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Éloge de Monsieur Jean Gallois

Éloge de M. l’abbé Gallois

[p. 176]

Jean Gallois , naquit à Paris le 14 juin 1632 d’Ambroise Gallois avocat au Parlement, et de Françoise de Launai.

Son inclination pour les lettres se déclara dés qu’il pût laisser paraître quelque inclination, et elle se fortifia toujours dans la suite. Il s’engagea dans l’état ecclésiastique, et reçût l’Ordre de prêtrise. Son devoir lui fit tourner ses principales études du côté de la théologie, de l’histoire ecclésiastique, des pères, et de l’Écriture Sainte, il alla même jusqu’aux langues orientales, nécessaires du moins à qui veut remonter jusqu’aux premières sources de la théologie, mais il ne renonça ni à l’histoire profane, ni aux langues vivantes, telles que l’italien, l’espagnol l’anglais et l’allemand, ni aux mathématiques, ni à la physique, ni à la médecine même, car son ardeur de savoir embrassait tout, et s’il est vrai qu’une érudition si partagée soit moins propre à faire une réputation singulière, elle l’est du moins beaucoup plus à étendre l’esprit en tout sens, et à l’éclairer de tous côtés.

Outre la connaissance des choses que les livres contiennent, M. l' abbé Gallois avait encore celle des livres eux-mêmes, science presque séparée des autres, quoiqu’elle en résulte, et produite par une curiosité vive qui ne néglige aucune partie de son objet.

Le premier travail que le public ait vu de M. l’ abbé Gallois a été la traduction latine du traité de paix des Pyrénées, imprimé par ordre du roi, mais bientôt son nom devint plus illustre par le Journal des Savants. Ce fut en 1665 que parut pour la première fois cet ouvrage [p. 177] dont l’idée était si neuve et si heureuse, et qui subsiste encore aujourd’hui avec plus de vigueur que jamais, accompagné d’une nombreuse postérité issue de lui, et répandue par toute l’Europe sous les différents noms de Nouvelles de la République des Lettres , d’ Histoire des Ouvrages des Savants , de Bibliothèque universelle , de Bibliothèque choisie , d’Acta Eruditorum, de Transactions Philosophiques , de Mémoires pour l’Histoire des Sciences et des beaux Arts , etc. M. de Sallo conseiller ecclésiastique au Parlement en avait conçu le dessein, et il s’associa M. l' abbé Gallois , qui par la grande variété de son érudition semblait né pour ce travail, et qui de plus, ce qui n’est pas commun chez ceux qui savent tout, savait le français, et écrivait bien.

Le Journal prit dès sa naissance un ton trop hardi, censura trop librement la plupart des ouvrages qui paraissaient. La République des Lettres, qui voyait la liberté menacée, se souleva, et le Journal fut arrêté au bout de 3 mois. Mais comme le projet par lui-même en était excellent, on ne voulut pas le perdre, et M. de Sallo l’abandonna entièrement à M. l’ abbé Gallois , qui ouvrit l’année 1666 par un nouveau Journal dédié au roi, où il mit son nom, et où il exerça toujours avec toute la modération nécessaire le pouvoir dont il était revêtu.

M. Colbert touché de futilité et de la beauté du Journal prit du goût pour cet Ouvrage, et bientôt après pour l’auteur. En 1668 il lui donna dans cette Académie presque encore naissante une place avec la fonction de secrétaire en l’absence de feu M. du Hamel , qui fut 2 ans hors du royaume. M. l’ abbé Gallois enrichissait son Journal des principales découvertes de l’Académie, qui ne se faisaient guère alors connaître du public que par cette voie, et de plus il en rendait souvent compte à M. Colbert , et lui portait les fruits de la protection qu’il accordait aux sciences. Dans la suite ce ministre, toujours plus content de sa conversation, l’envoyait quérir lorsqu’il venait à Paris ; sa curiosité sur quelque matière que ce fût [p. 178] le trouvait toujours prêt à la satisfaire, et s’il fallait une discussion plus exacte et plus profonde, personne n’était plus propre que M. l’Abbé Gallois à y réussir en peu de temps, circonstance presque absolument nécessaire auprès de M. Colbert . Enfin ce ministre qui se connaissait en hommes, après avoir éprouvé longtemps et l’esprit et la littérature et les mœurs de M. l’ abbé Gallois , le prit chez lui en 1673, et lui donna toujours une place et à sa table, et dans son carrosse. Cette faveur si particulière était en même temps, et une récompense glorieuse de son savoir, et une occasion perpétuelle d’en faire un usage agréable, et une heureuse nécessité d’en acquérir encore tous les jours.

M. Colbert favorisait les lettres, porté non seulement par son inclination naturelle, mais par une sage politique. Il savait que les sciences et les arts suffiraient seuls pour rendre un règne glorieux, qu’ils étendent la langue d’une nation, peut-être plus que des conquêtes, qu’ils lui donnent l’empire de l’esprit et de l’industrie, également flatteur et utile, qu’ils attirent chez elle une multitude d’étrangers, qui l’enrichissent par leur curiosité, prennent ses inclinations, et s’attachent à ses intérêts. Pendant plusieurs siècles, l’université de Paris n’a pas moins contribué à la grandeur de la capitale que le séjour des rois. On doit à M. Colbert l’éclat où furent les Lettres, la naissance de cette Académie, de celle des inscriptions, des académies de peinture, de sculpture et d’architecture, les nouvelles faveurs que l’Académie française reçut du roi, l’impression d’un grand nombre d’excellents livres dont l’Imprimerie royale fit les frais, l’augmentation presque immense de la bibliothèque du roi, ou plutôt du trésor public des savants, une infinité d’ouvrages que les grands auteurs ou les habiles ouvriers n’accordent qu’aux caresses des ministres et des princes, un goût du beau et de l’exquis répandu par tout, et qui se fortifiait sans cesse. M. l’ abbé Gallois eut le sensible plaisir d’observer de près un semblable ministère, d’être [p. 179] à la source des desseins qui s’y prenaient, d’avoir part à leur exécution, quelquefois même d’en inspirer, et de les voir suivis. Les gens de lettres avaient en lui auprès du ministre un agent toujours chargé de leurs affaires, sans que le plus souvent ils eussent eu seulement la peine de l’en charger. Si quelque livre nouveau, ou quelque découverte, d’auteurs même qu’il ne connût pas, paraissaient au jour avec réputation, il avait soin d’en instruire M. Colbert , et ordinairement la récompense n’était pas loin. Les libéralités du roi s’étendaient jusque sur le mérite étranger, et allaient quelquefois chercher dans le fond du nord un savant surpris d’être connu.

En 1673 M. l’ abbé Gallois fut reçu dans l’Académie française. Quoique l’éloquence ou la poésie soient les principaux talents qu’elle demande, elle admet aussi l’érudition qui n’est pas barbare, et peut-être ne lui manque t’il que de se parer davantage de l’usage qu’elle en fait, et même du besoin qu’elle en a. M. l' abbé Gallois quitta le Journal en 1674, et le remit en d’autres mains. Il était trop occupé auprès de M. Colbert , et d’ailleurs ce travail était trop assujettissant pour un génie naturellement aussi libre que le sien. Il ne résistait pas aux charmes d’une nouvelle lecture qui l’appelait, d’une curiosité soudaine qui le saisissait, et la régularité qu’exige un journal leur était sacrifiée.

Les lettres perdirent M. Colbert en 1683. M. l’ abbé Gallois avait ajouté à la gloire de leur avoir fait beaucoup de bien, celle de n’avoir presque rien fait pour lui-même. Il n’avait qu’une modique pension de l’Académie des Sciences, et une abbaye si médiocre qu’il fut obligé de s’en défaire dans la suite. Feu M. le marquis de Seignelai lui donna la place de garde de la bibliothèque du roi dont il disposait, mais la bibliothèque étant sortie de ses mains, il récompensa M. l' abbé Gallois par une place de professeur en grec au Collège royal, et par une pension particulière qu’il lui obtint du roi sur les fonds de ce Collège, attachée aune espèce d’inspection générale. M. [p. 180] de Seignelai ne crut pas que son père se fût suffisamment a acquitté, et puisqu’on n’en saurait accuser le peu de goût de M. Colbert pour les lettres, il en faut louer l’extrême modération de M. l’Abbé Gallois .

Lorsque sous le ministère de M. de Pontchartrain , aujourd’hui chancelier de France, l’Académie des Sciences commença par les soins de M. l’ abbé Bignon à sortir d’une espèce de langueur où elle était tombée, ce fut M. l’ abbé Gallois qui mit en ordre les mémoires qui parurent de cette Académie en 1692 et 93 qui eut le soin d’en épurer le style. Mais la grande variété de ses études interrompit quelquefois ce travail qui avait des temps prescrits, et le fit enfin cesser. L’Académie ayant pris une nouvelle forme en 1699, il y remplit une place de géomètre, et entreprit de travailler sur la géométrie des anciens, et principalement sur le recueil de Pappus , dont il voulait imprimer le texte grec qui ne l’a jamais été, et corriger la traduction latine, fort défectueuse. Rien n’était plus convenable à ses inclinations, et à ses talents qu’un projet qui demandait de l’amour pour l’antiquité, une profonde intelligence du grec, la connaissance des mathématiques, et il est fâcheux pour les lettres que ce n’ait été qu’un projet. Une des plus agréables histoires, et sans doute la plus philosophique, est celle des progrès de l’esprit humain.

Le même goût de l’Antiquité qui avait porté M. l’ abbé Gallois à cette entreprise, ce goût si difficile à contenir dans de justes bornes, le rendit peu favorable à la géométrie de l’infini, embrassée par tous les modernes. On ne peut même dissimuler, puisque nos historiens l’ont dit, qu’il l’attaqua ouvertement. En général il n’était pas ami du nouveau, et de plus il s’élevait par une espèce d’ostracisme contre tout ce qui était trop éclatant dans un état libre, telle que celui des lettres. La géométrie de l’infini avait ces deux défauts, sur tout le dernier, car au fond elle n’était pas tout à fait si nouvelle, et les partisans zélés de l’Antiquité, s’il en est encore à cet égard, trou [p. 181] veraient bien mieux leur compte à soutenir que les anciens géomètres en ont connu et mis en œuvre les premiers fondements, qu’à là combattre, parce qu’elle leur était inconnue.

Comme toutes les objections faites contre les infiniment petits avaient été suivies d’une solution démonstrative, M. l’ abbé Gallois commençait à en proposer sous la forme d’éclaircissements qu’il demandait, et peut-être les différentes ressources que l’esprit peut fournir n’auraient-elles pas été si épuisées, mais d’une santé parfaite et vigoureuse dont il jouissait, il tomba tout d’un coup au commencement de cette année dans une maladie dont il mourut le 19 avril.

Il était d’un tempérament vif, agissant, et fort gai ; l’esprit courageux, propre à imaginer ce qui lui était nécessaire, fertile en expédients, capable d’aller loin par des engagements d’honneur. Il n’avait d’autre occupation que les livres, ni d’autre divertissement que d’en acheter. Il avait mis ensemble plus de 12 000 volumes, et en augmentait encore le nombre tous les jours. Si une aussi nombreuse bibliothèque peut être nécessaire, elle l’était à un homme d’une aussi vaste littérature, et dont la curiosité se portait à mille objets différends, et voulait se contenter sur le champ. Ses mœurs, et surtout son désintéressement, ont paru dans toute sa conduite auprès de M. Colbert . La charité chrétienne, donnait à son désintéressement naturel la dernière perfection ; il ne s’était réservé sur l’abbaye de S. Martin de Cores qu’il avait possédée, qu’une pension de 600 livres, et il les laissait à son successeur pour être distribuées aux pauvres du pays.

Sa place de géomètre pensionnaire a été remplie par M. Saurin.

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