Vous êtes sur le serveur BaseX expérimental de l‘IHRIM. Navigateurs supportés : versions récentes de Chrome, Firefox.
Fac-similés Réduire la fenêtre Zoomer dans le fac-similé Dézoomer dans le fac-similé Détacher la fenêtre

Affichage des fac-similés à venir

Éloge de Monsieur Frédéric Ruysch

Éloge de M. Ruysch

[p. 100]

Frédéric Ruysch naquit à la Haye le 23 mars 1638, d’Henry Ruysch, secrétaire des états-généraux, et d’Anne Van Berghem. La famille des Ruysch était d’Amsterdam, où depuis 1365, elle avait continuellement occupé les premières magistratures jusqu’en 1576, que la guerre contre l’Espagne apporta du changement à sa fortune.

M. Ruysch se destina à la médecine, et il commença par s’appliquer à la matière médicinale aux plantes, aux animaux ou parties d’animaux, aux minéraux qui y appartiennent aux opérations de chimie, aux dissections anatomiques et de tout cela il se fit de bonne heure un cabinet déjà digne des regards et de l’attention des connaisseurs. Il était tout entier à ce qu’il avait entrepris ; peu de sommeil avec beaucoup de santé ; point de ces amusements inutiles qui passent pour des délassements nécessaires ; nul autre plaisir que son travail et quand il se maria en 1661 ce fut en grande partie pour être entièrement soulagé des soins domestiques ce qui lui réussit assez aisément dans le pays où il vivait.

En ce temps là, vint à Leyde un anatomiste assez fameux, nommé Bilsius , que le roi d’Espagne avait envoyé professer à Louvain. Ce docteur traitait avec très peu de considération ceux qui avaient jusque-là le plus brillé dans cette scien [p. 101] ce, et préférait de beaucoup et hautement ses découvertes aux leurs, principalement sur ce qui regarde le mouvement de la bile, de la lymphe, du chyle, de la graisse. Mrs de le Boé ou Sylvius et Van Horne , professeurs à Leyde, qui auraient voulu réprimer la vanité de cet étranger, crurent ne le pouvoir sans le secours du jeune Ruysch , qui avait donné plus de temps qu’eux à des dissections fines et délicates. M. de la Haye, où il demeurait, il venait à Leyde leur apporter ses préparations, et leur mettre en main de quoi étonner Bilsius , et il retournait bien vite à la Haye pour travailler à de nouvelles préparations destinées au même usage.

Après avoir fourni en secret des armes contre Bilsius , il vint enfin à se battre avec lui à visage découvert car ceux qu’il avait aidés n’avaient pas prétendu le tenir toujours caché. Il avait dit que la résistance qu’il sentait en soufflant les vaisseaux lymphatiques d’un certain sens, lui faisait croire qu’il s’y trouvait des valvules, qu’il n’avait pourtant pas encore vues, et il n’était pas le seul qui eut eu cette pensée. Bilsius nia ces valvules avec la dernière assurance, et même avec mépris pour ceux qui les jugeaient seulement possibles. M. Ruysch fit si bien par son adresse singulière, qu’il les découvrit, et au nombre de plus de deux mille, et les démontra à la grande satisfaction de ceux qui étaient bien aises de voir confondre des décisions téméraires et superbes. L’adversaire qui, se tenant bien sûr qu’il ne verrait pas, avait promis de se rendre s’il voyait, fit effectivement tout son possible pour ne pas voir ; et quand il y fut forcé, il se sauva par un endroit qu’on n’avait pas prévu, il dit qu’il connaissait bien ces valvules, mais qu’il n’avait pas jugé à propos de le déclarer. M. Ruysch , dans un très petit volume qu’il donna en 1665 et qui est le premier des siens, a fait l’histoire détaillée de cette contestation où le vaincu qui pouvait l’être sans honte et même avec honneur, trouva moyen de l’être honteusement.

M. Ruysch fut dès l’an 1664 docteur en médecine dans l’université de Leyde ; et il eut presque aussitôt après une [p. 102] occasion qui n’était que trop décisive, de prouver combien il méritait cette dignité. La peste ravagea la Hollande, et il se dévoua aux pestiférés de la Haye, sa patrie ; début qui, quelque glorieux qu’il soit, ne sera pas envié.

Mais sa grande occupation, celle qui a rendu son nom si célèbre, a été de porter l’anatomie à une perfection jusque là inconnue. On s’était longtemps contenté des premiers instruments, qui s’étaient d’abord offerts comme d’eux-mêmes, et qui ne servaient guère qu’à séparer des parties solides dont on observait la structure particulière ou la disposition qu’elle savaient entre elles. Heynier Graaf, ami intime de M. Ruysch , fut le premier qui, pour voir le mouvement du sang dans les vaisseaux, et les routes qu’il suit pendant la vie, inventa une nouvelle espèce de seringue, par où il injectait dans les vaisseaux une matière colorée qui marquait tout le chemin qu’elle faisait, et par conséquent celui du sang. Cette nouveauté fut d’abord approuvée mais ensuite on l’abandonna, parce que la matière injectée s’échappait continuellement, et que l’injection devenait bientôt inutile.

Jean Swammerdam remédia au défaut de l’invention de Graaf. Il pensa très heureusement qu’il fallait prendre une matière chaude, qui en se refroidissant à mesure quelle coulait dans les vaisseaux, s’y épaissît de sorte qu’arrivée à leur extrémité elle cessât de couler ; ce qui demande, comme on voit, une grande précision, tant pour la nature particulière de la matière qu’on emploiera, que pour le juste degré de feu qu’il faudra lui donner, et le plus ou moins de force dont on la poussera. Par ce moyen, Swammerdam rendait visibles pour la première fois les artères et les veines capillaires de la face ; mais il ne suivit pas lui-même bien loin sa nouvelle invention. Une grande piété, qui vint à l’occuper entièrement, l’en empêcha, et ne le rendit pourtant pas assez indifférent sur son secret, pour en faire part à M. Ruysch son ami, qui était extrêmement curieux.

Il le chercha donc de son coté, et le trouva pour le moins, car il y a beaucoup d’apparence que ce qu’il trouva était [p. 103] encore plus parfait que ce qu’avait fait Swammerdam lui-même. Les parties étaient injectées de façon que les dernières ramifications des vaisseaux, plus fines que des fils d’araignées, devenaient visibles et, ce qui est encore plus étonnant, ne tétaient pas quelquefois sans microscope. Quelle devait être la matière assez déliée pour pénétrer dans de pareils canaux, et en même temps assez solide pour s’y durcir ? On voyait de petites parties qui ne s’aperçoivent ni dans le vivant, ni dans le mort tout frais.

Des cadavres d’enfants étaient injectés tout entiers ; l’opération n’eût guère été possible dans les autres. Cependant en 1666, il entreprit par ordre des états généraux le cadavre déjà fort gâté de Guillaume Bercley, vice-amiral anglais, tué à la bataille donnée le 11 juin, entre les flottes d’Angleterre et d’Hollande, et on le renvoya en Angleterre, traité comme aurait pu l’être le plus petit cadavre. Les états-généraux récompensèrent ce travail d’une manière digne d’eux, et du travail même.

Tout ce qui était injecté conservait sa consistance, sa mollesse, sa flexibilité, et même s’embellissait avec le temps, parce que la couleur en devenait plus vive jusqu’à un certain point.

Les cadavres, quoique avec tous leurs viscères, n’avaient point de mauvaise odeur ; au contraire, ils en prenaient une agréable, quand même ils eussent senti fort mauvais avant l’opération.

Tout se garantissait de la corruption par le secret de M. Ruysch . Une fort longue vie lui a procuré le plaisir de ne voir aucune de ses pièces se gâter par les ans, et de ne pouvoir fixer de terme à leur durée. Tous ces morts sans desséchement apparent, sans rides, avec un teint fleuri et des membres souples, étaient presque des ressuscités : ils ne paraissaient qu’endormis, tout prêts à parler quand ils se réveilleraient. Les momies de M. Ruysch prolongeaient en quelque sorte la vie, au lieu que celles de l’ancienne Egypte ne prolongeaient que la mort.

[p. 104] Quand ces prodiges commencèrent à faire du bruit, ils trouvèrent, selon une loi bien établie de tout temps, beaucoup d’incrédules ou de jaloux. Ils détruisaient par quantité de raisonnements les faits qu’on leur avançait quelques uns disaient en propres termes, qu’ils se laisseraient plutôt crever les yeux, que de croire de pareilles fables. A tous leurs discours, M. Ruysch répondit simplement venez, et voyez. Son cabinet était toujours prêt à leur parler, et à raisonner avec eux. Ces deux mots étaient devenus son refrain perpétuel, son cri de guerre. Un professeur de médecine lui écrivit bien gravement qu’il ferait mieux de renoncer à toutes ces nouveautés, et de s’attacher à l’ancienne doctrine si solidement établie, et qui renfermait tout. Comme le novateur ne se rendait point, le docteur redoubla ses lettres et il lui dit enfin que tout ce qu’il faisait dérogeait à la dignité de professeur. M. Ruysch répondit venez, et voyez.

Il a caché le nom de ce professeur si délicat sur cette dignité ; mais il n’a pas ménagé de même ceux de Mrs Rau et de Bidloo , célèbres tous les deux dans l’anatomie, et qui s’étaient hautement déclarés contre lui, Bidloo surtout. Celui-ci se vantait d’avoir, et même avant M. Ruysch , le secret de préparer et de conserver les cadavres ; et sur cela M. Ruysch lui demande pourquoi donc il n’a pas vu telles et telles choses, pourquoi il a gâté ses tables anatomiques par des fautes qu’il lui marque, etc. Jusque là tout est dans les règles et M. Ruysch paraît avoir tout l’avantage mais il faut avouer qu’il en perd une partie pour la forme, quand sur ce que Bidloo l’avait traité de boucher subtil, il répondit qu’il aimait mieux être Lanio subtilis que Leno famosus. Le jeu de mots latins peut l’avoir tenté ; mais c’était aller trop rudement aux mœurs de son adversaire, dont il ne s’agissait point. Il est vrai aussi qu’on ne sait quel nom donner à Bidloo lorsqu’il s’emporte jusqu’à appeler M. Ruysch le plus misérable des anatomistes. Sera-ce donc toujours un écueil pour la vertu des hommes, qu’un simple combat d’esprit ou de savoir ?

[p. 105] Après un premier feu, quelquefois cependant assez long, essuyé de la part de l’ignorance ou de l’envie, la vérité demeure ordinairement victorieuse. Comment eût-on fait pour ne pas sentir à la fin les avantages de l’invention de M. Ruysch  ? Les sujets nécessaires pour les dissections, et que la superstition populaire rend toujours très rares, périssaient en peu de jours entre les mains des anatomistes et lui il savait les rendre d’un usage éternel. L’anatomie ne portait plus avec elle ce dégoût et cette horreur, qui ne pouvaient être surmontés que par une extrême passion. On ne pouvait auparavant faire les démonstrations qu’en hiver, les étés les plus chauds y étaient devenus également propres, pourvu que les jours fussent également clairs. Enfin, l’anatomie, aussi bien que l’astronomie, était parvenue à offrir aux hommes des objets tout nouveaux, dont la vue leur paraissait interdite.

Et comme dans l’une et l’autre de ces sciences il est impossible de mieux voir sans découvrir, on ne sera pas surpris que M. Ruysch ait beaucoup découvert. Nous en renvoyons le détail à ses ouvrages : une artère bronchiale inconnue aux plus grands scrutateurs du poumon, le périoste des osselets de l’organe de l’ouïe qui paraissaient nus, les ligaments des articulations de ces osselets, la substance corticale du cerveau uniquement composée de vaisseaux infiniment ramifiés et non pas glanduleuse, comme on le croyait, plusieurs autres parties qui passaient pareillement pour glanduleuses, réduites à n’être que des tissus de vaisseaux, toujours simples dans chacune, et qui ne différaient que par leur longueur, leur diamètre les courbes décrites dans leur cours ; la distance de l’extrémité de ce cours à l’origine du mouvement de la liqueur ; différences d’où devaient naître les différentes secrétions ou filtrations, etc. Cependant il faut avouer, et il l’avouait sans peine, qu’il n’avait pas tout vu. Quelquefois il tombe dans des difficultés où il ne feint point d’avoir recours, soit à la volonté de Dieu, qui opère sans mécanisme, soit au dessein qu’il a eu [p. 106] de nous cacher le mécanisme. Un premier voile qui couvrait l’ Isis des Égyptiens, a été enlevé depuis un temps ; un second, si l’on veut, l’est aussi de nos jours ; un troisième ne le sera pas, s’il est le dernier.

M. Ruysch , outre les fonctions de médecin et de professeur en anatomie, avait encore été chargé par les bourgmestres d’Amsterdam, où était son domicile, de l’inspection de tous ceux qui avaient été tués ou blessés dans les querelles particulières, pour en faire son rapport aux juges. De plus, par des vues d’un bon gouvernement on avait créé pour lui une place de professeur ou maître des sages-femmes, qui souvent n’étaient pas assez instruites. Elles se hâtaient par exemple de tirer, et même avec violence, le placenta lorsqu’il tardait à venir ; et elles aimaient mieux le mettre en pièces, ce qui causait souvent la mort. Il leur apprit, quoiqu’avec peine, à l’attendre sans impatience, où à n’aider que doucement à sa sortie, parce qu’un muscle orbiculaire qu’il avait découvert au fond de la matrice le poussait naturellement en dehors, et pouvait même suffire pour le chasser entièrement.

Il est aisé de juger combien dans ses différentes fonctions il lui tombait entre les mains de faits remarquables, et avec quel soin s’en emparait un homme si curieux de ramasser, et si habile à conserver.

Enfin, il était professeur en botanique ; et l’on peut bien croire qu’il ne démentait point dans cette occupation son caractère naturel. Le grand commerce des Hollandais lui fournissait des plantes de tous les climats de l’univers. Il les disséquait avec la même adresse que les animaux et dégageant entièrement leurs vaisseaux de la pulpe ou parenchyme, il montrait à découvert tout ce qui faisait leur vie. Les animaux et les plantes étaient également embaumés, et sûrs de la même durée.

Son cabinet, où tout allait se rassembler, devint si abondant et si riche, qu’on l’eût pris pour le trésor savant d’un souverain. Mais non content de la richesse et de la rareté, [p. 107] il voulut encore y joindre l’agrément, et égayer le spectacle. Il mêlait des bouquets de plantes et des coquillages à de tristes squelettes, et animait le tout par des inscriptions ou des vers pris des meilleurs poètes latins.

C’était pour les étrangers une des plus grandes merveilles des Pays-Bas que ce cabinet de M. Ruysch . Les savants seuls l’admiraient dignement, tout le reste voulait seulement se vanter de l’avoir vu. Les généraux d’armée, les ambassadeurs, les princes, les électeurs, les rois y venaient comme les autres, et ces grands titres prouvent du moins la grande célébrité. Quand le tsar Pierre Ier vint en Hollande pour la première fois en 1698, il fut frappé, transporté à cette vue. Et en effet quelle surprise et quel plaisir pour un génie naturellement avide du vrai qu’un pareil spectacle où il n’avait point été conduit par degrés ! Il baisa avec tendresse le corps d’un petit enfant encore aimable, et qui semblait lui sourire. Il ne pouvait sortir de ce lieu, ni se lasser d’y recevoir des instructions, et il dinait à la table très frugale de son maître pour passer les journées entières avec lui. A son second voyage en 1717, il acheta le cabinet, et l’envoya à Pétersbourg, présent des plus utiles qu’il pût faire à la Moscovie, qui se trouvait tout d’un coup et sans peine en possession de ce qui avait coûté tant de travaux à un des plus habiles hommes des nations savantes.

Aussitôt après, M. Ruysch âgé de 79 ans, recommença courageusement un cabinet nouveau. Sa santé toujours ferme le lui permettait ; le goût et l’habitude l’y obligeaient. Ce second travail devait même lui être plus facile et plus agréable que le premier. Il ne perdait plus de temps en tâtonnements et en épreuves, il était sûr de ses moyens et du succès. D’ailleurs des choses rares, qui autrefois lui auraient échappé, ou qu’il n’aurait obtenues qu’avec peine, venaient alors s’offrir d’elles-mêmes à lui.

En 1727, il fut choisi par cette Académie pour être un de ses associés étrangers. Il était membre aussi de [p. 108] l’Académie Léopoldine des curieux de la nature, et de la Société royale d’Angleterre.

Il eut le malheur en 1728 de se casser l’os de la cuisse par une chute. Il ne pouvait plus guère marcher sans être soutenu par quelqu’un, mais du reste il n’en fut pas moins sain de corps et d’esprit jusqu’en 1781 qu’il perdit en peu de temps toute sa vigueur qui s’était maintenue sans altération sensible. Il mourut le 22 février, âgé de plus de 92 ans, et n’ayant eu sur une si longue carrière qu’environ un mois d’infirmité. Peu de temps avant sa mort, il avait fini le catalogue de son second cabinet qu’il avait rendu fort ample en 14 ans. Beaucoup de grands hommes n’ont pas assez vécu pour voir la fin des contradictions injustes et désagréables qu’ils s’étaient attirées par leur mérite, et leur nom seul a joui des honneurs qui leur étaient dûs. Pour lui il en a joui en personne, grâce à sa bonne constitution qui l’a fait survivre à l’envie.

Il a donné un grand nombre d’ouvrages, ses 16 épitres problématiques, les 3 décades de ses adversaria anatomico-medico-chirurgica, ses 11 trésors , etc. Tout cela est le produit d’une très longue vie, dont tous les moments ont été occupés du même objet ; faits nouveaux, observations rares, réflexions de théorie, remarques de pratique, tout est écrit d’un style simple et concis, dont toutes les paroles signifient, et qui n’a pour but que l’instruction sans étalage. Le plus souvent, en parlant de ses découvertes, il ne se regarde que comme l’instrument dont il a plu à Dieu de se servir pour manifester au genre humain des élites utiles ; et ce ton si humble et si chrétien ne peut être suspect dans un homme qui n’était obligé à le prendre ni par son état, ni par l’exemple des autres auteurs de découvertes.

Encore une singularité de ses ouvrages. Il a publié ses adversaria en hollandais et en latin sur deux colonnes, l’un étant la traduction de l’autre. Il y a des matières qu’il n’est permis qu’aux physiciens de traiter sans enveloppe et dans les termes propres. Quand il les traite, ce n’est qu’en [p. 109] latin, et on s’aperçoit d’un vide dans la colonne hollandaise. Il n’a pas voulu présenter des images dangereuses à ceux ou à celles qui n’en avaient pas besoin.

Annotations réduire la fenêtre detacher la fenêtre