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Sébastien le Prestre, chevalier, seigneur de Vauban , Basoches, Pierre-Pertuis, Poüilly, Cervon, la Chaume, Epiry, le Creuset, et autres lieux. Maréchal de France, chevalier des Ordres du roi, commissaire général des fortifications, Grand-Croix de l’Ordre de S. Louis, et gouverneur de la citadelle de l’Isle, naquit le 1er jour de mai 1633 d’Urbain le Prêtre, et d’Aimée de Carmagnol. Sa Famille est d’une bonne noblesse du Nivernois, et elle possède la seigneurie de Vauban depuis plus de 250 ans.
Son père, qui n’était qu’un cadet, et qui de plus s’était ruiné dans le service, ne lui laissa qu’une bonne éducation, et un mousquet. A l’âge de 17 ans, c’est-à-dire, en 1651, il entra dans le régiment de Condé, compagnie d’Arcenai. Alors feu M. le prince était dans le parti des Espagnols.
Les premières places fortifiées qu’il vit le firent ingénieur, par l’envie qu’elles lui donnèrent de le devenir. Il se mit à étudier avec ardeur la géométrie, et principalement la trigonométrie, et le toisé, et dès l’an 1652 il fut employé aux fortifications de Clermont en Lorraine. La même année il servit au premier siège de Sainte-Menehout, où il fit quelques logements, et passa une rivière à nage sous le feu des ennemis pendant l’assaut, action qui [p. 166] lui attira de ses supérieurs, beaucoup de louanges et de caresses.
En 1653 il fut pris par un parti français. M. le cardinal Mazarin le crut digne dès-lors qu’il tâchât de l’engager au service du roi, et il n’eut pas de peine à réussir avec un homme, né le plus fidèle sujet du monde. En cette même année M. de Vauban servit d’ingénieur en second sous le chevalier de Clerville au second siège de Sainte Menehout, qui fut reprise par le roi, et ensuite il fut chargé du foin de faire réparer les fortifications de la place.
Dans les années suivantes, il fit les fonctions d’ingénieur aux sièges de Stenai, de Clermont, de Landrecy, de Condé, de S. Guilain, de Valenciennes. Il fut dangereusement blessé à Stenai, et à Valenciennes, et n’en servit presque pas moins. Il reçût encore trois blessures au siège de Montmedi en 1657, et comme la gazette en parla, on apprit dans son pays ce qu’il était devenu, car, depuis 6 ans qu’il en était parti, il n’y était peint retourné, et n’y avait écrit à personne, et ce fut là la seule manière dont il y donna de ses nouvelles.
M. le maréchal de la Ferté, sous qui il servait alors, et qui l’année précédente lui avait fait présent d’une compagnie dans son régiment, lui en donna encore une dans un autre régiment, pour lui tenir lieu de pension, et lui prédît hautement que si la guerre pouvoir l’épargner, il parviendrait aux premières dignités.
En 1658 il conduisit en chef les attaques des sièges de Gravelines, d’Ypres, et d’Oudenarde. M. le cardinal Mazarin, qui n’accordait pas les gratifications sans sujet, lui en donna une assez honnête, et l’accompagna de louanges, qui, selon le caractère de M. de Vauban , le payèrent beaucoup mieux.
Il nous suffit d’avoir représenté avec quelque détail ces premiers commencements, plus remarquables que le reste dans une vie illustre, quand la vertu dénuée de tout secours étranger a eu besoin de se faire jour à elle-même.
[p. 167] Désormais M. de Vauban est connu, et son histoire devient une partie de l’Histoire de France.
Après la paix des Pyrénéennes, il fut occupé ou à démolir des places, ou à en construire. Il avait déjà quantité d’idées nouvelles sur l’art de fortifier, peu connu jusque-là. Ceux qui l’avaient pratiqué, ou qui en avaient écrit s’étaient attachés servilement à certaines règles établies quoique peu fondées, et à des espèces de superstitions, qui dominent toujours longtemps en chaque genre et ne disparaissent qu’à l’arrivée de quelque génie supérieur. D’ailleurs ils n’avaient pas vu de sièges, ou n’en avaient pas assez vu, leurs méthodes de fortifier n’étaient tournées que par rapport à certains cas particuliers qu’ils connaissaient, et ne s’étendaient pas à tout le reste. M. de Vauban avait déjà beaucoup vu et avec de bons yeux, il augmentait sans cesse son expérience par la lecture de tout ce qui avait été écrit sur la guerre, il sentait en lui ce qui produit les heureuses nouveautés, ou plutôt ce qui force à les produire, et enfin il osa se déclarer inventeur dans une matière si périlleuse, et le fut toujours jusqu’à la fin. Nous n’entrerons pas dans le détail de ce qu’il inventa il serait trop long, et toutes les places fortes du royaume doivent nous l’épargner.
Quand la guerre recommença en 1667, il eut la principale conduite des sièges, que le roi fit en personne. S. M. voulut bien faire voir qu’il était de sa prudence de s’en assurer ainsi le succès. Il reçut au siège de Douai un coup de mousquet à la joue, dont il a toujours porté la marque. Après le siège de l’Isle qu’il prit sous les ordres du roi en 9 jours de tranchée ouverte, il eut une gratification considérable, beaucoup plus nécessaire pour contenter l’inclination du maître, que celle du sujet. Il en a reçu encore en différentes occasions un grand nombre, et toujours plus fortes, mais pour mieux entrer dans son caractère nous ne parlerons plus de ces sortes de récompenses, qui n’ en étaient presque pas pour lui.
Il fut occupé en 1668 à faire des projets de fortifica [p. 168] tion pour les places de la Franche-Comté, de Flandre, et d’Artois. Le roi lui donna le gouvernement de la citadelle de l’Isle, qu’il venait de construire, et ce fut le premier gouvernement de cette nature en France. Il ne l’avait pas demandé, et il importe et à la gloire du roi et à la sienne que l’on sache que de toutes les grâces qu’il a jamais reçues, il n’en a demandé aucune, à la réserve de celles qui n’étaient pas pour lui. Il est vrai que le nombre en a été si grand qu’elles épuisaient le droit qu’il avait de demander.
La paix d’Aix-la-Chapelle étant faite, il n’en fut pas moins occupé. Il fortifia des places en Flandre, en Artois, en Provence, en Roussillon, ou du moins fit des desseins qui ont été depuis exécutés. Il alla même en Piémont avec M. de Louvois , donna à M. le duc de Savoie des desseins pour Veruë, Verceil, et Turin. A son départ, S.A.R. lui fit présent de son portrait enrichi de diamants. Il est le seul homme de guerre pour qui la paix ait toujours été aussi laborieuse que la guerre même.
Quoique son emploi ne l’engageât qu’à travailler à la sureté des frontières, son amour pour le bien public lui faisait porter ses vues sur les moyens d’augmenter le bonheur du dedans du royaume. Dans tous ses voyages il avait une curiosité, dont ceux qui sont en place ne sont communément que trop exempts. Il s’informait avec soin de la valeur des terres, de ce qu’elles rapportaient, de la manière de les cultiver, des facultés des paysans, de leur nombre, de ce qui faisait leur nourriture ordinaire, de ce que leur pouvait valoir en un jour le travail de leurs mains, détails méprisables et abjects en apparence, et qui appartiennent cependant au grand art de gouverner. Il s’occupait ensuite à imaginer ce qui aurait pu rendre le pays meilleur, de grands chemins, des ponts, des navigations nouvelles, projets dont il n’était pas possible qu’il espéra une entière exécution, espèces de songes, si l’on veut, mais qui du moins, comme la plupart des véritables songes, marquaient l’inclination dominante. [p. 169] Je sais tel intendant de province qu’il ne connaissait pas, et à qui il a écrit pour le remercier d’un nouvel établissement utile, qu’il avait vu en voyageant dans son département. Il devenait le débiteur particulier de quiconque avait obligé le public.
La guerre qui commença en 1672 lui fournit une infinité d’occasions glorieuses, sur tout dans ce grand nombre de sièges que le roi fit en personne, et que M. de Vauban conduisit tous. Ce fut à celui de Maastricht en 1673 qu’il commença à se servir d’une méthode singulière pour l’attaque des places, qu’il avait imaginée par une longue suite de réflexions, et qu’il a depuis toujours pratiquée. Jusque-là il n’avait fait que suivre avec plus d’adresse et de conduite les règles déjà établies, mais alors il en suivit d’inconnues, et fit changer de face à cette importante partie de la guerre. Les fameuses parallèles et les places d’armes parurent au jour, depuis ce temps, il a toujours inventé sur ce sujet, tantôt les cavaliers de tranchée, tantôt un nouvel usage des sapes et des demi-sapes, tantôt les batteries en ricochet, et par là il avait porté son art à une telle perfection, que le plus souvent, ce qu’on n’aurait jamais osé espérer, devant les places les mieux défendues il ne perdait pas plus de monde que les assiégés.
C’était là son but principal, la conservation des hommes. Non seulement l’intérêt de là guerre, mais aussi son humanité naturelle les lui rendait chers. Il leur sacrifiait toujours l’éclat d’une conquête plus prompte, et une gloire assez capable de séduire, et, ce qui est encore plus difficile, quelquefois il résistait en leur faveur à l’impatience des Généraux, et s’exposait aux redoutables discours du courtisan oisif. Aussi les soldats lui obéissaient-ils avec un entier dévouement, moins animés encore par l’extrême confiance qu’ils avaient à sa capacité, que par la certitude et la reconnaissance d’être ménagés autant qu’il était possible.
Pendant toute la guerre que la paix de Nimègue ter [p. 170] mina, sa vie fut une action continuelle, et très vive ; former des desseins de sièges, conduire tous ceux qui furent faits, du moins dès qu’ils étaient de quelque importance, réparer les places qu’il avait prises, et les rendre plus fortes, visiter toutes les frontières, fortifier tout ce qui pouvait être exposé aux ennemis, se transporter dans toutes les armées, et souvent d’une extrémité du royaume à l’autre.
Il fut fait brigadier d’infanterie en 1674, maréchal de camp en 1676 et en 1678 commissaire général des fortifications de France, charge qui vaquait par la mort de M. le chevalier de Clerville , il se défendit d’abord de l’accepter, il en craignait ce qui l’aurait fait désirer à tout autre, les grandes relations qu’elle lui donnait avec le ministère. Cependant le roi l’obligea d’autorité à prendre la charge, et il faut avouer que malgré toute sa droiture il n’eut pas lieu de s’en repentir. La vertu ne laisse pas de réussir quelquefois, mais ce n’est qu’à force de temps et de preuves redoublées.
La paix ne Nimègue lui ôta le pénible emploi de prendre des places, mais elle lui en donna un plus grand nombre à fortifier. Il fit le fameux port de Dunkerque, son chef-d’œuvre, et par conséquent celui de son art. Strasbourg et Cafal, qui passèrent en 1681 sous le pouvoir du roi, furent ensuite ses travaux les plus considérables. Outre les grandes et magnifiques fortifications de Strasbourg, il y fit faire pour la navigation de la bruche des écluses, dont l’exécution était si difficile, qu’il n’osa la confier à personne, et la dirigea toujours par lui-même.
La guerre recommença en 1683, et lui valut l’année suivante la gloire de prendre Luxembourg, qu’on avait cru jusque-là imprenable, et de le prendre avec fort peu de perte. Mais la guerre naissante ayant été étouffée par la trêve de 1684, il reprit ses fonctions de paix, dont les plus brillantes furent l’aqueduc de Maintenon, de nouveaux travaux qui perfectionnent le canal de la communication des mers, Montroyal, et Landau.
[p. 171] Il semble qu’il aurait dû trahir les secrets de son art par la grande quantité d’ouvrages qui sont sortis de ses mains. Aussi a-t-il paru des livres dont le titre promettait la véritable manière de fortifier selon M. de Vauban , mais il a toujours dit, et il a fait voir par sa pratique qu’il n’avait pas de manière. Chaque place différente lui en fournissait une nouvelle selon les différentes circonstances de sa grandeur, de sa situation, de son terrain. Les plus difficiles de tous les arts sont ceux dont les objets sont changeant, qui ne permettent pas aux esprits bornés l’application commode de certaines règles fixes, et qui demandent à chaque moment les ressources naturelles et imprévues d’un génie heureux.
En 1688, la guerre s’étant rallumée. il fit sous les ordres de monseigneur les sièges de Philisbourg, de Manhem, et de Frankendal. Ce grand prince fut si content de ses services, qu’il lui donna 4 pièces de canon à son choix pour mettre à son château de Bazoches, récompense vraiment militaire, privilège unique, et qui plus que tout autre convenait au père de tant de places fortes. La même année il fut fait lieutenant général.
L’année suivante il commanda à Dunkerque, Bergues, et Ypres, avec ordre de s’enfermer dans celle de ces places qui serait assiégée, mais son nom les en préserva.
L’année 1690 fut singulière entre toutes celles de sa vie ; il n’y fit presque rien, parce qu’il avait pris une grande et dangereuse maladie à faire travailler aux fortifications d’Ypres, qui étaient fort en désordre, et à être toujours présent sur les travaux. Mais cette oisiveté qu’il se serait presque reprochée finit en 1671 par la prise de Mons, dont le roi commanda le siège en personne. Il commanda aussi l’année d’après celui de Namur, et M. de Vauban le conduisit de sorte qu’il prit la place en 30 jours de tranchée ouverte, et n’y perdit que 800 hommes, quoiqu’il s’y fut fait 5 actions de vigueur très considérables.
[p. 172] Il faut passer par dessus un grand nombre d’autres exploits, tels que le siège de Charleroi en 93, la défense de la basse-Bretagne contre les descentes des ennemis en 94 et 95, le siège d’Ath en 97, et nous hâter de venir à ce qui touche de plus près cette Académie. Lorsqu’elle se renouvela en 99, elle demanda au roi M. de Vauban pour être un de ses honoraires, et si la bienséance nous permet de dire qu’une place dans cette compagnie soit la récompense du mérite, après toutes celles qu’il avait reçues du roi en qualité d’homme de guerre, il fallait qu’il en reçût une d’une Société de Gens de Lettres en qualité de mathématicien. Personne n’avait mieux que lui rappelle du ciel les mathématiques, pour les occuper aux besoins des hommes, et elles avaient pris entre ses mains une utilité aussi glorieuse peut-être que leur plus grande sublimité. De plus, l’Académie lui devait une reconnaissance particulière de l’estime qu’il avait toujours eue pour elle ; les avantages solides que le Puble peut tirer de cet établissement avaient touché l’endroit le plus sensible de son âme.
Comme après la paix de Riswic il ne fut plus employé qu’à visiter les frontières, à faire le tour du royaume, et à former de nouveaux projets, il eut besoin d’avoir encore quelque autre occupation, et il se la donna selon son cœur. Il commença à mettre en écrit un prodigieux nombre d’idées qu’il avait sur différents sujets qui regardaient le bien de l’État, non seulement sur ceux qui lui étaient les plus familiers, tels que les fortifications, le détail des places, la discipline militaire, les campements, mais encore sur une infinité d’autres matières qu’on aurait crues plus éloignées de son usage, sur marine, sur la course par mer en temps de guerre, sur les finances même, sur la culture des forêts, sur le commerce, et sur les colonies françaises en Amérique. Une grande passion songe à tout. De toutes ces différentes vues il a composé 12 gros volumes manuscrits, qu’il a intitulés ses Oisivetés. S’il était possible que les idées qu’il y propose [p. 173] s’exécutassent, ses oisivetés seraient plus utiles que tous ses travaux.
La succession d’Espagne ayant fait renaître la guerre, il était à Namur au commencement de l’année 1703, et il y donnait ordre à des réparations nécessaires, lorsqu’il apprit que le roi l’avait honoré du bâton de maréchal de France. Il s’était opposé lui-même quelque temps auparavant à cette suprême élévation, que le roi lui avait annoncée, il avait représenté qu’elle empêcherait qu’on ne l’employa avec des généraux du même rang, et ferait naître des embarras contraires au bien du service. Il aimait mieux être plus utile, et moins récompensé, et poursuivre son goût, il n’aurait fallu payer ses premiers travaux que par d’autres encore plus nécessaires.
Vers la fin de la même année il servit sous monseigneur le duc de Bourgogne au siège du vieux Brisach, place très considérable, qui fut réduite à capituler au bout de 13 jours et demi de tranchée ouverte, et qui ne coûta pas 300 hommes. C’est par ce siège qu’il a fini, et il y fit voir tout ce que pouvait son art, comme s’il eût voulu le résigner alors tout entier entre les mains du prince qu’il avait pour spectateur et pour chef.
Le titre de maréchal de France produisit les inconvénients qu’il avait prévus, il demeura deux ans inutile. Je l’ai entendu souvent s’en plaindre ; il protestait que pour l’intérêt du roi et de l’État il aurait foulé aux pieds la dignité avec joie. Il l’aurait fait, et jamais il ne l’eût si bien méritée, jamais même il n’en eût si bien soutenu le véritable éclat.
Il se consolait avec ses savantes Oisivetés . Il n’épargnait aucune dépense pour amasser la quantité infinie d’instructions et de mémoires dont il avait besoin, et il occupait sans cesse un grand nombre de secrétaires, de dessinateurs, de calculateurs, et de copistes. Il donna au roi en 1704 un gros manuscrit, qui contenait tout ce qu’il y a de plus fin et de plus secret dans la conduite de l’attaque des places, présent le plus noble qu’un sujet [p. 174] puisse jamais faire à son maître, et que le maître ne pouvait recevoir que de ce seul sujet.
En 1706, après la bataille de Ramilli M. le maréchal de Vauban fut envoyé pour commander à Dunkerque, et sur la côte de Flandre. Il rassura par sa présence les esprits étonnés, il empêcha la perte d’un pays qu’on voulait noyer pour prévenir le siège de Dunkerque, et le prévint d’ailleurs par un camp retranché qu’il fit entre cette ville et berges, de sorte que les ennemis eussent été obligés de faire en même temps l’investiture de Dunkerque, de Bergues, et de ce camp, ce qui était absolument impraticable.
Dans cette même campagne, plusieurs de nos places ne s’étant pas défendues comme il aurait souhaité, il voulut défendre par ses conseils toutes celles qui seraient attaquées à l’avenir, et commença sur cette matière un ouvrage qu’il destinait au roi, et qu’il n’a pu finir entièrement. Il mourut le 30 mars 1707 d’une fluxion de poitrine accompagnée d’une grosse fièvre qui l’emporta en 8 jours, quoiqu’il fût d’un tempérament très robuste, et qui semblait lui promettre encore plusieurs années de vie. Il avait 74, moins un mois.
Il avait épousé Jeanne d’Aunoi de la famille des barons d’Espiri en Nivernois, morte avant lui. Il en a laissé deux filles, Mme la comtesse de Villebertin, et Mme la marquise d’Ussé.
Si l’on veut voir toute sa vie militaire en abrégé, il a fait travailler à 300 places anciennes, et en a fait 33 neuves ; il a conduit 73 sièges, dont 30 ont été faits sous les ordres du roi en personne, ou de monseigneur, ou de monseigneur le duc de Bourgogne, et les 23 autres sous différents généraux, il s’est trouvé à 140 actions de vigueur.
Jamais les traits de la simple nature n’ont été mieux marqués qu’en lui, ni plus exempts de tout mélange étranger. Un sens droit et étendu, qui s’attachait au vrai par une espèce de sympathie, et sentait le faux sans le discuter, [p. 175] lui épargnait les longs discours par où les autres marchent et d’ailleurs sa vertu était en quelque forte un instinct heureux, si prompt qu’il prévenait sa raison. Il méprisait cette politesse superficielle dont le monde se contente, et qui couvre souvent tant de barbarie, mais sa bonté, son humanité, sa libéralité lui composaient une autre politesse plus rare, qui était toute dans son cœur. Il feyait bien à tant de vertu de négliger des dehors, qui, à la vérité, lui appartiennent naturellement, mais que le vice emprunte avec trop de facilité. Souvent M. le maréchal de Vauban a secouru des sommes assez considérables des officiers qui n’étaient pas en état de soutenir le service, et quand on venait à le savoir, il disait qu’il prétendait leur restituer ce qu’il recevait de trop des bienfaits du roi. Il en a été comblé pendant tout le cours d’une longue vie, et il a eu la gloire de ne laisser en mourant qu’une fortune médiocre. Il était passionnément attaché au roi, sujet plein d’une fidélité ardente et zélée, et nullement courtisan ; il aurait infiniment mieux aimé servir que plaire. Personne n’a été si souvent que lui, ni avec tant de courage, l’introducteur de la vérité ; il avait pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement. Ses mœurs ont tenu bon contre les dignités les plus brillantes, et n’ont pas même combattu. En un mot, c’était un romain qu’il semblait que notre siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la République.
Sa place d’académicien honoraire a été remplie par M. le maréchal d’Estrées, vice-amiral de France, grand d’Espagne, chevalier des Ordres du roi, gouverneur du comte nantois.