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Éloge de Monsieur Antoine Parent

Éloge de M. Parent

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Antoine Parent naquit à Paris le 16 septembre 1666. Ses aïeux étaient de Chartres, son père était né à Paris, fils d'un avocat au conseil.

Il n'avait pas encore trois ans, quand Antoine Mallet, oncle de sa mère, curé du bourg de Lèves, auprès de Chartres, le fit emporter pour l'élever chez lui. Ce curé gouverna sa paroisse pendant cinquante-quatre ans avec la réputation d'un saint prêtre, d'un bon théologien, et même d'un assez habile naturaliste. Il fut le seul précepteur de son petit-neveu, ou plutôt son père. Comme il ne lui put enseigner que les premières règles de l'arithmétique, et que l'enfant ne s'en contentait pas, il fallut lui donner quelques livres qui allassent plus loin, mais ce n'étaient que des règles sans démonstration, et l'enfant ne s'en contentait pas encore. Il tâcha de trouver des preuves par lui-même, vint à bout de quelques unes, ne put réussir à d'autres, et enfin à l'âge de treize ans il avait rempli d'une espèce de commentaire toutes les marges d'un livre d'arithmétique, marque déjà certaine d'un génie mathématique qui se développait, et dont les forces naissantes demandaient à s'exercer.

Ce que son oncle eut le plus de soin de lui apprendre, ce fut la religion et la piété, et ses leçons fructifièrent peut-être au-delà de son espérance. M. Parent a été toute sa vie dans une pratique du christianisme non seulement exacte, mais austère.

A 14 ans, il fut mis en pension chez un ami de [p. 89] son oncle, qui régentait la rhétorique à Chartres. Il se trouva dans sa chambre un dodécaèdre, sur chaque face duquel on avait tracé un cadran, excepté sur l'inférieure. Le hasard semblait le poursuivre pour le jeter du côté des mathématiques. Aussitôt le voilà frappé des cadrans, il veut apprendre à en tracer, il trouve un livre qui n'en donnait que la pratique sans théorie, et ce ne fut que quelque temps après, lorsque son régent de rhétorique vint à expliquer la sphère, qu'il commença à entrevoir comment la projection des cercles de la sphère formait les cadrans, et qu'il parvint à se faire une gnomonique, apparemment assez informe, mais toute à lui. Il se fit une géométrie aussi imparfaite et aussi estimable.

Ses parents l'envoyèrent enfin à Paris pour étudier en droit. Il l'étudia par obéissance, et les mathématiques par inclination. Son droit fini, dont il ne prétendait faire nul usage, il s'enferma dans une chambre du collège de Dormans, pour se dévouer à son étude chérie. Là, avec de bons livres et moins de deux cents francs de revenu, il vivait content. Il était à propos que dans une pareille fortune, la piété, et la plus rigide, vint au secours de la philosophie. Il ne sortait de sa retraite que pour aller au Collège royal entendre ou M. de la Hire , ou Sauveur , sous lesquels il profita comme un homme qui avait moins besoin de leçons, que de quelques avis qui lui épargnassent du temps. Sauveur , qui ne pouvait manquer de le bien connaître, m'a dit que c'était véritablement un génie rare, un aigle, et cela, en mettant à son éloge quelques restrictions que nous ne déguiserons pas.

Quand il se sentit assez fort sur les mathématiques, il prit des écoliers, et comme les fortifications étaient ce qu'il enseignait le plus, parce que la guerre ne mettait que trop cette science à la mode, il vint à se faire un scrupule d'enseigner ce qu'il n'avait jamais vu que par la force de son imagination. Sauveur , à qui il confia cette délicatesse, le donna au marquis d'Alegre, qui heu [p. 90] reusement en ce temps-là voulait avoir un mathématicien auprès de lui. Il fit avec ce marquis deux campagnes, où il s'instruisit à fond par les vues des places, et leva quantité de plans, quoiqu'il n'eût jamais appris le dessin.

Après cela, sa vie n'a pas plus d'événements, et n'en a peut-être été que plus heureuse. Ce n'est qu'une application continuelle à l'étude, ou plutôt à toutes les études qui regardent les sciences naturelles, à toutes les parties des mathématiques, soit spéculatives, soit pratiques, à l'anatomie, à la botanique, à la chimie, au détail des arts les plus curieux. Il avait un feu d'esprit qui dévorait tout, et ce qu'il y a de plus rare, cette ardeur si active n'était point volage ni aisée à lasser, mais constante et infatigable.

M. des Billettes étant entré dans l'Académie en 1699 avec le titre de mécanicien, nomma pour son élève M. Parent , qui excellait principalement en mécanique. On s'aperçut bientôt dans la compagnie, que toutes les différentes matières qui s'y traitaient l'intéressaient, qu'il était au fait de toutes, et qu'on aurait pu le choisir pour l'élève universel. Mais cette grande étendue de connaissances, jointe à son impétuosité naturelle, le portait aussi à contredire assez souvent sur tout, quelquefois avec précipitation, souvent avec peu de ménagement. La recherche de la vérité demande dans l'Académie la liberté de la contradiction, mais toute société demande dans la contradiction de certains égards, et il ne se souvenait pas que l'Académie est une société. On ne laissait pas de bien sentir son mérite au travers de ses manières, mais il fallait quelque petit effort d'équité, qu'il vaut toujours mieux épargner aux hommes.

Personne n'a tant fourni que lui à nos assemblées, et quoiqu'on traitât quelquefois avec assez de sévérité ce qu'il apportait, il n'en paraissait pas blessé, son peu de sensibilité à cet égard lui persuadait peut-être que les autres lui ressemblaient, et le rendait plus hardi à s'élever contre eux. Un critique est justifié autant qu'il peut [p. 91] l'être, quand il souffre patiemment d'être imité.

On lui a reproché d'être obscur dans ses écrits, car nous ne dissimulons rien, et nous suivons en quelque sorte une loi de l'ancienne Égypte, où l'on discutait devant les juges les actions et le caractère des morts, pour régler ce qu'on devait à leur mémoire. Cette obscurité, qui tient assez naturellement au grand savoir, pouvait venir aussi de l'ardeur d'un génie vif et bouillant. Quelquefois, à la faveur de ce préjugé établi contre lui, on se dispensait un peu facilement de chercher à l'entendre, et je sais par expérience que, sans être fort habile, on y parvenait quand on voulait s'en donner la peine. Ici, je ne puis m'empêcher de rapporter à son honneur, que dans une lettre écrite à son meilleur ami deux jours avant sa mort, il me remercie de l'avoir, à ce qu'il disait, éclairci. C'était convenir bien sincèrement du défaut dont on l'accusait, et pousser bien loin la reconnaissance pour un soin médiocre que je lui devais.

On a vu dans les volumes de l'Académie quantité de mémoires de lui, imprimés et choisis assez scrupuleusement sur un nombre beaucoup plus grand de pièces qu'il avait apportées. Il eut raison de ne vouloir pas perdre celles qui lui demeuraient, il les fit entrer dans une espèce de journal, qu'il commença à donner en 1705, intitulé Recherches de mathématiques ou de physique , et qui reparut fort augmenté en 1713. Le dessein était d'y rassembler, outre ce que nous venons de dire, tout ce qu'il y a de plus important dans tous les autres journaux sur les mathématiques et la physique, avec des réflexions et des remarques aussi ingénues qu'il les savait faire, et d'y donner des abrégés et des critiques détaillées des auteurs les plus fameux. Il commençait par Descartes , et avec justice, puisque la philosophie a commencé par lui.

La seconde édition des recherches de M. Parent est en 3 volumes in-12 fort épais. Cet ouvrage est plein de bonne choses, et n'a pas eu cependant un fort grand cours. [p. 92] La prévention où l'on était sur le peu de clarté de l'auteur, le peu de faveur qu'il s'attirait par sa liberté de critiquer, le peu d'ordre des matières, ou l'ordre peu agréable, la forme incommode des volumes, car la bagatelle a son poids, tout cela quoiqu' étranger, a pu diminuer le succès. Il n'y en a guère de si bien mérité où il n'entre encore du bonheur.

M. Parent était si abondant, que, quoiqu'il eût ce journal à lui, il ne laissait pas de se répandre encore dans les autres, dans celui des savants, dans celui de Trévoux, dans le Mercure. Il ne pouvait se contenir dans ses rives. A la fin d'une arithmétique théori-pratique qu'il publia en 1714, il a donné un catalogue de ces sortes d'ouvrages extravasés pour ainsi dire, et il y a lieu d'être surpris et du nombre et de la diversité. Ce grand nombre et cette grande diversité doivent toujours faire à l'auteur un mérite, et dans le besoin une excuse.

Il mourut de la petite-vérole le 29 septembre 1719, âgé seulement de 50 ans, et sa mort fut celle d'un parfait philosophe chrétien. Parmi ses papiers, qui sont en assez grande quantité, et dont plusieurs sont des traités complets, on en a trouvé d'une espèce rare dans de pareils inventaires, des écrits de dévotion, la vie de ce grand oncle à qui il devait tant, les preuves de la divinité de J.-C. en quatre parties. Il a laissé M. de la Faye , capitaine aux gardes, et académicien, son exécuteur testamentaire, c'est-à-dire maître de ses papiers.

Il avait un grand fonds de bonté, sans avoir l'agréable superficie. Ce fonds était encore cultivé par une piété solide et austère, conforme ou à l'esprit géométrique, ou au sien. Dans une fortune très étroite, il faisait beaucoup de charités. Quoiqu'il eût un extrême besoin de son temps, il le sacrifiait généreusement à ceux de ses écoliers qui souhaitaient qu'il les promenât dans Paris pour voir des curiosités de sciences, surtout aux étrangers, parce qu'il s'intéressait à la gloire de son pays. Quelques maî [p. 93] tres de mathématiques venaient prendre de lui des leçons dont ils trafiquaient aussitôt. Un jour, et un seul jour de sa vie, il a fait cette confidence à une personne à qui il ne cachait rien, mais il ne nomma pas ces prétendus maîtres. Il n'est sorti du rang d'élève qu'il avait dans cette Académie, que par le nouveau règlement de 1716, qui a aboli un titre trop inégal. Comme ces différents titres ne donnent pas ici beaucoup de distinction, et qu'apparemment il faisait peu de cas de ces distinctions, quelles qu'elles puissent être, il ne parut jamais touché de l'ambition de monter à une autre place, et il consentit sans peine que l'Académie jouît longtemps de l'honneur d'avoir un pareil élève.

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