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Charles Reyneau naquit à Brissac, diocèse d’Angers en 1656, de Charles Reyneau , maître chirurgien, et de Jeanne Chauveau. Il entra dans l’Oratoire à Paris, âgé de 20 ans, car nous ne savons rien de tout le temps qui a précédé ; mais il est presque absolument impossible de se tromper en jugeant de ce premier temps inconnu par tout le reste de sa vie. Des inclinations d’une certaine force, toutes parfaitement d’accord entre elles, vivement marquées dans toutes les actions d’un grand nombre d’années exemptes de tout mélange qui les altérât, ont dû être non-seulement toujours dominantes, mais toujours les seules ; et ces inclinations étaient en lui l’amour de l’étude et une extrême piété.
Ses supérieurs l’envoyèrent professer la philosophie à Toulon, ensuite à Pézenas. C’était entièrement la philosophie nouvelle ; ce que les plus attachés à l’ancienne scolastique tâchent encore d’en conserver, tient de jour en jour moins de place chez eux-mêmes.
Le P. Reyneau ne pouvait être cartésien ou, si l’on veut, philosophe moderne, sans être un peu géomètre, mais on le détermina encore plus puissamment de ce côté-là en lui donnant les mathématiques à professer à Angers en 1683.
Tous les motifs imaginables se réunissaient à l’animer dans cette fonction ; son goût pour ces sciences, le plaisir naturel à tout homme de répandre et de communiquer son goût, le désir d’être utile aux autres, si puissant sur un cœur bien fait, celui de bien remplir un devoir que lui avait imposé la [p. 113] religion par la bouche de ses supérieurs, peut-être même l’amour de la gloire, pourvu qu’il ne s’en aperçût pas. Il se rendit familier tout ce que la géométrie moderne, si féconde et déjà si immense, a produit de découvertes ingénieuses et de hautes spéculations. Il fit plus ; il entreprit pour l’usage de ses disciples de mettre en un même corps les principales théories répandues dans Descartes , dans Leibniz , dans Newton , dans les Bernoulli, dans les actes de Leipzig, dans les mémoires de l’Académie, en un grand nombre de lieux peut-être moins connus ; trésors trop dispersés, et qui par là sont moins utiles. De là est né le livre de l’ Analyse démontrée qu’il publia en 1708 après avoir professé 22 ans à Angers.
On ne pourrait pas fondre ensemble tous les historiens, ou tous les chronologistes ou même tous les physiciens, ils sont trop contraires, trop hétérogènes les uns aux autres ; ce sont des métaux qui ne s’allient point : mais tous les géomètres sont homogènes, et leurs idées ne peuvent refuser de s’unir. Cependant on ne doit pas penser que l’union en soit aisée. Les géomètres inventeurs ne sont arrivés de toutes parts qu’à des vérités ; mais à une infinité de vérités différentes, parties de différentes sources, qui ont tenu des cours différents et il s’agit de les rassembler, en leur donnant à toutes des sources communes, et, pour ainsi dire, un même lit, où elles puissent toutes également couler. Quand elles sont amenées à ce nouvel état, le public destiné à en profiter, en profite davantage et s’il doit plus d’admiration au premier travail, à celui des inventeurs, il doit plus de reconnaissance au second. Il a été plus particulièrement l’objet de l’un que de l’autre.
L’analyse du P. Reyneau porte le titre de Démontrée parce qu’il y démontre plusieurs méthodes qui ne l’avaient pas été par leurs auteurs, ou du moins pas assez clairement ou assez exactement ; car il arrive quelquefois en ces matières qu’on est bien sûr de ce qu’on ne pourrait pourtant pas démontrer à la rigueur, et plus souvent qu’on se réserve des secrets, et [p. 114] qu’on se fait une gloire d’embarrasser ceux qu’il ne faudrait qu’instruire.
Quoique le succès des meilleurs livres de mathématiques soit fort tardif, par le petit nombre de lecteurs, et par la lenteur extrême dont les suffrages viennent les uns après les autres on a rendu une assez prompte justice à l’ Analyse démontrée parce que tous ceux qui l’ont prise pour guide dans la géométrie moderne, ont senti qu’ils étaient bien conduits aussi est-il établi présentement, du moins en France, qu’il faut commencer par là, et marcher par ces routes, quand on veut aller loin et le P. Reyneau est devenu le premier maître, l’ Euclide de la haute géométrie.
Après avoir donné des leçons à ceux qui étaient déjà géomètres jusqu’à un certain point, il voulut en donner aussi à ceux qui ne l’étaient encore aucunement. Il s’abaissait en quelque sorte ; mais ce qui le dédommageait bien, il se rendait plus généralement utile. Il fit paraître en 1714 sa Science du calcul . Le censeur royal, juge excellent et reconnu pour très incorruptible, dit dans l’approbation de cet ouvrage que, quoiqu’il y en ait déjà plusieurs sur ces matières on avait besoin de celui-là où tout est traité avec toute l’étendue nécessaire, et avec toute l’exactitude et toute la clarté possible. En effet, dans toutes les parties de mathématiques il y a beaucoup de bons livres qui en traitent à fond, et on se plaint que l’on n’a pas de bons éléments, même pour la simple géométrie. Cela ne viendrait-il point de ce que, pour faire de bons éléments, il faudrait savoir beaucoup plus que le livre ne contiendra ? Ceux qui ne savent guère que ce qu’il doit contenir, se pressent de faire des éléments mais ils ne savent pas assez. Ceux qui savent assez dédaignent de faire des éléments ; ils brilleront davantage dans d’autres entreprises. Le savoir et la modestie du P. Reyneau s’accordaient pour le rendre propre à ce travail. Il n’a paru encore que le premier volume in-4° de cette Science du calcul . On a trouvé dans ses papiers une grande partie de ce qui doit composer le second mais cela demande encore les soins d’un ami intelligent [p. 115] et zélé et cet ami sera le Père de Mazière, son confrère, déjà connu par un prix qu’il a remporté dans cette Académie.
Lorsque par le règlement de 1716 cette Compagnie eut de nouveaux membres sous le titre d’associés libres, le père Reyneau fut aussitôt de ce nombre. Nous pouvons nous faire honneur de son assiduité à nos assemblées il aimait la retraite, et par goût, et par principe de piété ; il lui était d’ailleurs survenu une assez grande difficulté d’entendre ; cependant il ne manquait guère de venir ici, et il fallait qu’il comptât bien d’en remporter toujours quelque chose qui le payât. On a pu remarquer qu’il était également curieux de toutes les différentes matières qui se traitent dans l’Académie, et qu’il leur donnait également une attention qui lui coûtait.
Il fut obligé dans ses dernières années de se ménager sur le travail et enfin après s’être toujours affaibli pendant quelque temps, il mourut le 24 février 1728.
Sa vie a été la plus simple et la plus uniforme qu’il il soit possible l’étude, la prière, deux ouvrages de mathématiques en sont tous les événements. Il fallait qu’il fût beaucoup plus que modeste pour dire comme il a fait quelquefois qu’on avait bien de la patience de le souffrir dans l’Oratoire ; et qu’apparemment c’était en considération d’un frère qu’il a dans la même congrégation, et qui s’est acquitté avec succès de différents emplois ; discours qui ne pouvait être que sincère dans la bouche d’un homme trop éclairé pour croire que l’humilité chrétienne consistât en des paroles. Jamais personne n’a plus craint que lui d’incommoder les autres et, près de mourir, il refusait les soins d’un petit domestique, qu’il aurait peut-être gêné. Il se tenait fort à l’écart de toute affaire, encore plus de toute intrigue et il comptait pour beaucoup cet avantage si peu recherché, de n’être de rien. Seulement il se mêlait d’encourager au travail, et de conduire, quand il le fallait, de jeunes gens à qui il trouvait du talent pour les mathématiques ; et il ne recevait guère de visites que de ceux avec qui il ne perdait pas son temps [p. 116] parce qu’ils avaient besoin de lui. Aussi avait-il peu de liaisons, peu de commerce. Ses principaux amis ont été le P. Malebranche dont il adoptait tous les principes, et M. le chancelier. Nous ne craignons point de mettre ces deux noms au même rang : la première dignité du royaume est si peu nécessaire au chancelier pour l’illustrer qu’on peut ne le traiter que de grand homme.