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Bernard Renau d'Elisagaray naquit dans le Béarn en 1652, d’un père qui avait peu de bien et beaucoup d’enfants. On croit que ce fut par Madame de Gassion, femme d’un président à mortier du parlement de Pau, et fille de Colbert du Terron , intendant de Rochefort, qu’il fut connu, fort jeune encore, de cet intendant, qui conçut aussitôt beaucoup d’affection pour lui. Il avait une très petite taille mais très bien proportionnée, et qui tirait de l’agrément de sa petitesse même, l’air adroit, vif, spirituel, courageux. M. Du Terron le prit chez lui, où il devint frère de Madame la princesse de Carpegne et de Madame de Barbançon, ses deux filles cadettes ; car elles l’ont toujours appelé de ce nom et pour Madame de Gassion, l’aîné des trois sœurs, il était son fils. Quelque aimable que fût naturellement un jeune enfant étranger dans une maison il fallait encore que pour y être aimé de tout le monde, il sût bien se vendre aimable. On lui fit apprendre les mathématiques, apparemment parce que le séjour de Rochefort lui avait donné lieu de faire paraitre des dispositions à entendre la marine. Enfin, on avait très bien rencontré ; et l’on vit par son application et par ses progrès qu’il était dans la route où son génie l’appelait.
Il ne s’instruisait pas par une grande lecture, mais par une profonde méditation. Un peu de lecture jetait dans son esprit des germes de pensées que la méditation faisait ensuite éclore, et qui rapportaient au centuple. Il cherchait les livres dans sa tête, et les y trouvait. Ce qu’il y [p. 102] a de plus singulier, c’est qu’il pensait beaucoup, et passait peu de temps dans son cabinet et dans la retraite. Il pensait d’ordinaire au milieu d’une conversation dans une chambre pleine de monde, même chez les dames. On se moquait de sa rêverie et de ses distractions on ne laissait pas en même temps de le respecter. Il faisait naturellement et sans affectation ce qu’avait fait, pour une épreuve ou pour une ostentation de ses forces, ce philosophe qui se retirait dans un bain public où il allait méditer.
Il y a apparence que M. Renau lut la Recherche de la Vérité , dès qu’il fut en état de la lire. Son goût pour ce fameux système et son attachement pour la personne de l’auteur, ont toujours été si vifs, qu’on ne les saurait croire fondés sur une impression trop ancienne. Quoi qu’il en soit, jamais malebranchiste ne l’a été plus parfaitement ; et comme on ne peut l’être à ce point sans une forte persuasion des vérités du christianisme et ce qui est infiniment plus difficile, sans la pratique des vertus qu’il demande, M. Renau suivi le système jusque là. Son caractère ferme et vigoureux ne lui permettait ni des pensées chancelantes, ni une exécution faible.
Quand il fut assez instruit dans la marine, M. Du Terron le fit connaître de M. De Seignelay , qui devint bientôt son protecteur, et un protecteur vif et agissant. Il lui procura en 1679 une place auprès du comte de Vermandois , amiral de France, qu’il devait entretenir sur tout ce qui appartient à cette importante charge. Il en eut une pension de mille écus.
Le feu roi voulant perfectionner les constructions de ses vaisseaux, ordonna à ses généraux de mer de se rendre à la cour avec les constructeurs les plus habiles, pour convenir d’une méthode générale qui serait établie dans la suite. M. Renau eut l’honneur d’être appelé à ces conférences qui durèrent 3 ou 4 mois. M. De Seignelay y assistait toujours ; et quand les matières étaient suffisamment pré [p. 103] parées, M. Colbert y venait pour la décision, et quelquefois le roi lui-même. Tout se réduisit à deux méthodes, l’une de M. du Quesne , si fameux et si expérimenté dans la marine, l’autre de M. Renau , jeune encore et sans nom. La concurrence seule était une assez grande gloire pour lui mais de M. du Quesne , en présence du roi, lui donna la préférence, et tira plus d’honneur d’être vaincu par son propre jugement, que s’il eût été vainqueur par celui des autres.
S[a] M[ajesté] ordonna à M. Renau d’aller avec M. De Seignelay , M. le chevalier de Tourville , depuis maréchal de France, et du Quesne le fils à Brest et dans les autres ports, pour y exécuter en grand ce qui avait été fait en petit devant elle. Il n’instruisit pas seulement les constructeurs, mais encore leurs enfants, et les mit en état de faire à l’âge de 15 ou 20 ans les plus grands vaisseaux, qui demandaient auparavant une expérience de 20 ou 30 années.
En 1680 les Algériens nous ayant déclaré la guerre, M. Renau imagina qu’il fallait bombarder Alger, ce qui ne se pouvait faire que de dessus des vaisseaux et paraissait absolument impraticable ; car jusque là il n’était tombé dans l’esprit de personne que des mortiers pussent n’être pas placés à terre, et se passer d’une assiette solide. Les esprits originaux ont un sentiment naturel de leurs forces qui les rend entreprenants même sans qu’ils s’en aperçoivent. Il osa inventer les galiotes à bombes. Aussitôt éclata le soulèvement général dû à toutes les nouveautés, principalement à celles qui ont un auteur connu, que le succès élèverait trop au-dessus de ses pareils. Cependant, après que dans les conseils il eut été traité en face de visionnaire et d’insensé, les galiotes passèrent, et dès là la meilleure fortification d’Alger fut emportée. On chargea l’inventeur de faire construire ces nouveaux bâtiments, deux à Dunkerque et trois au Havre. Il s’embarqua sur ceux du Havre pour aller prendre ceux de Dunkerque ; et comme on [p. 104] doutait encore qu’ils pussent naviguer avec sûreté, celui qu’il montait, les deux autres étant déjà arrivés à Dunkerque, fut battu presqu’à l’entrée de la rade d’un coup de vent des plus furieux, et le plus propre que l’on pût souhaiter pour une épreuve incontestable. L’ouragan renversa un bastion de Dunkerque, rompit les digues de Hollande>, submergea 90 vaisseaux sur toute la côte ; et la galiote de M. Renau cent fois abîmée échappa contre toute apparence sur les bancs de Flessingue, d’où elle alla à Dunkerque.
Il se rendit à Alger avec ses cinq bâtiments de nouvelle fabrique, déjà bien sur de leur bonté ; il ne s’agissait plus que de leurs opérations, et c’était le dernier retranchement des incrédules ou des jaloux. Ils eurent sujet d’être bien content d’une première épreuve. Un accident fut cause qu’une carcasse que M. Renau voulut tirer, mit le feu à la galiote toute chargée de bombes et l’équipage, qui voyait déjà brûler les cordages et les voiles, se jeta à la mer. Les autres galiotes et les chaloupes armées voyant ce bâtiment abandonné, crurent qu’il allait sauter dans le moment, et ne perdirent point de temps pour s’en éloigner. Cependant M. de Remondis, major, voulut voir s’il n’y avait plus personne, et si tout était absolument hors d’espérance. Il força l’épée à la main, l’équipage de sa chaloupe à nager ; il vint à la galiote, sauta dedans, et vit sur le pont M. Renau travaillant, lui troisième, à couvrir de cuir vert plus de 80 bombes chargées rencontre singulière de deux hommes d’une rare valeur, également étonnés, l’un, qu’on lui porte du secours l’autre, qu’on se soit tenu en état de le recevoir, et peut-être même de s’en passer. M. de Remondis alla dans le moment aux chaloupes, et les fit revenir. On jeta dans la galiote 200 hommes ; et quoiqu’en même temps 300 pièces d’artillerie de la ville, sous le feu desquelles elle était, tirassent dessus et fort juste, on vint à bout de la sauver.
[p. 105] Le lendemain Renau , plus animé par ce mauvais succès, obtint de M. du Quesne , qui commandait, que l’on fit une seconde épreuve. On remit les galiotes près de terre on bombarda toute la nuit un grand nombre de personnes furent écrasées dans les maisons ; la confusion fut horrible aux portes de la ville, d’où tout le monde voulait sortir à la fois pour se dérober à un genre de mort imprévu et les Algériens envoyèrent demander la paix. Mais les vents et la mauvaise saison vint à leur secours, et l’armée navale ramena en France> les galiotes à bombes victorieuses, non pas tant des Algériens que de leurs ennemis français. Le roi en fit faire un plus grand nombre, et forma pour elles un nouveau corps d’officiers d’artillerie et de bombardiers, dont les rangs avec le reste de la marine furent réglés.
Une seconde expédition d’Alger termina cette guerre, et les galiotes à bombes qui foudroyèrent Alger, en eurent le principal honneur. M. Renau avait encore inventé de nouveaux mortiers qui chassaient les bombes plus loin, et jusqu’à 1700 toises. Mais nous supprimons désormais des détails qui seraient trop longs il y a du superflu dans sa gloire.
Il se crut dégagé de la marine après la mort de l’amiral à qui il était attaché il demanda au roi, et obtint la permission d’aller joindre M. de Vauban en Flandres. Le roi le destina à servir en 1684 au siège de Luxembourg, mais l’expédition de Gènes ayant été résolue, De Seignelay , qui la devait commander, jugea que Renau lui était nécessaire, et le redemanda au roi. Après le bombardement de Gênes, il fut envoyé au maréchal de Bellefonds , qui commandait en Catalogne, et qui lui donna la conduite du siège de Cadaquiers [Cadaquès ?], que Renau lui livra au bout de quatre jours.
De là il retourna trouver M. de Vauban , qui fortifiait les frontières de Flandres et d’Allemagne>. La vue conti [p. 106] nuelle des ouvrages de ce sublime ingénieur, et de la manière dont il les conduisait, aurait seule suffisamment instruit un disciple aussi intelligent que Renau mais, de plus, le maître, passionnément amoureux du bien public, ne demandait qu’à faire des élèves qui l’égalassent et ce qui forma encore entre eux une liaison plus étroite, ce fut la conformité de mœurs et de vertu, plus puissante que celle du génie.
En 1688, ils furent envoyés l’un et l’autre à Phillipsburg, dont M. de Vauban devait faire le siège sous les ordres de Monseigneur ; et parce que le roi écrivit à Monseigneur de ne permettre pas que M. de Vauban s’exposât, ni qu’il mit seulement les pieds à la tranchée, M. Renau qui avait sa part aux projets, eut de plus tout le soin de l’exécution, et tout le péril.
Il conduisit ensuite les sièges de Maheim et de Frankendal.
On n’imaginerait pas qu’au milieu d’une vie si agitée et si guerrière, il faisait un livre. Il y travaillait cependant, puisqu’en [16]89 parut sa Théorie de la manœuvre des vaisseaux .
L’art de la navigation consiste en deux parties le pilotage, qui regarde principalement l’usage de la boussole et la manœuvre qui regarde la disposition des voiles, du gouvernail et du vaisseau, par rapport à la route qu’on veut faire et aux avantages qu’on peut tirer du vent. Le pilotage, qui ne demande que la simple géométrie élémentaire, avait été assez traité, et assez bien mais aucun géomètre n’avait touché à la manœuvre il y fallait une fine application de la géométrie à une mécanique épineuse et compliquée. M. de Renau , moins effrayé que flatté de la difficulté de l’ouvrage, l’entreprit, et il fut donné au public de l’exprès commandement du roi, parce qu’on le jugea original et nécessaire. Il contient deux déterminations difficiles et importantes l’une de la situation la plus avanta [p. 107] geuse de la voile, par rapport au vent et à la route ; l’autre, de l’angle le plus avantageux du gouvernail avec la quille. Le calcul différentiel a une méthode générale pour ces sortes de questions, que l’on appelle De maximis et minimis mais M. Renau ignorait alors ce calcul, qui était encore naissant et l’on voit avec plaisir qu’il a l’art de s’en passer, ou plutôt qu’il sait le trouver à son besoin sous une forme un peu différente.
Cependant M. Huygens condamna une des propositions fondamentales du livre, qui est, que si un vaisseau est poussé par deux forces dont les directions fassent un angle droit, et qui aient chacune une vitesse déterminée, il décrit la diagonale du parallélogramme dont les deux côtés sont comme ces vitesses. Le défaut de cette proposition, qui parait d’abord fort naturelle, et conforme à tout ce qui a été écrit en mécanique, était, selon M. Huygens , que les côtés du parallélogramme sont comme les forces et que les forces supposées ne sont pas comme les vitesses, mais comme les carrés des vitesses car ces forces doivent être égales aux résistances de l’eau qui sont comme ces carrés, de sorte qu’il en résulte un autre parallélogramme, et une autre diagonale. Et afin que l’idée de M. Renau subsistât il fallait que quand un corps poussé par deux forces décrit la diagonale d’un parallélogramme, les deux forces fussent, non comme les côtés mais comme leurs carrés ce qui était inouï en mécanique.
Une preuve que cette matière était assez délicate, et qu’il était permis de s’y tromper, c’est que malgré l’autorité de M. Huygens , qui devait être d’un poids infini, et, qui plus est, malgré ses raisons, M. Renau eut ses partisans, et entre autres le P. Malebranche . Peut-être l’amitié en gagnait-elle quelques uns qui ne s’en apercevaient pas ; peut-être la chaleur et l’assurance qu’il mettait dans cette affaire en entraînaient-elles d’autres mais enfin ils, étaient tous mathématiciens. Le marquis de l’Hôpital en écrivit à [p. 108] M. Jean Bernoulli , alors professeur à Groningue, et lui exposa la question, de manière que celui-ci, qui n’avait pas vu le livre de Renau , se déclara pour lui : autorité d’un poids égal à celle de Huygens et qui rassurait bien l’auteur de la théorie, sans compter que l’exposition favorable de M. de l’ l’Hôpital marquait tout au moins une inclination secrète pour ce sentiment. Enfin, de quelque côté que la vérité pût être, puisque le géomètre naissant avait partagé des géomètres si consommés son honneur était à couvert. Ce sera un sujet de scandale ou plutôt de joie pour les profanes que des géomètres se partagent mais ce n’est pas sur la pure géométrie ; c’est sur une géométrie mixte où il entre des idées de physique, et avec elles quelquefois une portion de l’incertitude qui leur est naturelle. De plus, après quelques discussions, toute question de géométrie se décide et finit au lieu que les plus anciennes questions de physique, comme celle du plein et du vide, durent encore, et ont le malheureux privilège d’être éternelles.
En 1689 la France étant entrée dans une guerre où elle allait être attaquée par toute l’Europe, M. Renau entreprit de faire voir au roi contre l’opinion générale, et surtout contre celle de M. de Louvois , très redoutable adversaire, que la France> était en état de tenir tête sur mer à l’Angleterre et à la Hollande unies. Son courage pouvait d’abord rendre suspecte l’audace de ses idées mais il les prouva si bien que le roi en fut convaincu, et fit changer tous les vaisseaux de 50 ou 60 canons qui étaient sur les chantiers, pour n’en faire que de grands, tels que M. Renau les demandait. Il inventa en même temps ou exposa do nouvelles évolutions navales, des signaux, des ordres de bataille et il en fit voir au roi des représentations très exactes en petit vaisseaux de cuivre qui imitaient jusqu’aux différents mouvements des voiles.
Tant de vues nouvelles et importantes qu’il avait données, celles que son génie promettait encore, ses services [p. 109] continuels, relevés par des actions brillantes, déterminèrent le roi à lui donner une commission de capitaine de vaisseau, un ordre pour avoir entrée et voix délibérative dans les conseils des généraux, ce qui était singulier; et pour comble d’honneur, une inspection générale sur la marine, et l’autorité d’enseigner aux officiers toutes les nouvelles pratiques dont il était inventeur, le tout accompagné de 12 000 liv. de pension. La maladie de M. De Seignelay retarda l’expédition des brevets nécessaires ; et M. Renau , peu impatient de jouir de ses récompenses, ne chercha point à prendre adroitement quelque moment pour en parler à ce ministre, qui était en grand péril, et dont la mort pouvait tout renverser. Il mourut en effet, et M. de Pontchartrain , alors contrôleur-général, et depuis chancelier de France>, eut la marine. M. Renau , inconnu au nouveau ministre, ne se fit point présenter à lui, il abandonna sans regret ce qu’il tenait déjà presque dans sa main et ce qu’il avait si bien mérité et ne songea qu’à retourner servir avec M. de Vauban , vers qui un charme particulier le rappelait.
Quand les officiers-généraux de mer eurent donné au roi leurs projets pour la campagne de 1691 il demanda à M. de Pontchartrain où était celui de M. Renau . Le ministre répondit qu’il n’en avait point reçu de lui et qu’il ne l’avait même pas vu. Le roi lui ordonna de le faire chercher, et M. Renau s’excusa à M. de Pontchartrain sur ce qu’il n’était pas du corps de la marine ; qu’à la vérité M. De Seignelay avait eu ordre de lui expédier une commission de capitaine de vaisseau avec d’autres brevets fort avantageux mais que n’en ayant eu de lui qu’une promesse verbale, il n’avait pas cru que ce fut un titre suffisant auprès d’un nouveau ministre, qui n’était pas obligé de l’en croire sur sa parole. Comme il se trouva par l’éclaircissement qu’il disait vrai il reçut de M. de Pontchartrain tout ce que lui avait promis M. De Seignelay et le roi lui fit [p. 110] l’honneur de lui dire que, quoiqu’il eut voulu s’échapper de la marine, son intention était qu’il continuât d’y servir ce qui n’empêcherait pas qu’il ne servît aussi sur terre. Sa Majesté eut alors la bonté de lui confier le secret du siège de Mons qu’elle allait faire en personne et où elle l’employa avec M. de Vauban . De là elle l’envoya faire la campagne sur l’armée navale, espèce d’amphibie guerrier qui partageait sa vie et ses fonctions entre l’un et l’autre élément.
Il vint à Brest, où il voulut user de ses droits et enseigner aux officiers ses nouvelles pratiques. Ils se crurent déshonorés s’ils se laissaient envoyer à l’école, et résolurent unanimement d’écrire à la cour pour faire leurs remontrances. Deux d’entre eux et d’ailleurs fort amis de M. Renau le chevalier des Adrets et le comte de Saint-Pierre aujourd’hui premier écuyer de madame la duchesse d’Orléans, quoiqu’ils ne fussent pas au fond plus coupables que tous les autres, en furent distingués par de très légères circonstances qui leur étaient particulières, et elles leur attirèrent une punition qui ne pouvait pas tomber sur tous. Ils furent un an prisonniers au château de Brest, et ensuite cassés. M. Renau se jeta aux pieds du roi pour obtenir leur grâce, qui lui fut refusée. Il eût pu agir par politique; et quoique cette espèce de politique soit assez rare, et qu’elle ait quelque air de vertu, son caractère prouve assez qu’il agissait par un principe infiniment plus noble. Il leur rendit dans la suite tous les services dont il put trouver l’occasion et eux de leur côté, ils eurent la générosité de les recevoir. L’ancienne amitié ne fut point altérée. Il est vrai qu’il ne fallait que de l’équité de part et d’autre mais la pratique de l’équité est si opposée à la nature humaine, qu’elle fait les plus grands héros en morale.
Au siège de Namur, que le roi fit en personne, il servit encore sous M. de Vauban . Le roi lui parlait plus sur [p. 111] le siége qu’à de Vauban même, qui était trop occupé et cet avantage qui fait la souveraine félicité des courtisans, flatte toujours beaucoup les gens les plus raisonnables. De Namur, il courut sauver Saint-Malo, et 30 vaisseaux qui s’y étaient retirés après le combat de la Hougue si glorieux et si malheureux tout ensemble pour la nation. Les ordres qu’il mit partout avec une prudence et une promptitude égale, rompirent l’entreprise des ennemis, très bien concertée et prèle éclater.
En 1693, le projet de la campagne navale, dressé par les officiers généraux et, après bien des délibérations, approuvé par le roi même, fut communiqué par son ordre à M. Renau qui eut la hardiesse de lui refuser nettement son suffrage, et d’en présenter un autre à la place. Il est vrai qu’il se fit soutenir par M. de Vauban , qui entra pleinement dans sa pensée mais en l’état où étaient les choses, le secours M. de Vauban lui-même était faible. Comment revenir contre ce qui a été décidé si mûrement ? N’y aura-t-il donc jamais rien d’arrêté ? Un homme ou deux sont-ils seuls infaillibles ? Cependant il fallut céder aux raisons de M. Renau , et à la vigueur dont ils les employait ; sans quoi peut-être elles n’eussent pas opéré de miracle. Ce changement prévint tous les mauvais événements qu’on aurait eus à craindre et valut à de Tourville la défaite du convoi de Smyrne, et la prise d’une partie des vaisseaux. Le roi fut payé du courage qu’il avait eu de se rétracter, et marqua à l’auteur de sa rétractation combien il en était satisfait.
M. Renau avait fait construire à Brest un vaisseau de 54 canons, parfaitement selon ses vues, et il voulait l’éprouver contre les meilleurs voiliers anglais. La fortune le servit à souhait. Il fut averti que deux vaisseaux anglais revenaient des Indes orientales, richement chargés. Il en aperçut un à qui il donna la chasse, et qu’il joignit en trois heures de temps, parce que son vaisseau se trouva en effet [p. 112] excellent de voile. L’anglais, qui était de 76 pièces de canon, et avait toute sa batterie basse de 24 livres de balle, au lieu que M. Renau n’avait que quelques canons de 18, mit en usage toute la science de la mer, et toute la valeur possible, animé par les trésors qu’il avait à conserver cependant, au bout de trois heures de combat, M. Renau le prit à la vue de trois gardes-côtes qui n’étaient qu’à trois lieues sous le vent. Il eut plus de cent hommes tués sur le pont, au nombre desquels fut le frère de M. Cassini et cent cinquante hommes hors de combat. Le vaisseau ennemi, criblé de coups ne put être sauvé et coula bas le lendemain. Le capitaine mit 9 paquets de diamants cachetés entre les mains de M. Renau qui lui dit qu’il ne les prenait que pour les lui garder; mais le capitaine ayant ajouté qu’un bombardier, qu’il désigna par un coup de sabre reçu au visage dans le combat, lui avait arraché un autre paquet qui valait plus de 40 000 pistoles. M. Renau lui demanda si ceux qu’il lui avait remis valaient autant ; et sur ce qu’il apprit qu’il n’y en avait pas un qui ne valut davantage, il retira sa valeur de les lui rendre, et en fit faire un procès-verbal en présence de ses officiers. Le paquet volé par le bombardier se retrouva, mais décacheté. Il en laissa à ses officiers un autre qui était tombé entre leurs mains.
Par l’usage établi alors dans la marine, les diamants appartenaient à M. Renau ; mais la grandeur de la somme qui le devait faire insister sur son droit, le lui fit abandonner. Il les porta au roi, qui, en jugeant la question contre lui-même, les accepta, et lui donna 9 000 livres de rente sur la ville, non comme un équivalent d’un présent de plus de quatre millions, mais comme une légère gratification que la difficulté des temps excusait. Il demanda pour véritable récompense, et obtint l’avancement de ses officiers, et de plus la confirmation du don qu’il leur avait fait du paquet de diamants.
[p. 113] Il s’était trouvé sur le vaisseau anglais une dame, nièce de l’archevêque de Cantorbery avec une femme de chambre et une petite Indienne. Comme elle avait tout perdu par le pillage du vaisseau M. Renau se crut obligé de pourvoir à tous ses besoins, et même à ceux de sa condition, tant qu’elle fut prisonnière en France. Il en usa de même à l’égard du capitaine, et il lui en coûta plus de 20 000 livres pour les avoir pris.
Nous passons sous silence un grand dessein qu’il avait formé sur l’Amérique où il alla, et d’où la peste le fit revenir en 1697 ; et un second voyage qu’il y fit après la paix de Ryswick pour y mettre nos colonies en sûreté. Tout changea de face, bientôt après par la mort de Charles II, roi d’Espagne . Le nouveau roi, Philippe V , ne fut pas plutôt à Madrid, qu’il demanda M. Renau au roi, son grand-père, qui le lui envoya en diligence. Il ne devait être en Espagne que 4 ou 5 mois.
Son principal objet était de mettre en état de sûreté les plus importantes places, comme Cadix. Depuis longtemps cette puissance n’avait eu rien à craindre dans l’Espagne même, hormis du côté de la Catalogne et cette longue sécurité le mauvais ordre des finances, et la négligence invétérée du gouvernement, avaient presque anéanti les fortifications les plus indispensables. On disait bien que l’on était résolu de remédier à tout : on montrait de grands projets bien disposés sur le papier mais au moment de l’exécution les fonds et les magasins promis manquaient absolument. M. Renau , après y avoir été trompé une fois ou deux, apprit nettement au roi ais inutilement, selon la coutume, d’où venait un si prodigieux mécompte. Sa sincérité n’épargna rien, quoique son silence seul eût pu lui faire une fortune.
En 1702, les galions d’Espagne revenus d’Amérique, étant dans le port de Vigo en Galice, escortés par une flotte française Renau cria que les deux flottes étaient [p. 114] perdues, si elles ne sortaient incessamment. Le conseil d’Espagne opposait quelques raisons à cet avis, du moins des raisons qui allaient à différer, et il était rassuré par les généraux des deux flottes, qui ignoraient leur péril. De plus, ils se mirent bientôt eux-mêmes hors d’état de sortir. M. Renau obtint tout au moins, mais avec des peines qu’on ne se donne point pour les affaires publiques dont on n’est pas chargé, que l’on transporterait à terre trente millions d’écus que les galions apportaient. Il y vola, et mit une vivacité d’exécution que l’on n’avait point vue en Espagne de temps immémorial. Il fit marcher 3 ou 400 chariots de toute la Galice, et 18 millions étaient déjà déchargés quand les ennemis parurent devant Vigo. Heureusement ils donnèrent encore un demi-jour à M. Renau , qui s’en servit à leur enlever les 12 millions restants. Quand ils furent maîtres de Vigo, et débarqués, ils voulurent marcher à l’argent qui fuyait dans les terres ; mais M. Renau les contint avec trois cents chevaux seuls qu’il avait; car toutes les milices avaient fui au premier coup de canon. Il couvrit les chariots, dont le dernier n’était pas’ à deux lieues, et sauva près de cent millions à l’Espagne, moins glorieux de les avoir sauvés qu’afflige d’avoir pu sauver la flotte, et d’en avoir été empêché.
Le siège de Gibraltar, qu’il fit en 1704, mériterait une histoire particulière. Tous les événements heureux qui avaient justifié ses entreprises, ne suffisaient qu’à peine pour le mettre en droit d’en proposer une si hardie. Il promettait, par exemple, qu’une tranchée passerait en sûreté au pied d’une montagne d’où l’on était vu de la tête jusqu’au pieds, et d’où 8 pièces de canon et une grosse mousqueterie plongeait de tous côtés il promettait que 7 canons en feraient taire 40 il fut cru et remplit toutes ses promesses. La ville allait se rendre mais l’arrivée d’une puissante flotte anglaise fit lever le siège. Quant à ce qui [p. 115] regardait M. Renau , Gibraltar, qu’on avait cru imprenable, était pris.
Le siège de Barcelone, où il ne se trouva pas, lui fit encore un honneur plus singulier. Il était destiné à y suivre le roi d’Espagne et en effet il l’accompagna assez loin mais des cabales de cour l’arrachèrent de là. On prenait pour prétexte qu’il était nécessaire à Cadix ; car on ne lui pouvait nuire que sous des prétextes honorables. Il était fort naturel qu’en quittant la partie, il souhaitât qu’on s’aperçut de son absence devant Barcelone mais au contraire il fit tout ce qu’il put pour n’y être par regretté il laissa au roi en présence de ses principaux ministres, les vues particulières qu’il avait pour la conduite de ce siège, et qu’il croyait indispensables. Cependant c’était là peut-être une vengeance qu’il prenait de ses ennemis ; il tâchait d’assurer le bien des affaires qu’ils traversaient.
Il arriva à Cadix, où, selon les magnifiques promesses de ceux qui l’y faisaient envoyer, il devait trouver 200 mille écus de fonds pour les fortifications. Il n’y trouva pas un sol et il eut recours à un expédient qu’il avait déjà pratiqué en d’autres occasions pareilles il s’obligea en son nom à des négociants pour les affaires publiques, et les soutint tant qu’il eut du bien et du crédit. On peut croire que les ministres même qui le desservaient, le connaissaient assez bien pour compter sur cette générosité comme sur un secours qui ne leur coûterait rien. Quand il eut achevé de s’épuiser, il fut réduit, après cinq ans de séjour et de travaux continuels en Espagne, à demander son congé, faute d’y pouvoir subsister plus longtemps. Il vendit tout ce qu’il avait pour faire son voyage et arriva en France à Saint Jean Pied de Port avec une seule pistole de reste retour dont la misère doit donner de la jalousie à toutes les âmes bien faites.
Il avait trouvé en Espagne un gentilhomme du nom [p. 116] d’Elisagaray, qui lui apprit qu’il était son parent, et lui communiqua des titres de familles, dont il n’avait jamais eu nulle connaissance. La maison d’Elisagaray était ancienne dans la Navarre et il y a apparence que quand Jean d’Albret, roi de Navarre se retira en Béarn, après la perte de son royaume, quelqu’un de cette maison l’y suivit ; et de là était descendu M. Renau . Toutes ses actions lui avaient rendu cette généalogie assez inutile.
Il rapportait aussi d’Espagne le titre de lieutenant général des armées du roi catholique, qu’il aurait eu plus tôt, si on n’eût pas imposé à S[a] M[ajesté]. Malgré les états de la guerre qui faisaient foi du temps où il avait été maréchal de camp en Espagne, on l’avait fait passer pour moins ancien qu’il n’était, tant on est hardi dans les cours; il est vrai que ces hardiesses y sont d’ordinaire impunies et heureuses. Le feu roi lui avait promis que ses services d’Espagne lui seraient comptés comme rendus en France.
Il se trouva donc ici accablé de dettes, dans un temps qui ne lui permettait presque pas de rien demander de plusieurs années de ses appointements qui lui étaient dus, sans aucun avancement ni aucune grâce de la cour, seulement avec une belle et inutile réputation. Il ramassa comme il put les débris de sa fortune et enfin la paix vint.
Dès qu’il eut quelque tranquillité, il reprit la question si longtemps interrompue, de la route du vaisseau. M. Huygens était mort ; mais un autre grand adversaire lui avait succédé, M. Bernoulli , qui, mieux instruit par la lecture du livre de la manœuvre, avait changé de sentiment, et en était d’autant plus redoutable. De plus il soutenait la cause commune de tous les mécaniciens dont tous les ouvrages périssaient par le fondement si M. Renau avait raison. Il faisait même sur la théorie de la manœuvre une seconde difficulté, que Huygens n’avait pas aperçue, [p. 117] mais on ne traita que de la première. M. Renau , accoutumé à des succès qu’il devait à l’opiniâtreté de son courage, ne le sentit point ébranlé dans cette occasion, aussi terrible en son espèce que toutes celles où il s’était jamais exposé ; il avait peut-être encore sa petite troupe, mais mal assurée et qui ne levait pas trop la tète. La contestation où il s’engagea par lettres en 1713 avec M. Bernoulli fut digne de tous deux, et par la force des raisons, et par la politesse dont ils les assaisonnèrent. Ceux qui jugeront contre M. Renau , ne laisseront pas d’être surpris des ressources qu’il trouva dans son génie il paraît que M. Bernoulli lui-même se savait bon gré de se bien démêler des difficultés où il le jetait. Enfin, celui-ci voulut terminer tout par son traité de la manœuvre des vaisseaux qu’il publia en 1714, et dont nous avons rendu compte dans l’histoire de cette année 1 . La théorie de M. Bernoulli était beaucoup plus compliquée que celle de M. Renau , mais beaucoup moins que le vrai, qui, pris dans toute son étendue, échapperait aux plus grands géomètres. Ils sont réduits à l’altérer, et à le falsifier pour le mettre à leur portée. Après l’impression de cet ouvrage, M. Renau ne se tint point encore pour vaincu, et s’il avait cru l’être, il n’aurait pas manqué la gloire de l’avouer.
Pendant le séjour d’Espagne, il avait perdu le fil du service de France, et une certaine habitude de traiter avec les ministres et avec le roi même, infiniment précieuse aux courtisans. On devient aisément inconnu à la cour. Cependant il se flattait toujours de la bonté du roi, et l’état de sa fortune le forçait à faire auprès de S[a] M[ajesté] une démarche très pénible pour lui ; il fallait qu’il lui demandât une audience pour lui représenter ses services passés et la situation où il se trouvait. Heureusement il en fut dispensé par un événement singulier. Malte se crut menacée par les Turcs, et le grand-maître fit demander au roi, par son ambassadeur, M. Renau , pour être le défenseur [p. 118] de son île. Le roi l’accorda au grand-maître et M. Renau , en prenant congé de S[a] M[ajesté], eut le plaisir de ne lui point parler de ses affaires, et de s’assurer seulement d’une audience à son retour.
L’alarme de Malte était fausse, et le roi mourut. M. Renau , qui avait l’honneur d’être connu de tout temps, et fort estimé du duc d’Orléans, régent, et qui même avait servi sous lui en Espagne, n’eut plus besoin de solliciter des audiences. Il fut fait conseiller du conseil de marine, et grand croix de l’Ordre de Saint-Louis.
S[on] A[altesse] R[oyale] ayant formé le dessein de faire dans le royaume quelques essais d’une taille proportionnelle, ou dime qu’avait proposée feu de M. Vauban , et qui devait remédier aux anciens et intolérables abus de la taille arbitraire, M. Renau accepta avec joie la commission d’aller avec le comte de Châteauthiers travailler à un de ces essais dans l’élection de Niort. Rien ne touchait tant son cœur que le bien public, et il était citoyen, comme si la mode ou les récompenses eussent invité à l’être. De plus, il ne croyait pas pouvoir l’être mieux qu’en suivant les pas de M. Vauban , et eu exécutant un projet qui avait pour garant le nom de ce grand homme. Tout le zèle de M. Renau pour la patrie fut donc employé à l’ouvrage dont il était chargé ; et ceux qui à cette occasion se sont le plus élevés contre lui, n’ont pu l’accuser que d’erreur, accusation toujours douteuse par elle-même, et du moins fort légère par rapport à la nature humaine. C’est un homme rare que celui qui ne peut faire pis que de se tromper.
Il était sujet depuis un temps à une rétention d’urine, pour laquelle il alla aux eaux de Pougues au mois de septembre 1719. Dès qu’il en eut pris, ce qu’il fit avec peu de préparation la fièvre survint, la rétention augmenta, et il s’y joignit un gonflement de ventre pareil à [p. 119] celui d’une hydropisie tympanite. Il fit presque par honnêteté pour ses médecins, et par manière d’acquit, les remèdes usités en pareil cas mais il fit avec une extrême confiance un remède qu’il avait appris du P. Malebranche , et dont il prétendait n’avoir que des expériences heureuses, soit sur lui, soit sur d’autres c’était de prendre une grande quantité d’eau de rivière assez chaude. Les médecins de Pougues étaient surpris de cette nouvelle médecine, et il était lui-même surpris qu’elle leur fût inconnue. Il leur en expliquait l’excellence par des raisonnements physiques, qu’ils n’avaient pas coutume d’entendre faire à leurs malades ; et par respect, soit pour les autorités qu’il citait, soit pour la sienne, ils ne pouvaient s’empêcher de lui passer quelques pintes d’eau mais il allait beaucoup au-delà des permissions, et contrevenait même aux défenses les plus expresses. Enfin ils prétendent absolument qu’il il se noya. Il mourut le 30 septembre 1719, sans douleur, et sans avoir perdu l’usage de la raison.
La mort de cet homme qui avait passé une assez longue vie à la guerre, dans les cours, dans le tumulte du monde, fut celle d’un religieux de la Trappe. Persuadé de la religion par sa philosophie, et incapable par son caractère d’être faiblement persuadé il regardait son corps comme un voile qui lui cachait la vérité éternelle, et il avait une impatience de philosophe et de chrétien, que ce voile importun lui fût ôté. Quelle différence, disait-il, d’un moment au moment suivant ! je vais passer tout à coup des plus proofondes ténèbres à une lumière parfaite.
Il avait été choisi pour être honoraire de cette Académie, dès qu’il y en avait eu, c’est-à-dire en 1699. La nature presque seule l’avait fait géomètre. Les livres du Père Malebranche dont il était plein lui inspirèrent assez le mépris de l’érudition, et d’ailleurs il n’avait pas eu le loisir d’en acquérir. Il sauvait son ignorance par un aveu li [p. 120] bre et ingénu, qui, pour dire le vrai, ne devait pas coûter beaucoup à un homme plein de talons. Il ne démordait guère ni de ses entreprises, ni de ses opinions, ce qui assurait davantage le succès de ses entreprises, et donnait moins de crédit à ses opinions. Du reste, la valeur, la probité, le désintéressement, l’envie d’être utile, soit au publie, soit aux particuliers, tout cela était chez-lui au plus haut point. Une piété toujours égale avait régné d’un bout de sa vie à l’autre, et sa jeunesse aussi peu licencieuse que l’âge plus avancé n’avait pas été occupée des plaisirs qu’on lui aurait le plus aisément pardonnés.
1 P. 107 et suiv.