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Jean-Baptiste-Henry du Trousset de Valincourt naquit le 1 mars 1653, d’Henri du Trousset et de Marie du Pré. Sa famille était noble et honorable, originaire de Saint-Quentin en Picardie. Ayant perdu son père à l’âge de 6 ou 7 ans, il demeura entre les mains d’une mère propre à remplir seule tous les devoirs de l’éducation de ses enfants.
Il ne brilla point dans ses classes, ce latin et ce grec qu’on y apprend n’étaient pour lui que des sons étrangers dont il chargeait sa mémoire, puisqu’il le fallait mais ses humanités finies, s’étant trouvé un jour seul à la campagne avec un Térence pour tout amusement, il le lut d’abord avec assez d’indifférence, et ensuite avec un goût qui lui fit bien sentir ce que c’était que les belles-lettres. Il n’avait point été piqué de cette vanité si naturelle de surpasser ses compagnons d’étude sans savoir à quoi il était bon de les surpasser, mais il fut touché de la valeur réelle et solide jusque-là inconnue de ce qu’on avait proposé à leur émulation. Déjà sa raison seule avait droit de le remuer.
Il répara avec ardeur la nonchalance du temps passé ; il se mit à se nourrir avidement de la lecture des bons auteurs anciens et modernes. Il lui échappa quelques petits ouvrages en vers, fruits assez ordinaires de la jeunesse de l’esprit, qui est alors en sa fleur, s’il en doit avoir une. M. de Valincourt ne regardait pas ses vers assez sérieusement pour en faire parade, ni même pour les désavouer. Il a conservé jusqu’à la fin l’habitude de cette langue qu’il ne parlait qu’à l’oreille de quelques amis et en badinant.
La fameuse princesse de Clèves ayant paru ouvrage d’une [p. 118] espèce qui ne peut naître qu’en France, et ne peut même y naître que rarement, M. de Valincourt en donna une critique en 1678, non pour s’opposer à la juste admiration du public, mais pour lui apprendre à ne pas admirer jusqu’aux défauts, et pour se donner le plaisir d’entrer dans des discussions fines et délicates. Ce dessein intéressait le censeur à faire valoir lui-même, comme il a fait, les beautés au travers desquelles il avait su démêler les imperfections. Au lieu de la bile ordinaire, il répand dans son discours une gaieté agréable et peut-être seulement pourrait-on croire qu’il va quelquefois jusqu’au ton de l’ironie, qui, quoique léger, est moins respectueux pour un livre d’un si rare mérite, que le ton d’une critique sérieuse et bien placée.
On répondit avec autant d’aigreur et d’amertume, que si on avait eu à défendre une mauvaise cause. M. de Valincourt ne répliqua point. Les honnêtes gens n’aiment point a s’engager dans ces sortes de combats trop désavantageux pour ceux qui ont les mains liées par de bonnes mœurs et par les bienséances ; et le public lui-même, malgré sa malignité se lasse bientôt de ce spectacle. Après avoir vu une ou deux joutes, il laisse les deux champions se battre sur l’arène sans témoins.
Un homme de mérite n’est pas destiné à n’être qu’un critique, même excellent, c’est-à-dire habile seulement à relever les défauts dans les productions d’autrui, impuissant à produire de lui-même. Aussi M. de Valincourt se tourna-t-il bien vite d’un autre coté plus convenable à ses talents et à son caractère. Il donna en 1681, la Vie de François de Lorraine duc de Guise petit morceau d’histoire qui remplit tout ce qu’on demande à un bon historien des recherches qui, quoique faites avec beaucoup de soin et prises quelquefois dans des sources éloignées ne passent point les bornes d’une raisonnable curiosité ; une narration bien suivie et animée, qui conduit naturellement le lecteur, et l’intéresse toujours, un style noble et simple, qui tire ses ornements du fond des choses, ou les tire d’ailleurs bien fixement, [p. 119] nulle partialité pour le héros, qui pouvait cependant inspirer de la passion à son écrivain.
Un avertissement de l’imprimeur, à la tête de ce petit livre, annonce d’autres ouvrages du même genre, et sans doute de la même main ; mais M. de Valincourt n’eut pas le loisir de les finir. L’illustre évêque de Meaux qui ordinairement fournissait aux princes les gens de mérite dans les lettres dont ils avaient besoin, le fit entrer en 1685 chez M. le comte de Toulouse , amiral de France. Ce ne fut encore qu’en qualité de gentilhomme attaché à sa suite mais quelque temps après, le secrétariat général de la marine étant venu à vaquer, il fut donné à M. de Valincourt . Le prince le fit aussi secrétaire de ses commandements ; et quand S. A. S. eut le gouvernement de Bretagne, ce fut encore un nouveau fonds de travail pour le secrétaire, don les occupations se multipliaient à proportion des dignités de son maître. Ses anciennes études l’avaient préparé, sans qu’il il y pensât, à des fonctions si importantes les nouvelles connaissances dont il eut besoin, entrèrent plus aisément et se placèrent mieux dans un esprit où elles en trouvaient déjà d’autres, qu’elles n’eussent fait dans un esprit entièrement vide.
Lorsqu’en 1704 M. l’amiral gagna la bataille de Malaga contre les flottes anglaise et hollandaise jointes ensemble, M. de Valincourt , qui n’était point officier de marine, et ne prétendait nullement aux récompenses militaires, fut toujours à ses côtes jusqu’à ce qu’il eût reçu une blessure à la jambe de l’éclat d’un coup de canon qui tua un page. Cet attachement si fidèle, porté jusqu’aux occasions où il était si périlleux et en même temps tout à fait inutile, avait pour objet un maître qui savait se faire aimer, et dont la justice et la droiture feraient un mérite et un nom à un homme du commun. Aussi M. de Valincourt a-t-il été honoré de la même confiance et des mêmes bontés sans interruption, sans trouble, sans essuyer aucun orage de cour, sans en craindre ; et cela, pendant 45 ans. Cependant il n’était [p. 120] point flatteur un prince du même sang lui rend hautement ce témoignage. Il est vrai qu’il avait un art de dire la vérite mais enfin il osait la dire, et l’adresse ne servait qu’à rendre le courage utile. Peu à peu la nécessité d’employer cette adresse diminue, et les droits de l’homme de bien se fortifient toujours.
Tout le temps que les emplois de M. de Valincourt lui laissaient libre, était donné à des études de son goût, et principalement à celles qui avaient rapport à ses emplois car son devoir déterminait assez son goût. La marine tient à la physique, et encore plus essentiellement aux mathématiques ; et il ne manqua pas d’ajouter aux belles-lettres, qui avaient été sa première passion ces sciences plus élevées et plus abstraites. Ainsi il se trouva en état de remplir dignement une place d’honoraire, à laquelle l’Académie le nomma en 1721. Il était de l’Académie française dès 1699. Je l’ai vu dans l’une et dans l’autre j’ai été témoin de sa conduite et de ses sentiments. Il ne croyait pas que ce fût assez de voir son nom écrit dans les deux listes ; qu’il en retirerait toujours, sans y rien mettre du sien, l’honneur qui lui en pouvait revenir ; que tout le reste lui devait être indifférent ; et que des titres qui par eux-mêmes laissent une grande liberté, laissaient jusqu’à celle de ne prendre part à rien. Il avait pour ces compagnies une affection sincère, une vivacité peu commune pour leurs intérêts et en effet, une académie est une espèce de patrie nouvelle, que l’on est d’autant plus obligé d’aimer qu’on l’a choisie mais il faut convenir que ces obligations délicates ne sont pas pour tout le monde.
Il avait travaillé toute sa vie à se faire dans une maison de campagne qu’il avait à Saint-Cloud, et où il se retirait souvent, une bibliothèque choisie. Elle montait à 6 ou 7,000 volumes, lorsqu’elle fut entièrement consumée il y a près de cinq ans par le feu qui prit à la maison. Ses recueils, fruits de toutes ses lectures, des mémoires importants sur la marine, des ouvrages ou ébauchés ou finis tout périt en même temps et il en fut le spectateur. La philosophie, qui aurait [p. 121] été plus rigide sur une perte de bien lui permettait d’être sensiblement affligé de celle d’un trésor amassé par elle-même, et ou il se complaisait ; mais son courage ne se démentit point : je n’aurais guère profiter de mes livres, disait-il, si je ne savais pas les perdre. Il était encore soutenu par une philosophie bien supérieure, par la religion dont il fut toujours vivement pénétré.
Vers la fin de sa vie, il fut de temps en temps attaqué de diverses maladies, qui le mirent encore à de plus grandes épreuves. Enfin il mourut le 4 janvier 1730, âgé de 77 ans.
On s’apercevait aisément dans son commerce ordinaire qu’il était plein de bonnes lectures. Il en ornait volontiers sa conversation et ses lettres, mais à propos, avec nouveauté, avec grâces, conditions nécessaires et peu observées. Un certain sel qu’il avait dans l’esprit s’est rendu fort propre à la raillerie ; mais il s’est toujours défendu courageusement d’un talent dangereux pour qui le possède, injuste à l’égard des autres.
Il a été ami particulier de la plupart de ceux qui ont brillé dans les lettres et principalement de Mrs Racine et Despréaux ; et par cette raison il fut choisi, après la mort de Racine , pour être associé à Despréaux dans le travail ou le dessein de l’histoire du feu roi. Apparemment sa liaison avec ce grand satirique lui fit adopter quelques uns de ses jugements tels que celui qu’il portait contre le premier de nos poètes lyriques, jugement insoutenable sur le Parnasse, et recevable seulement dans un tribunal infiniment plus respectable, où le satirique lui-même n’eut pas d’ailleurs trouvé son compte. Cependant M. de Valincourt ne se laissa point emporter à l’excessive chaleur que mirent ses amis dans des disputes littéraires, qui ont fait assez de bruit. Il continua de vivre en amitié avec ceux qui refusaient l’adoration aux anciens ; il négocia même des réconciliations et donna des exemples rares de modération et d’équité, quoique dans une bagatelle.
Mais il n’a pas eu seulement des amis dans les lettres ; il en a eu dans les premières places de l’état, non pas simple [p. 122] ment comme un homme d’esprit dont la conversation peut délasser, mais comme un homme d’un grand sens à qui on peut parler d’affaires. Il ne s’est jamais fait valoir de ces commerces si flatteurs et si dangereux pour la vanité il les cachait autant qu’il était possible ; et ce qu’il cachait encore avec plus de soin, c’est l’usage qu’il en a fait toutes les fois que la justice ou le mérite ont eu besoin de son crédit.
Il n’était point marié et jouissait d’un revenu considérable. Sa famille publie hautement sa générosité pour elle et ses bienfaits toujours prévenants mais elle craindrait d’offenser sa vertu et d’aller contre ses intentions, si elle révélait ce qu’il a fait d’ailleurs par des motifs plus élevés.