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Éloge de Monsieur Jean-Baptiste Deschiens de Ressons

Éloge de M. de Ressons

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Jean-Baptiste Deschiens de Ressons naquit à Chalons en Champagne le 24 juin 1660, de Pierre Deschiens secrétaire du roi, et de Marie Mauriset, son père, qui était fort riche, le destina aux emplois qui du moins conservent la richesse, mais la nature le destinait à un autre où le patrimoine est fort exposé, sans compter la vie. A 17 ans il se déroba de la maison paternelle pour entrer dans les mousquetaires noirs, il en fut tiré par force, et ne demeura chez son père qu’autant de temps qu’il fui fallut pour ménager une seconde évasion. Il se jeta dans le régiment de Champagne, où il eut bientôt une lieutenance, et d’où il fut encore arraché. Enfin pour finir ce combat perpétuel entre sa famille et lui, en la mettant plus hors de portée de le poursuivre, il alla à Toulon, et y fut reçu dans la marine en 1683 volontaire à brevet.

Cette inclination invincible pour la guerre promettait beaucoup, et elle tint tout ce qu’elle promettait, une valeur signalée, de l’ardeur à rechercher les occasions, de l’amour pour les périls honorables. Il servit avec éclat dans les bombardements de Nice, Alger, Gennes, Tripoli, Roses, Palamos, Barcelone, Alicante. Dès l’an 1693, 10 ans après son entrée dans la marine, il était parvenu à être capitaine de vaisseau, élévation rapide, où la faveur et l’intrigue n’eurent cependant aucune part.

Il y a une infinité de gens de guerre, qui sont des héros dans l’action, et hors de là ne sont guère de réflexions sur leur métier. En général le nombre des hommes qui pensent est petit, et l’on pourrait dire que tout le genre humain [p. 106] ressemble au corps humain où le cerveau, et apparemment une très petite partie du cerveau, est tout ce qui pense, tandis que toutes les autres parties, beaucoup plus considérables par leur masse, sont privées de cette noble fonction, et n’agissent qu’aveuglément. M. de Ressons s’était particulièrement adonné à l’artillerie, il ne se contenta pas d’en pratiquer les règles dans toute leur exactitude, il en voulut approfondir les principes, et examiner de plus près tous les détails, et quand un bon esprit prend cette route en quelque genre que ce soit, il est étonné lui-même de voir combien on a hissé encore à faire à ses recherches et à son industrie. Dans l’art de tirer les bombes, dont tant d’habiles gens se sont mêlés, M. de Ressons compta jusqu’à vingt-cinq défauts de pratique qu’il corrigea avec succès en différentes rencontres 1 .

M. le duc du Maine , grand maître de l’artillerie, voulut avoir dans ce corps qu’il commande un homme qui y convenait si bien. Il le détermina à quitter le service de mer pour celui de terre sur la fin de 1704, et fit créer en sa faveur une dixième charge de lieutenant général d’artillerie sur terre. À tout ce qui l’animait auparavant il se joignit ce choix si flatteur et les bontés d’un si grand prince. Ainsi nous supprimons tout le détail de sa vie militaire pendant la guerre de de la succession d’Espagne, il ne pouvait ni manquer d’occasions, ni leur manquer.

Dans les temps de paix, cet homme qui n’avait respiré que bombardements, qui ne s’était occupé qu’à faire forger ou à lancer des foudres, faisait ses délices de la culture d’un on assez beau jardin qu’il s’était donné. Il avait assurément fait plus de ravages que ces premiers consuls ou dictateurs romains, plus célèbres par leur retour aux fonctions du labourage après leurs triomphes que par leurs triomphes mêmes. Ces sortes de plaisirs si simples et si peu apprêtés, qu’on ne goûte que dans la solitude, ne peuvent guère être que ceux d’une âme tranquille, et qui ne craint point de se voir et de [p. 107] se reconnaître. Il faut être bien avec ceux avec qui l’on vit, et bien avec foi quand on vit avec foi.

M. de Ressons porta dans son jardin le même esprit d’observation et de recherche, dont il avait fait tant d’usage dans l’artillerie, et quand il fut entré en 1716 dans l’Académie en qualité d’associé libre, tantôt il nous donna ce que nous avons déjà rapporté sur les bombes, ou de nouvelles manières d’éprouver la poudre 2 , tantôt de nouvelles pratiques d’agriculture, comme celle de garantir les arbres de leur lèpre, ou de la mousse 3 , alternativement guerrier et laboureur, ou jardinier, toujours citoyen.

Il avait des idées particulières sur le salpêtre. Il en tirait de certaines plantes, et prétendait faire une composition meilleure que la commune, et à meilleur marché. On dit que le prince régent, dont le suffrage ne sera ici compté, si l’on veut, que pour celui d’un habile chimiste, avait assez approuvé ses vues, l’Académie accoutumée aux discussions rigoureuses, lui fit des objections qu’elle savait bien mettre dans toute leur force ; il les essuya avec une douceur qui aurait pu servir d’exemple à ceux qui ne font que gens de lettres, mais il cessa de s’exposer à des espèces de combats auxquels il n’était pas assez exercé. Il a laissé un ouvrage considérable manuscrit sur le salpêtre et la poudre.

Dans les dernières années de sa vie, il tomba dans un grand affaiblissement, qui ne fut pourtant pendant un temps assez long que celui de ses jambes, dont il ne pouvait plus se servir ; tout le reste était sain. Il n’avait point attendu l’âge ou les infirmités pour se tourner du côté de la religion, il en était bien pénétré, et je sais de lui-même qu’il avait écrit sur ce sujet. Je ne doute pas que la vive persuasion et le zèle ne fussent ce qui dominait dans cet ouvrage, mais si la religion pouvait se glorifier de ce que les hommes font pour elle, peut-être tirerait-elle autant de gloire des faibles efforts d’un homme de guerre en sa faveur, que des plus savantes productions d’un théologien. Il mourut le 31 janvier 1735, [p. 108] âgé de 75 ans, ayant fait tout ce chemin qu’un bon officier devait faire par de longs services, seulement peut-être un meilleur courtisan aurait-il été plus loin.

Son caractère était assez bien peint dans son extérieur, cet air de guerre, hautain et hardi, qui se prend si aisément, et qu’on trouve qui sied si bien, était surmonté ou même effacé par la douceur naturelle de son âme, elle se marquait dans ses manières, dans ses discours ; et jusque dans son ton. À peine toute sa bienséance d’un état absolument différent du sien aurait-elle demandé rien de plus.

Il avait épousé Anne Catherine Berrier, fille de Jean-Baptiste Berrier de la Ferriére, doyen des doyens des maîtres de requêtes, et de Marie Potier de Novion. Il en a eu deux enfants.

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1 V. les M. de 1716, p.19 et suiv.

2 V. l’Hist. de 1720, p.112.

3 V. l’Hist. de 1716, p.31.