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Éloge de Monsieur Jean-Élie Leriget de la Faye

Éloge de M. de la Faye

[p. 90]

Jean-Élie Leriget de la Faye naquit à Vienne le 15 avril 1671, de Pierre Leriget de la Faye, écuyer, receveur-général des finances de Dauphiné, et d’Anne Heraut. Le père était homme de belles-lettres, malgré un genre de vie et des occupations qui en paraissent assez éloignés. Deux fils qu’il a eus héritèrent de lui cette inclination, mais la nature fit leur partage, de sorte que l’aîné eut plus de goût pour les sciences sérieuses, et le cadet pour les agréables.

Le P[ère] Loup, jésuite, habile mathématicien, trouvant beaucoup d’ouverture d’esprit à cet aîné dont nous parlons, lui apprit les éléments de géométrie. Le disciple se portait à ces connaissances avec d’autant plus d’ardeur, qu’il les croyait utiles au métier de la guerre qu’il voulait embrasser. Son impatience d’y entrer fut si vive, qu’à l’âge de dix-neuf ans il s’enrôla comme simple cavalier, action où un jeune homme sacrifiait une petite délicatesse d’honneur, à l’empressement d’acquérir un honneur plus solide. A peine était-il soldat, qu’il se trouva à la bataille de Fleurus.

Peu de temps après, il prit une route plus convenable. Il entra dans les mousquetaires du roi, de là il fut enseigne dans le régiment des gardes, et il était lieutenant, et servait dans l’armée du maréchal de Bouflers , lorsque se donna le combat d’Eckeren près d’Anvers, en 1703. Sa compagnie n’était point commandée, et il la laissa au camp pour aller joindre, comme volontaire, un détachement de grenadiers. [p. 91] Quiconque cherche ces occasions où son devoir ne l’appelle point, sait assez qu’il ne suffirait pas d’y bien faire.

Il fut capitaine aux gardes en la même année 1703. Il était à la bataille de Ramillies et à celle d’Oudenarde. Dans cette dernière, il commandait un bataillon, et se distingua beaucoup. Il s’est trouvé aussi aux sièges de Douay et du Quesnoy dans une même campagne.

La plupart des gens de guerre font leur métier avec beaucoup de courage, il en est peu qui y pensent, leurs bras agissent aussi vigoureusement que l’on veut, leur tète se repose, et ne prend presque part à rien. M. de la Faye se battait comme eux, mais hors de là il était plus occupé qu’eux de vues et de réflexions. Il ne laissait pas sa géométrie oisive, il levait des plans, il imaginait des machines pour le passage des rivières, ou pour le transport des pièces d’artillerie, enfin, il faisait des découvertes dans la science de la guerre, qui, comme toutes les autres, peut encore être perfectionnée, et ne le sera guère plus promptement, quoiqu’elle soit la plus cultivée de toutes. Par là il se fit un accès fort agréable auprès de feu monseigneur le duc de Bourgogne, qui aimait que l’on pensât, et qui goûtait ses idées. En dernier lieu, M. de la Faye lui avait présenté un projet pour enrégimenter un nombre d’ouvriers capables d’exécuter tous les ouvrages nécessaires à la guerre, et le prince l’avait approuvé au point de promettre à l’auteur qu’il lui ferait donner le commandement de ce corps. Mais la paix se fit en ce temps-là, le projet demeura inutile, et celui même qui l’avait conçu n’y eut pas de regret. Seulement serait-il à souhaiter qu’il ne fût pas perdu pour toujours, comme il le sera apparemment avec une infinité d’autres choses utiles, qu’il semble que quelque génie malin nous tire d’entre les mains.

La paix remit entièrement de la Faye aux mathématiques, dont il commença à faire une étude plus suivie. Il s’appliqua particulièrement à la mécanique et à la physique expérimentale, et il n’y plaignit pas les dépenses [p. 92] qu’il pouvait dérober aux besoins indispensables de sa condition, témoin, entre autres curiosités de son cabinet, une pierre d’aimant de deux mille livres, que beaucoup d’autres gens de guerre n’auraient pas gardée longtemps. Aussi avait-il assez étudié cette matière de l’aimant, et il préparait sur cela des expériences et des réflexions nouvelles, qui auraient ou encore augmenté, ou expliqué en partie, mais plutôt augmenté cette merveille.

Un dernier règlement donné à l’Académie au commencement de 1716, lui produisit aussitôt de nouveaux sujets, et de la Faye fut du nombre. Son assiduité prouva qu’il ne se contentait pas du simple titre d’académicien. La première année il ne fut qu’assidu, peut-être s’étudiait-il dans le silence à prendre le ton de la compagnie, la seconde il commença à parler, et à donner des morceaux de sa composition, mais il les donnait avec une modestie et une espèce de timidité qui séyaient tout à fait bien à un homme de guerre transplanté dans une assemblée de savants.

La première chose qu’il a fait voir ici a été une machine à élever les eaux, qu’il avait fondée sur une idée géométrique assez fine et fort neuve. Quand le czar honora l’Académie de sa présence, elle se para de tout ce qu’elle avait de plus propre à frapper les yeux de ce prince, et la machine de M. de la Faye en fit partie.

Il a expliqué aussi la formation des pierres de Florence, qui sont des tableaux naturels de plantes, de buissons, quelquefois de clochers et de châteaux. Quel peintre les a dessinés ? De la Faye traite cette question, qui dépend d’une physique assez déliée, et d’une observation curieuse de faits souvent négligés, même par les philosophes. Ces deux mémoires sont imprimés dans le volume de 1717, auquel ils appartiennent. Ils donnaient beaucoup d’espérance pour les années suivantes, mais l’auteur n’a pas assez vécu. Il faut avouer que sa vie était un peu trop conforme à sa principale profession, et apparemment elle [p. 93] en a été plus courte. Sa santé vint à s’affaiblir considérablement et promptement, et il mourut âgé de 47 ans, le 20 avril 1718.

Il n’a laissé qu’un fils de son mariage avec demoiselle Marie le Gras, d’une ancienne famille de robe, déjà connue sous Henri II , dame d’une vertu et d’un mérite respectables.

Il avait une gaieté naturelle, un ton agréable de plaisanterie, qui, dans les occasions les plus périlleuses, faisait briller son courage, et hors de là cachait un savoir qu’il ne lui convenait pas d’étaler. On pouvait sentir qu’il eût été volontiers jusqu’à l’ironie, mais il dissimulait ce penchant sous des dehors fort polis, et même flatteurs. Il savait bien réparer par ses manières le tort qu’il avait d’être géomètre et physicien. Les faveurs que la fortune lui devait dans son métier, il les attendait sans agitation et sans inquiétude, parce qu’il les attendait comme des faveurs dues par la fortune. Une ambition si éclairée n’altérait pas la tranquillité de son âme, et en général rien ne l’altérait. Ce courage intérieur et raisonné appartenait plus au savant et au philosophe qu’au guerrier même. Il était fort charitable, surtout à l’égard des honnêtes gens que les malheurs publics ou particuliers réduisaient à implorer le secours d’autrui, et les libéralités qu’il leur faisait étaient ordinairement proportionnées à leur condition. La plus grande valeur guerrière n’égale point cette vertu. Il est, sans comparaison, plus commun, et par conséquent plus facile d’exposer sa vie à des périls évidents, et presque inévitables, que de secourir en pure perte, non pas un inconnu, mais son ami.

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