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Jean Méry naquit à Vatan en Berry, le 6 janvier 1645 de Jean Méry, maître chirurgien et de Jeanne Mores. On lui fit commencer ses études ; mais il s’en dégoûta bientôt par le peu de secours qu’il trouva dans de mauvais maîtres par le peu d’émulation, apparemment aussi par le peu d’inclination naturelle. Il ne passa pas la quatrième, et s’attacha uniquement à la profession de son père. Il vint à Paris à 18 ans s’instruire à l’Hôtel-Dieu, la meilleure de toutes les écoles pour de jeunes chirurgiens. Non content de ses exercices de jour, il dérobait subtilement un mort quand il le pouvait, l’emportait dans son lit, et passait la nuit à le disséquer en grand secret.
En 1681 il fit, à la prière de M. Lamy docteur en médecine, qui donnait une seconde édition de son livre sur l’ Âme sensitive , une description de l’oreille. Il reconnaît dans une lettre préliminaire adressée à ce docteur et imprimée aussi, qu’il n’est qu’un simple chirurgien de l’Hôtel-Dieu, et par là il insinue qu’il est bien hardi d’oser décrire une partie aussi délicate que l’oreille, et aussi inconnue aux plus habiles anatomistes, qu’on ne le croira pas en droit de faire des découvertes, mais si on veut bien ne s’en pas tenir à des préjugés ordinairement si concluant, il s’engage à convaincre tout incrédule les pièces à la main. Dans la même année, il fut pourvu d’une charge de chirurgien de la feue reine.
En 1683 M. de Louvois le mit aux Invalides en qualité de chirurgien-major.
L’année suivante le roi de Portugal ayant demandé au feu roi un chirurgien capable de donner du secours à [p. 130] la reine sa femme, qui était à l’extrémité, M. de Louvois y envoya M. Méry en poste mais la reine mourut avant son arrivée. Il n’y eut à Lisbonne aucun malade qui ne voulut le consulter, quelque peu digne qu’il en fût par son mal, ou au contraire quelque désespéré qu’il fut. On lui fit les offres les plus avantageuses pour l’arrêter en Portugal ; on en fit autant en Espagne à son passage, mais rien ne put vaincre l’amour de la patrie.
A son retour, M. de Louvois le fit entrer dans l’Académie des Sciences, en 1684.
Cette même année, la cour allant à Chambor, le roi demanda à M. Fagon un chirurgien qu’il pût mettre, pendant le voyage, auprès de M. le duc de Bourgogne encore enfant. M. Fagon fit choix de M. Méry . On ne peut pas mettre en doute s’il s’acquitta de cet emploi avec toute l’application et tout le zèle possible, mais il se trouvait encore plus étranger à la cour qu’il ne l’avait été en Portugal et en Espagne ; et il revint, aussitôt qu’il le put, respirer son véritable air naturel celui des Invalides et de l’Académie.
En 1692 il fit un voyage en Angleterre par ordre de la cour, et ce qui paraîtra sans doute surprenant, on en ignore absolument le sujet. Peut-être s’est-on déjà aperçu que les faits rapportés jusqu’ici ont été assez dénués de circonstances, assez décharnés ; c’est la faute de celui qu’ils regardent. Après qu’il avait rempli dans la dernière exactitude ses fonctions nécessaires, il se renfermait dans son cabinet, où il étudiait, non pas tant les livres que la nature même, il n’avait de commerce qu’avec les morts et cela dans un-sens beaucoup plus étroit qu’on ne le dit d’ordinaire des savants. Il s’instruisait donc infiniment mais personne n’en eût rien su, si les opérations qu’il faisait tous les jours n’eussent trahi le secret de son habileté. Ceux qui sont fortement occupés à exercer une profession ou un talent, parlent du moins plus volontiers dans l’intérieur de leur famille, soit de leurs occupations présentes, soit de leurs projets ; on est obligé de les écouter et ils ont une liberté entière de se faire valoir mais il n’u [p. 131] sait point de ses droits à cet égard, on ne le voyait qu’aux heures des repas, et il n’y tenait point de discours inutiles. Enfin je le répète, on ne sait rien du voyage d’Angleterre, dont il aurait dû, au moins à sa femme et à ses enfants, vanter ou excuser le succès. Tout était enseveli dans un profond silence et il est presque étonnant que Méry ait été connu. Il n’a rien mis du sien dans sa réputation que son mérite, et communément il s’en faut beaucoup que ce soit assez.
En 1700 M. de Harlay, premier président, le nomma premier chirurgien de l’Hôtel-Dieu. Il n’accepta cette place que quand il fut bien sûr qu’elle n’était pas incompatible avec celle de l’Académie, et je lui ai ouï dire que les deux ensemble remplissaient toute son ambition. Aussi l’ont-elles uniquement occupé. Des malades, quelqu’importants qu’ils fussent, et quelqu’utiles qu’ils dussent être, n’ont jamais pu le faire sortir de chez lui. Tout au plus a-t-il traité quelques amis, mais en amis et en leur faisant très peu de chose. Des étrangers qui souhaitaient passionnément qu’il leur fit des cours particuliers d’anatomie, n’ont pu le tenter par les promesses les plus magnifiques et les plus sûres. Il ne voulait point d’une augmentation de fortune qui lui eût coûté un temps destiné à de nouveaux progrès dans sa science.
Mais ce même temps, qu’il estimait plus que la richesse, il ne l’épargnait point à ses devoirs; il conçut volontairement le dessein d’en donner à l’Hôtel-Dieu beaucoup plus qu’il ne lui en demandait, selon l’usage établi. Les jeunes chirurgiens qui venaient y apprendre leur métier, n’y prenaient des leçons qu’au gré du hasard, qui leur mettait sous les yeux tantôt une opération, tantôt une autre ; rien de suivi, rien de méthodique ne dirigeait leurs connaissances. Il obtint de M. de Harlay que l’on construisît un lieu où il leur ferait des cours réglés d’anatomie. S’il eût pris cette occasion de demander des appointements plus forts, s’il ne l’eut même fait naître que dans cette vue, on ne l’eût pas blâmé d’accorder son intérêt avec celui du public. D’ailleurs le premier président l’honorait d’une affection particulière ; et [p. 132] comme ce grand magistrat avait beaucoup d’esprit, peut-être l’aimait-il d’autant plus qu’il fallait de la pénétration pour sentir tout ce qu’il valait ; mais M. Méry ne songea, dans son nouvel établissement, qu’à l’utilité publique et il se tint heureux qu’on lui eut accordé un surcroît considérable d’assujettissement et de travail.
Son génie était d’apporter une extrême exactitude à l’observation, et de se bien assurer de la simple vérité des choses. Il ne se pressait point d’imaginer pourquoi telle disposition, telle structure, il voyait les faits d’autant plus sûrement, qu’il ne les voyait point au travers d’un système déjà formé qui eût pu les changer à ses yeux. Son cabinet anatomique auquel il avait travaillé une bonne partie de sa vie, ce nombre prodigieux de dissections faites de sa main, avec une patience étonnante, avaient apparemment aidé à lui faire prendre cette habitude il avait été si longtemps appliqué à ne faire que voir qu’il n’avait pas eu le loisir de songer tant à deviner mais on doit convenir qu’il n’y a pas moins de sagacité d’esprit à bien voir en cette matière qu’à deviner. Aussi n’avait-on pas à craindre que ce qu’il faisait voir aux autres, il le leur déguisât, ou l’embellit trop par ses discours à peine se pouvait-il résoudre à l’expliquer, il fallait presque que les pièces de son cabinet parlassent pour lui.
On y en compte jusqu’à 80 d’importantes, soit squelettes entiers, soit parties d’animaux. 30 de ces pièces regardent l’homme, et celles où sont tous les nerfs, conduits depuis leur origine jusqu’à leurs extrémités, a dû lui coûter des trois ou quatre mois de travail. Une adresse singulière, et une persévérance infatigable ont été nécessaires pour finir ces ouvrages. Aussi était-ce là ce qui l’enlevait à tout. Il était toujours pressé de rentrer dans ce lieu où toutes ces machines démontées et dépouillées de ce qui nous les cache, en les revêtant, lui présentaient la nature plus à nu, et lui donnaient toujours à lui-même de nouvelles instructions. Cependant, pour ne se pas trop glorifier de la connaissance qu’il avait de la structure des animaux, il faisait réflexion sur l’ignorance où [p. 133] l’on est de l’action et du jeu des liqueurs. Nous autres anatomistes , m’a-t-il dit une fois, nous sommes comme les crocheteurs de Paris qui en connaissent toutes les rues, jusqu’aux plus petites, et aux plus écartées, mais qui ne savent pas ce qui se passe dans les maisons.
On a vu de lui dans nos volumes quantité de morceaux ; sur ce que devient l’air entré dans les poumons, sur l’iris de l’oeil, sur la choroïde etc. Il a donné une nouvelle structure au nerf optique, et a osé avancer qu’un animal se multiplie sans accouplement ; c’est la moule d’étang, dont il a donné la singulière et bizarre anatomie 1 . Mais ce qui a fait le plus de bruit dans ces volumes, a été son opinion sur la circulation du sang dans le fœtus, ou sur l’usage du trou ovale, directement opposée à celle de tous les autres anatomistes. Il fut cause que l’Académie, dès son renouvellement en 1699 fut agitée par cette question. Un monde d’adversaires élevés contre lui, tant au dedans qu’au dehors de l’Académie, ne l’ébranla point. Il publia même en 1700, hors de nos mémoires, un traité exprès sur ce sujet, auquel il joignit ses remarques sur une nouvelle manière de tailler la pierre, pratiquée alors par un frère Jacques, franc-comtois. C’est là le seul livre qu’on ait de lui. On ne sait point encore aujourd’hui quel parti est victorieux, et c’est une assez grande gloire pour celui qui seul était un parti. Il parait, ainsi que nous osâmes le soupçonner il y a longtemps, que les deux systèmes opposés pourraient être vrais et se concilier ; dénouement qui mériterait d’être remarqué dans l’histoire de la philosophie, et qui condamnerait bien la grande chaleur de toute cette contestation.
M. Méry était si retenu à former ou à adopter des systèmes, qu’il hésitait à recevoir, ou, si l’on veut, ne recevait pas celui de la génération par les œufs, si vraisemblable, si appuyé, si généralement reçu. Il n’en substituait pas d’autres à la place mais des structures de parties, qui effectivement ne s’y accordaient pas trop, l’arrêtaient 2 au lieu que les autres anatomistes se laissent emporter à un grand nom [p. 134] bre d’apparences très favorables, et se reposent en quelque sorte sur la nature de la solution de quelques difficultés. Nous n’avons garde de décider entre leur hardiesse et la timidité opposée ; seulement pouvons-nous dire qu’en fait de sciences, les hommes sont nés dogmatiques et hardis et qu’il leur en coûte plus pour être timides et pyrrhoniens.
Cependant M. Méry , peu disposé à prendre trop facilement les opinions les plus dominantes, ne l’était pas davantage à quitter facilement les siennes particulières. Le témoignage qu’il se rendait de la grande sûreté de ses observations et du peu de précipitation de ses conséquences, l’affermissait dans ce qu’il avait une fois pensé déterminément. La vie retirée y contribuait encore les idées qu’on y prend sont plus raides et plus inflexibles, faute d’être traversées, pliées par celles des autres, entretenues dans une certaine souplesse on s’accoutume trop dans la solitude à ne penser que comme soi. Cette même retraite lui faisait ignorer aussi des ménagements d’expressions nécessaires dans la dispute ; il ne donnait point à entendre qu’un fait rapporté était faux, qu’un sentiment était absurde il le disait ; mais cet excès de naïveté et de sincérité ne blessait pas tant dans l’intérieur de l’Académie. Et si les suites assez ordinaires du savoir n’y étaient excusées, où le seraient-elles ? On y a remarqué avec plaisir que M. Méry , quelque attaché qu’il fût à ses sentiments, en avait changé en quelques occasions. Par exemple, il avait d’abord fort approuvé l’opération du frère Jacques, et il se rétracta dans la suite. Il était de bonne grâce d’avoir commencé par l’approbation. Un anatomiste de la compagnie raconte qu’il a convaincu M. Méry sur certains points qui lui avaient paru d’abord insoutenables et il le raconte pour la gloire de Méry et non pour la sienne.
Ce même anatomiste prétend que M. Méry a entrevu la valvule d’Eustachius, connu les glandes de Cowper longtemps avant Cowper même, mais il faut laisser les découvertes aux noms qui en sont en possession ; et quand mê [p. 135] me ce ne serait que la faveur du sort qui les leur aurait adjugées plutôt qu’à d’autres, il vaut mieux n’en point appeler.
Malgré une constitution très ferme, et une vie toujours très réglée d’un bout à l’autre, M. Méry se sentit presque tout d’un coup abandonné de ses jambes vers l’âge de 75 ans, sans avoir nulle autre incommodité. Il fut réduit à se renfermer absolument chez lui, où il s’était tant renfermé volontairement. Tous ceux de l’Académie qui pouvaient se plaindre de quelques unes de ces sincérités dont nous avons parlé, allèrent le voir pour le rassurer sur l’inquiétude où il eût pu être à leur égard et renouveler une amitié qui, à proprement parler, n’avait pas été interrompue. Il fut sensiblement touché, et de ces avances qu’il n’attendait peut-être pas, et de ces sentiments qu’il méritait plus qu’il ne se les était attirés; et il ne pouvait se lasser d’en marquer sa joie à M. Varignon son fidèle ami, et de tous les temps.
Il s’affaiblissait toujours, quoiqu’en conservant un esprit sain ; et enfin il mourut le 3 novembre 1722, âgé de 77 ans. Il a laissé six enfants de Catherine-Geneviève Carrère, fille de Carrère, qui avait été premier chirurgien de feue Madame.
Il a eu toute sa vie beaucoup de religion et des mœurs telles que la religion les demande ses dernières années ont été uniquement occupées d’exercices de piété. Nous avons dit de feu M. Cassini , que les cieux lui racontaient sans cesse la gloire de leur créateur ; les animaux la racontaient aussi à M. Méry . L’astronomie, l’anatomie sont en effet les deux sciences où sont le plus sensiblement marqués les caractères du souverain être : l’une annonce son immensité par celle des espaces célestes, l’autre son intelligence infinie par la mécanique des animaux. On peut même croire que l’anatomie a quelque avantage l’intelligence prouve encore plus que l’immensité.