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Éloge de Monsieur Nicolas de Malézieu

Éloge de M. Malézieu

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Nicolas de Malézieu naquit à Paris en 1650, de Nicolas de Malézieu, écuyer, seigneur de Bray, et de Marie des Forges, originaire de Champagne. Il était encore au berceau lorsqu’il perdit son père et il demeura entre les mains d’une mère qui avait beaucoup d’esprit ; elle ne fut pas longtemps à s’apercevoir que cet enfant méritait une bonne éducation. Il la prévenait même et dès l’âge de quatre ans, il avait appris à lire et à écrire presque sans avoir eu besoin de maître. Il n’avait que douze ans quand il finit sa philosophie au collège des jésuites à Paris. De là il voulut aller plus loin, parce qu’il entendait parler d’une philosophie nouvelle qui faisait beaucoup de bruit. Il s’y appliqua sous M. Rohaut [Rohault], et en même temps aux mathématiques dont elle emprunte perpétuellement le secours, qu’elle se glorifie d’emprunter.

Ces mathématiques, qui souffrent si peu qu’on se partage entre elles et d’autres sciences, lui permettaient cependant les belles-lettres, l’histoire, le grec, l’hébreu, et même la poésie, plus incompatible encore avec elles que tout le reste. Toutes les sortes de sciences se présentent à un jeune homme né avec de l’esprit ; mille hasards les font passer en revue sous ses yeux, et c’est quelque inclination particulière, ou plutôt quelque talent naturel, source de l’inclination qui le détermine à un choix on préfère ce que l’on sent qui promet plus de succès. M. de Malézieu ne fit point de choix, et il embrassa tout ; tout l’attirait également, tout lui promettait un succès égal.

Feu M. l’ évêque de Meaux le connut à peine âgé de [p. 146] vingt ans, et il n’eut pas besoin de sa pénétration pour sentir le mérite du jeune homme. Ce n’était point un mérite enveloppé qui perçât difficilement au travers d’un extérieur triste et sombre ; sa facilité à entendre et à retenir lui avait épargné ces efforts et cette pénible contention, dont l’habitude produit la mélancolie ; les sciences étaient entrées dans son esprit comme dans leur séjour naturel, et n’y avaient rien gâté ; au contraire, elles s’étaient parées elles-mêmes de la vivacité qu’elles y avaient trouvée. M. de Meaux prit dès lors du goût pour sa conversation et pour son caractère.

Des affaires domestiques l’appelèrent en Champagne. Comme il était destiné à plaire aux gens de mérite, il entra dans une liaison étroite avec M. de Vialart, évêque de Chalons , aussi connu par la beauté de son esprit que par la pureté de ses mœurs et il se fortifia par ce commerce dans des sentiments de religion et de piété qu’il a conservés toute sa vie. Il se maria à vingt-trois ans avec demoiselle Françoise Faudelle de Faveresse et quoiqu’amoureux, il fit un bon mariage. Il passa dix ans en Champagne dans une douce solitude, uniquement occupé de deux passions heureuses car on juge bien que les livres en était une. C’est un bonheur pour les savants que leur réputation doit amener à Paris, d’avoir eu le loisir de se faire un bon fonds dans le repos d’une province le tumulte de Paris ne permet pas assez qu’on fasse de nouvelles acquisitions si ce n’est celle de la manière de savoir.

Le feu roi ayant chargé M. le duc de Montauzier et l’ évêque de Meaux de lui chercher des gens de lettres propres à être mis auprès du duc du Maine , qui avait déjà le savant Chevreau pour précepteur, ils jetèrent les yeux sur M. de Malézieu et M. de Court. Tous deux furent nommés par le roi, et une seconde fois en quelque sorte par le public, lorsqu’il les connut assez. Il se trouvait entre leurs caractères toute la ressemblance, et de plus toute la différence qui peuvent servir à former une grande liaison car on se convient aussi par ne se pas ressembler. L’un vif [p. 147] et ardent, l’autre plus tranquille et toujours égal, ils se réunissaient dans le même goût pour les sciences, et dans les mêmes principes d’honneur, et leur amitié n’en faisait qu’un seul homme en qui tout se trouvait dans un juste degré. Ils rencontrèrent dans le jeune prince des dispositions d’esprit et de cœur, si heureuses et si singulières, qu’on ne peut assurer qu’ils lui aient été fort utiles, principalement à l’égard des qualités de l’âme qu’ils n’eurent guère que l’avantage de voir de plus près et avec plus d’admiration. Le roi les admettait souvent dans son particulier à la suite de M. le duc du Maine , lorsqu’il n’était question que d’amusement et ces occasions si flatteuses étaient extrêmement favorables pour faire briller la vivacité, le génie et les ressources de génie de M. de Malézieu .

La cour rassemblait alors un assez grand nombre de gens illustres par l’esprit ; Mrs Racine , Despréaux la Bruyère , Malézieu , de Court, M. de Meaux était à la tête. Ils formaient une espèce de société particulière d’autant plus unie qu’elle était plus séparée de celle des illustres de Paris qui ne prétendaient pas devoir reconnaître un tribunal supérieur, ni se soumettre aveuglément à des jugements, quoique revêtus de ce nom si imposant de jugements de la cour. Du moins avaient-ils une autorité souveraine à Versailles et Paris même ne se croyait pas toujours assez fort pour en appeler.

M. le Prince, M. le duc, M. le prince de Conti , qui brillaient beaucoup aussi par l’esprit, mais qui ne doivent être comptés qu’à part, honoraient M. de Malézieu de leur estime et de leur affection. Il devenait l’ami de quiconque arrivait à la cour avec un mérite éclatant. Il le fut, et très particulièrement de M. l’ abbé de Fénélon , depuis archevêque de Cambrai et il n’en conserva pas moins l’amitié de M. de Meaux , lorsque ces deux grands prélats furent brouillés par une question subtile et délicate, qui ne pouvait guère être une question que pour d’habiles théologiens. On dit même que ces deux respectables adversaires le prirent souvent pour arbitre de plusieurs articles de leurs différends. Soit qu’il s’agit [p. 148] des procédés ou du fond, quelle idée n’avaient-ils pas ou de ses lumières, ou de sa droiture ?

Quand M. le duc du Maine se maria, M. de Malézieu entra dans une nouvelle carrière. Une jeune princesse, avide de savoir, et propre à savoir tout, trouva d’abord dans sa maison celui qu’il lui fallait pour apprendre tout, et elle ne manqua pas de se l’attacher particulièrement, par ce moyen infaillible que les princes ont toujours en leur disposition par t’estime qu’elle lui fit sentir. Souvent pour lui faire connaître les bons auteurs de l’Antiquité, que tant de gens aiment mieux admirer que lire, il lui a traduit sur le champ, en présence de toute sa cour, Virgile , Térence , Sophocle , Euripide et depuis ce temps là les traductions n’ont plus été nécessaires que pour une partie de ces auteurs. Il serait fort du goût de cette Académie, que nous parlassions aussi des sciences plus élevées où elle voulut être conduite par le même guide ; mais nous craindrions de révéler les secrets d’une si grande princesse. Il est vrai qu’on devinera bien les noms de ces sciences, mais on ne devinera pas jusqu’où elle y a pénétré.

M. de Malézieu eut encore auprès d’elle une fonction très différente, et qui ne lui réussissait pas moins. La princesse aimait à donner chez elle des fêtes des divertissements, des spectacles ; mais elle voulait qu’il y entrât de l’idée, de l’invention, et que la joie eût de l’esprit. M. de Malézieu occupait ses talents moins sérieux à imaginer ou à ordonner une fête et lui-même y était souvent acteur. Les vers sont nécessaires dans les plaisirs ingénieur il en fournissait qui avaient toujours du feu, du bon goût, et même de la justesse, quoiqu’il n’y donnât que fort peu de temps, et ne les traitât, s’il le faut dire, que selon leur mérite. Les impromptus lui étaient assez familiers, et il a beaucoup contribué à établir cette langue à Seaux, où le génie et la gaieté produisent assez souvent ces petits enthousiasmes soudains. En même temps il était chef des conseils de M. le duc du Maine , à la place de M. d’ Aguesseau et de M. Fieubet , conseillers d’état, [p. 149] qui étaient morts ; il était chancelier de Dombes, premier magistrat de cette souveraineté. L’esprit même d’affaires ne s’était pas refusé à lui.

En 1696 feu M. le duc de Bourgogne étant venu en âge d’apprendre les mathématiques, Madame de Maintenon porta le roi à confier cette partie de son éducation à M. de Malézieu , tandis qu’il donnerait à M. Sauveur les deux autres enfants de France. M. de Malézieu , assez délicat pour craindre qu’un si grand honneur ne s’accordât pas parfaitement avec l’attachement inviolable qu’il devait à M. et à Madame du Maine, et rassuré par eux-mêmes sur ce scrupule, demanda du moins en grâce, que pour mieux marquer qu’il ne sortait point de son ancien engagement, il lui fût permis de ne point recevoir d’appointements du roi.

Parmi tous les Éléments de géométrie qui avaient paru jusque-là, il choisit ceux de M. Arnaud comme les plus clairs et les mieux digérés, pour en faire le fond des leçons qu’il donnerait à M. le duc de Bourgogne . Seulement il fit à cet ouvrage quelques additions et quelques retranchements. Il remarqua bientôt que le jeune prince, qui surmontait avec une extrême vivacité les difficultés d’une étude si épineuse, tombait aussi quelquefois dans l’inconvénient de vouloir passer à côté, quand il ne les emportait pas d’abord. Pour le fixer davantage, il lui proposa d’écrire de sa main au commencement d’une leçon ce qui lui avait été enseigné la veille. Toutes ces leçons, écrites par le prince pendant le cours de quatre ans, et précieusement rassemblées ont fait un corps que M. Boissière, bibliothécaire de M. le duc du Maine , fit imprimer, en 1715 sous le titre d’ Éléments de géométrie de Mgr le duc de Bourgogne. L’éditeur les dédie au prince même qui en est l’auteur, et n’oublie pas tout ce qui est dit au savant maître de géométrie. Il y a à la fin du livre quelques problèmes qui n’appartiennent point à des éléments résolus par la méthode analytique, et qui selon toutes les apparences, sont de M. de Malézieu . Il est dit sur ce sujet, qu’ Archimède et les grands géomètres anciens ont dû avoir [p. 150] notre analyse, ou quelque méthode équivalente, parce qu’il est moralement impossible qu’ils eussent suivi, sans s’égarer, des routes si tortueuses qu’ils proposent. Mais par là on leur ôte la force merveilleuse qui a été nécessaire pour suivre sans s’égarer, des routes si tortueuses, si longues et si embarrassées et cette force compense le mérite moderne d’avoir découvert des chemins sans comparaison plus courts et plus faciles. On veut que, pour causer plus d’admiration, ils aient caché leur secret, quoiqu’on le révélant ils eussent causé une admiration du moins égale, et qu’ils eussent en même temps infiniment avancé les sciences utiles. On veut qu’ils aient été tous également fidèles à garder ce secret, également jaloux d’une gloire qu’ils pouvaient changer contre une autre, également indifférents pour le bien public.

Au renouvellement de l’Académie en 1699, M. de Malézieu fut un des honoraires, et en 1701, il entra à l’Académie française. On ne sera pas étonné qu’il fût citoyen de deux états si différents.

Il faisait, dans sa maison de Chatenay, près de Seaux, des observations astronomiques selon la même méthode qu’elles se font à l’observatoire, où il les avait apprises de M. Cassini et de M. Maraldi , ses amis particuliers, et il les communiquait à l’Académie. Une personne du plus haut rang avait part à ses observations, aussi bien qu’à celles qu’il faisait avec le microscope, dont nous avons rapporté la plus singulière en 1718 1 . S’il n’eût pas été assez savant il eût été obligé de le devenir toujours de plus en plus pour faire sa cour, et pour suivre les progrès de qui prenait ses instructions.

Son tempérament robuste et de feu, joint à une vie réglée, lui a valu une longue santé, qui ne s’est démentie que vers les 76 ans ; encore n’ai-ce été que par un dépérissement lent, et presque sans douleur. Il mourut d’apoplexie le 4 mars 1727, dans la 77me année de son âge, et la 54me d’un mariage toujours heureux, où l’estime et la tendresse mutuelles n’avaient point été altérées. La double louange qui en [p. 151] résulte sera toujours très rare, même dans d’autres siècles que celui-ci.

Il a laissé cinq enfants vivants, trois garçons, dont l’ainé est évêque de Lavaur , le second brigadier des armées du roi, et lieutenant-général d’artillerie, et le 3me capitaine de carabiniers et deux filles, dont l’une est mariée à M. de Messimy, premier président du parlement de Dombes, et l’autre au comte de Guiry lieutenant-général du pays d’Aunis, et maître de camp de cavalerie.

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