs les princes de Conti et de la Roche-sur-Yon, voulut partager M. Dodart avec Madame de Longueville  ; et en lui donnant chez elle la même qualité, elle lui donna ce qui en était inséparable à son égard, la même confiance et les mêmes agréments. Mais, ce qui est encore, à le bien considérer, plus glorieux pour lui, que les bontés mêmes de ces deux grandes et vertueuses princesses, il eut l’amitié de tous ceux qui étaient à elles. Il n’est pas besoin de connaître beaucoup les maisons des grands, pour savoir que d’y être bien avec tout le monde, c’est un chef-d’œuvre de conduite et de sagesse, et souvent d’autant plus difficile, que l’on a d’ailleurs de plus grandes qualités. Le grand secret pour y réussir est celui qu’il pratiquait ; il obligeait autant qu’il lui était possible, et ne ménageait point sa faveur dans les affaires d’autrui. Avoir besoin de son crédit, c’était être en droit de l’employer. Heureusement pour un grand nombre de gens de mérite, les deux postes qu’il occupait le firent connaître de plusieurs autres personnes du premier rang, ou de la première dignité. J’oserai dire que malgré leur élévation, ils avaient pour lui cette sorte de respect qui n’a point été établi par les hommes, et dont la nature s’est réservé le droit de disposer en faveur de la vertu.

Après la mort de Me la princesse de Conti , il demeura attaché aux deux princes ses enfants, et après la mort de l’aîné, à Me la princesse de Conti , sa veuve, et à Mgr le prince de Conti . Rien n’est au dessus du zèle, de la fidélité, du désintéressement qu’il a apportés à leur service, [p. 186] mais on ne peut dire si de pareils maîtres n’ont pas encore rendu en lui ces qualités plus parfaites qu’elles ne l’étaient naturellement. Il a eu le bonheur de réussir auprès de la princesse dans des maladies dangereuses qu’elle a eues, et celui de plaire à M. le prince de Conti , par les charmes solides de sa conversation. On sait combien ce grand prince est un grand homme et un grand juge des hommes.

En 1673, M. Dodart entra dans l’Académie des sciences, par le moyen de Mrs Perrault. Ils avaient beaucoup de crédit auprès de Colbert , et en faisaient un usage assez extraordinaire ; ils s’en servaient à faire connaître au ministre ceux qui avaient de grands talents aussi bien qu’eux, et à leur attirer ses grâces.

L’Académie avait déjà entrepris l’histoire des plantes, ouvrage d’une vaste étendue, et M. Dodart s’attacha à ce travail. Au bout de 3 ans, c’est-à-dire en 1676, il mit à la tête d’un volume que l’Académie imprima sous le titre de Mémoire pour servir à l’histoire des plantes , une préface où il rendait compte et du dessein, et de ce qu’on en avait exécuté jusque là. Nous n’avons point de lui un si grand morceau imprimé, et par bonheur la matière lui a donné lieu d’y peindre parfaitement son caractère. Il s’agissait d’une longue recherche et d’une subtile discussion, et il possédait au souverain degré l’esprit de discussion et de recherche. Il savait de quel côté, ou plutôt de combien de côtés différents il fallait porter sa vue et pointer, pour ainsi dire, sa lunette. Tout le monde ne sait pas voir, on prend pour l’objet entier la première face que le hasard nous en a présentée, mais M. Dodart avait la patience de chercher toutes les autres, et l’art de les découvrir, ou du moins la précaution de soupçonner celles qu’il ne découvrait pas encore. Ce ne sont pas seulement les grands objets qui en ont plusieurs ; ce sont aussi les plus petits, et une grande attention est une espèce de microscope qui les grossit. Il est vrai que cette attention scrupuleuse qui ne croit jamais avoir assez bien vu, que [p. 187] ce soin de tourner un objet de tous les sens, en un mot, que l’esprit de discussion est assez contraire à celui de décision, mais l’Académie doit plus examiner que décider, suivre attentivement la nature par des observations exactes, et non pas la prévenir par des jugements précipités. Rien ne sied mieux à notre raison que des conclusions un peu timides, et même quand elle a le droit de décider, elle ferait bien d’en relâcher quelque chose. On peut prendre la préface que nous venons de citer pour un modèle de théorie embrassée dans toute son étendue, suivie jusque dans ses moindres dépendances, très finement discutée, et assaisonnée de la plus aimable modestie.

Il n’était pas possible que M. Dodart ne portât dans l’exercice de sa profession ce même esprit, fortifié encore par son extrême délicatesse de conscience. Un malade n’avait à craindre ni son inapplication, ni même une application légère et superficielle ; mais seulement, car il faut tout dire, sa trop grande application, qui pouvait le rendre irrésolu sur le choix d’un parti. La pratique n’admet pas toujours les sages lenteurs de la spéculation, et quelquefois la raison elle-même ordonne qu’on agisse sans l’attendre.

L’histoire des plantes était le principal travail de M. Dodart dans l’Académie, mais non pas le seul. Il s’attacha beaucoup à étudier la transpiration insensible du corps humain. Tous les physiciens et les médecins en avaient toujours eu une idée, mais si générale et si vague, que tout ce qu’ils en savaient proprement était qu’il y a une transpiration. L’illustre Sanctorius, médecin de Padoue, est le premier qui ait su la réduire au calcul par des expériences, et en comparer la quantité à celle des déjections grossières. Elle va beaucoup au-delà de ce qu’on n’eût jamais imaginé. Il peut sortir du corps en un jour, selon Sanctorius , 7 ou 8 livres de matière par la transpiration ; et comme il n’est pas possible qu’une si abondante évacuation ne soit fort importante, plusieurs habi [p. 188] les médecins la regardent comme un des principaux fondements et de leur théorie et de leur pratique. Mais parce que Sanctorius a eu le premier de si belles vues, il ne les a pas poussées à leur perfection. Par exemple, quoiqu’il ait conçu en général que la transpiration devait être différente selon les âges, il ne paraît avoir eu égard à cette différence, ni dans ses observations ni dans les conséquences qu’il en tire ; et M. Dodart s’assura par des expériences continuées pendant 33 ans, que l’on transpire beaucoup plus dans la jeunesse, en effet, il est fort naturel, et que la chaleur du sang, plus faible à mesure que l’on vieillit, pousse au dehors moins de particules subtiles, et qu’en même temps les pores de la peau se resserrent. M. Dodart était particulièrement propre à faire ces sortes d’expériences, parce qu’il faut les faire sur soi-même, et mener une vie égale et uniforme, tant d’un jour à l’autre, que dans les différents âges ; autrement on ne pourrait comparer sans beaucoup d’erreur ou d’incertitude les transpirations de différents temps. Une alternative irrégulière d’intempérance et de sobriété brouillerait tout.

Il fit sur ce même sujet une autre expérience pour laquelle l’uniformité de vie n’eût pas été suffisante ; il fallait encore, ce qui semblera peut-être surprenant, une grande piété. Il trouva le premier jour de Carême 1667, qu’il pesait 116 livres une once. Il fit ensuite le Carême comme il a été fait dans l’église jusqu’au 12me siècle ; il ne buvait ni ne mangeait que sur les 6 ou 7 heures du soir ; il vivait de légumes la plupart du temps, et sur la fin du Carême de pain et d’eau. Le samedi de Pâques, il ne pesait plus que 107 livres 12 onces ; c’est-à-dire que par une vie si austère, il avait perdu en 46 jours 8 livres cinq onces, qui faisaient la 14me partie de sa substance. Il reprit sa vie ordinaire, et au bout de 4 jours il avait regagné quatre livres ; ce qui marque qu’en 8 ou 9 jours il avait repris son premier poids, et qu’on répare facilement ce que le jeûne a dissipé ; en donnant cette expérience à l’Académie, il prit toutes les précautions possibles pour se cacher, mais il fut découvert. Il est [p. 189] assez rare, non qu’un philosophe soit un bon chrétien, mais que la même action soit une observation curieuse de philosophie, et une austérité chrétienne, et serve en même temps pour l’Académie et pour le ciel.

Il avait fait de pareilles observations sur la saignée ; que 16 onces de sang, par exemple, se réparaient en moins de 5 jours dans un sujet qui n’était nullement affaibli. Il reste à savoir en combien de temps se ferait cette réparation dans un malade ; et il est clair que de pareils principes décideraient la grande question de l’utilité ou du danger de la saignée, et régleraient les ménagements qu’il faut y apporter. Mais il s’en fallait bien que M. Dodart lui-même, malgré le long temps qu’il avait donné à ces sortes d’expériences, en eût encore fait assez. Il paraît par ce que j’en ai pu recueillir, qu’ordinairement le fort de la transpiration est dans les premières heures qui suivent un bon repas, quoique Sanctorius le mette à peu près vers le milieu de l’intervalle de deux repas. Toute cette matière est encore pleine d’incertitude ; et si l’on pèse bien la difficulté de rassembler autant de faits qu’il en faudrait selon les différents âges, les tempéraments, les climats, les saisons, etc., elle est si grande, que c’est presque un sujet de désespoir pour les physiciens.

M. Dodart avait eu la pensée de faire une histoire de la médecine. M. le Clerc , médecin de Genève, frère de l’illustre M. le Clerc de Hollande, a dignement exécuté ce grand dessein ; et il dit dans sa préface, qu’il avait appris qu’il s’était rencontré dans cette entreprise avec le savant M. Dodart . On a trouvé dans ses papiers plusieurs mémoires qui y avaient rapport ; par exemple, sur la diète des anciens, sur leur boisson et leur tisane. Les recherches de la transpiration y devaient entrer aussi.

Il pensait encore à une histoire de la musique ancienne et moderne, et ce qui a paru de lui dans les mémoires de cette Académie sur la formation de la voix, en était un préliminaire. C’est peut-être affliger le public que de lui annoncer ces différents projets, demeurés sans exécu [p. 190] tion entre des mains si savantes, mais il n’y a point d’habile homme qui ne lui ait donné les mêmes sujets de déplaisir. Le génie et le savoir fournissent plus de desseins, et inspirent même un courage plus entreprenant que ne comporte à la rigueur la condition humaine, et peut-être, ne ferait-on pas tout ce qu’on peut, sans l’espérance de faire plus qu’on ne pourra.

Toutes ces entreprises commencées, et qui ne prenaient rien sur les devoirs, marquent assez combien M. Dodart était laborieux. Ses plaisirs et ses amusements étaient des travaux moins pénibles, tels que de simples lectures, mais toujours instructives et solides. Il lisait beaucoup sur les matières de religion, car sa piété était éclairée, et il accompagnait de toutes les lumières de la raison la respectable obscurité de la foi.

Il était le médecin d’un aussi grand nombre de pauvres, et peut-être même d’un plus grand nombre qu’il ne le pouvait être de la manière dont il l’était. Il ne les guérissait pas seulement, il les nourrissait ; aussi avait-il été obligé d’associer à ses entreprises de charité plusieurs personnes de considération, et d’aller mendier lui-même du secours pour être plus en état d’en donner.

Agé de 73 ans, après de longues douleurs de néphrétique dont on ne s’apercevait presque point, il crut avoir la pierre, et se résolut sans peine à l’opération. Me la princesse de Conti fit tout ce qu’il eût fallu faire pour calmer l’esprit le plus agité et le plus inquiet, et le fit avec d’autant plus de générosité, que les dispositions du malade l’y obligeaient moins. Elle l’assura que M. Dodart son fils remplirait sa place auprès d’elle, et qu’elle donnerait à Mlle Dodart sa fille une pension qui suppléerait à la modicité du bien qu’il lui laissait. Il n’avait que ces deux enfants, tous deux d’un premier lit.

On reconnut ensuite qu’il n’avait point la pierre. Il était destiné à perdre la vie de la manière du monde la plus heureuse, par une action de charité. Un jour il s’excéda de fatigue pour des pauvres qu’il traitait ; prit [p. 191] beaucoup de froid, et revint chez lui à jeun à 5 heures du soir. La fièvre, qui se déclara aussitôt, et une fluxion de poitrine l’emportèrent en 10 jours. Il mourut le 5 novembre 1707, 7 jours avant notre assemblée publique de la Saint-Martin, circonstance favorable à l’honneur de sa mémoire, car comme je ne me sentis pas capable de faire son éloge en si peu de temps, M. l’ abbé Bignon le fit presque sans préparation, tel que son cœur le lui dicta, et M. Dodart est jusqu’ici le seul qui ait eu cet avantage.

Tant que sa maladie dura, Me la princesse de Conti envoyait à chaque moment savoir de ses nouvelles, dès qu’il fut mort, elle exécuta tout ce qu’elle avait promis. On pourrait croire que tout cela n’est parti que de la bonté générale de cette princesse, ou d’une certaine générosité indifférente, mais des larmes ne peuvent venir que du fond du cœur, quand aucune bienséance ne les demande, et qu’au contraire l’extrême inégalité des personnes semble s’y opposer. A l’éloquence naturelle qu’elles ont pour faire un éloge, se joint le prix que leur donnent les yeux qui les ont versées.

M. Dodart était né d’un caractère sérieux, et l’attention chrétienne avec laquelle il veillait perpétuellement sur lui-même, n’était pas propre à l’en faire sortir : mais ce sérieux, loin d’avoir rien d’austère ni de sombre, laissait paraître assez à découvert un fonds de cette joie sage et durable, qui est le fruit d’une raison épurée, et d’une conscience tranquille. Cette disposition ne produit pas les emportements de la gaieté, mais une douceur égale, qui cependant peut devenir gaieté pour quelques moments, et par une espèce de surprise, et de tout cela ensemble se forme un air de dignité qui n’appartient qu’à la vertu, et que les dignités même ne donnent point. Encore une chose qui, quoique infiniment moins considérable, sied bien, et que M. Dodart avait parfaitement, c’est la noblesse de l’expression. Outre qu’elle tient je ne sais quoi de celle des mœurs, elle fait foi que l’on a vécu dans un monde choisi, car ce n’est que là qu’elle se prend, ou [p. 192] se perfectionne. Il avait de plus une grande facilité naturelle de parler, à laquelle il joignait le rare mérite de n’en abuser jamais, et il s’était fait un style qui, sans être affecté, n’était cependant qu’à lui.

Il possédait souverainement les qualités d’académicien, c’est à dire d’un homme d’esprit, qui doit vivre avec ses pareils, profiter de leurs lumières, et leur communiquer les siennes. On n’aime pas tant en ce genre à recevoir qu’à donner, quoiqu’il soit plus difficile de donner comme il faut que de recevoir. Si l’on a de la peine à faire le personnage inférieur quand on reçoit, on en a encore plus à ne pas faire celui de supérieur quand on donne. M. Dodart entendait parfaitement tous les deux ; il proposait ses vues avec une modestie qui faisait presque en leur faveur l’effet d’une nouvelle preuve ; et il entrait dans ce qui était proposé par les autres, comme s’il n’eût su que ce qu’il apprenait d’eux en ce moment. Il aimait à emprunter et à faire valoir leurs idées, et il aurait plutôt affecté que manqué l’occasion de leur en rendre une espèce d’hommage. Il serait inutile de faire une plus longue peinture de ses mœurs, tout partait d’un seul principe, un cœur naturellement droit et noble, qui avait été continuellement cultivé par la religion.

Sa place de botaniste pensionnaire a d’abord été remplie par M. Burlet, auparavant son élève, mais parce que M. Burlet était premier médecin du roi d’Espagne, il a été déclaré vétéran, et la place de pensionnaire a été donnée à M. Morin , médecin de l’Hôtel-Dieu, qui était associé botaniste.

FIN

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